Vaccin anti-COVID: anticiper les futures mutations

Yves Hulmann

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Pour Vladimir Cmiljanovic, fondateur de Swiss Rockets, nombre d’autres produits développés actuellement n’offriront pas une protection durable.

La course aux vaccins contre le coronavirus se poursuit à un rythme effréné. Lundi, le géant américain Pfizer a annoncé des résultats prometteurs pour un produit développé avec la société biotechnologique allemande BioNTech. Parallèlement aux recherches lancées par les grands groupes pharmaceutiques tels qu’Astrazeneca ou Johnson & Johnson, le laboratoire américain Moderna ainsi que les produits testés par les laboratoires chinois Sinovac et Sinopharm, sans oublier le produit russe présenté sous le terme de «Spoutnik», des petites sociétés biotech tentent leur chance en misant sur des approches différentes.

Mardi, l’incubateur et accélérateur bâlois Swiss Rockets a annoncé la fondation de RocketVax, une filiale dédiée au développement d’un vaccin de nouvelle génération contre le virus SARS-CoV-2.

Dans ce but, Swiss Rockets a acquis les droits exclusifs pour développer un vaccin contre ce virus à l’aide de la technologie de synthèse de l'ADN élaborée par Gibases Switzerland, une société issue de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ).

Pratiquement, Swiss Rockets met à disposition l’infrastructure nécessaire à RocketVax, avec bureaux et laboratoire, faisant office d’incubateur conjointement avec le canton de Bâle-Ville et l’Université de Bâle. RocketVax a ainsi accès à un laboratoire de biosécurité indispensable à ses activités. En outre, Swiss Rockets joue aussi un rôle d’accélérateur, investissant des fonds supplémentaires dans le développement de RocketVax à moyen terme.

«Notre vaccin de nouvelle génération est basé sur une technologie de synthèse
qui permet d’obtenir un virus SARS-CoV-2 complet mais à ‘réplication bloquée’.»

Côté scientifique, RocketVax peut compter sur la collaboration avec des personnalités connues, à l’exemple du professeur Marcel Tanner, professeur émérite d’épidémiologie, et ancien directeur de l’Institut Tropical Suisse à Bâle, qui intervient régulièrement dans les médias au sujet du coronavirus. 

Quelles sont les chances pour la nouvelle société de trouver sa place sur ce marché ultra-compétitif? Entretien avec Vladimir Cmiljanovic, président et directeur de Swiss Rockets.

Près d’une cinquantaine de vaccins contre le coronavirus sont en préparation à travers le monde. Quelles sont les spécificités du vaccin de nouvelle génération développé par RocketVax, la filiale de Swiss Rockets dédiée au développement d’un vaccin contre le virus SARS-CoV-2?

Actuellement, la plupart des vaccins de première génération qui sont développés et testés par différentes sociétés en Chine, en Russie, au Royaume-Uni ou aussi aux Etats-Unis, ont souvent pour point commun d’utiliser d’autres virus, tels que les adénovirus marqués avec seulement une protéine de coronavirus, en particulier la protéine de spicule nécessaire pour faire entrer le virus dans les cellules. A notre avis, il y a peu de chances que ces vaccins assurent une protection suffisamment robuste et durable. L’approche pratiquée par les autres vaccins en cours de développement présente de mon point de vue plusieurs problèmes.

Lesquels?

D’une part, la durée, trop limitée, de ces autres vaccins, comme je l’ai déjà évoquée. A cet égard, les mesures prises début novembre par le Danemark - qui a décidé d’abattre plusieurs millions de visons après la découverte d’une série de mutations du virus transmis à l’humain par cet animal, faisant craindre une efficacité réduite d’un futur vaccin potentiel - illustrent bien ce problème. S’il y a une mutation soudaine du virus du SARS-CoV-2 à un endroit ou à un autre de la planète, il se peut que les vaccins à disposition ne reconnaissent tout simplement pas le virus. C’est un grand risque. Ainsi, la force initiale présentée par les vaccins de première génération peut rapidement s’affaiblir. D’autre part, il y a la question des réactions immunitaires du corps du patient envers de tels vaccins.

En ce qui nous concerne, RocketVax a la particularité de développer un vaccin basé sur un «vrai» coronavirus mais sous une forme très affaiblie. En effet, notre vaccin de nouvelle génération est basé sur une technologie de synthèse qui permet d’obtenir un virus SARS-CoV-2 complet mais à «réplication bloquée». Celui-ci présente toutes les composants protéiques de la particule virale au système immunitaire mais il ne comporte aucun potentiel pathogène pour la personne qui l’utilise. A l’inverse, chez de nombreux autres vaccins candidats testés par d’autres sociétés, les risques de réactions auto-immunitaires ne peuvent pas être exclus.

«La plupart des autres vaccins
devront être remplacés au bout de trois à quatre mois.»
Vous insistez aussi sur le fait que la technologie que vous utilisez - développée par Gigabases, une société issue de l’EPFZ - permet une production rapide de diverses séquences génomiques, ce qui rend possible la production de vaccins avec une ou des combinaisons de séquences virales. Pourquoi est-ce important?

Cette technologie, qui peut s’appliquer non seulement au domaine des virus mais aussi au traitement du cancer, a pour avantage de permettre d’incorporer toute mutation pertinente du virus SARS-CoV-2 susceptible de survenir à l’avenir. C’est un point essentiel. Nous serons à même d’identifier rapidement chaque mutation et de l’intégrer dans notre vaccin. Les autres sociétés qui développent d’autres vaccins actuellement n’ont pas cet avantage. Aussi bien d’un point de vue qualitatif que scientifique, nous sommes en tête de course avec le vaccin que nous développons. La plupart des autres vaccins devront être remplacés au bout de trois à quatre mois, celui de RocketVax peut durer au moins une année. Il sera ainsi meilleur marché pour les utilisateurs.

Actuellement, les gouvernements, les autorités sanitaires ou les entreprises veulent surtout disposer au plus vite d’un vaccin. Il suffit de voir l’enthousiasme provoqué par l’annonce effectuée par Pfizer lundi. N’y a-t-il pas un risque que vous arriviez trop tard?

Non, je ne le pense pas. S’agissant des résultats annoncés par Pfizer lundi, je pense qu’il y a une forme d’erreur d’interprétation concernant l’efficacité de ce vaccin. Les données ont été mesurées 7 jours après que le vaccin de Pfizer a été administré. Après une si courte durée, n’importe quel vaccin peut provoquer un effet positif. Certes, c’est un bon début et le vaccin développé par Pfizer et BioNTech semble bien fonctionner à court terme. Toutefois, à plus long terme, ces sociétés devront très vite chercher un autre vaccin. Et concernant d’autres vaccins, tels que celui développé par Moderna par exemple, il y a encore de nombreux aspects de sécurité, notamment ceux liés aux réactions auto-immunitaires. Dans le cas de RocketVax, ce problème ne se pose pas car même s’il s’agit d’un vrai coronavirus, il ne peut pas se répliquer.

«Pour les essais cliniques, nous pouvons compter
sur un large réseau de partenaires à travers le monde.»
Si les résultats des tests sont positifs pour RocketVax, dans combien de mois votre vaccin serait-il disponible?

Dans un délai de huit mois. S’agissant des capacités de test pour les essais cliniques, nous pouvons compter sur un large réseau de partenaires à travers le monde, aussi bien en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique et en Asie.

Et ensuite, qui se chargerait de la production?

Nous pouvons débuter seul dans un premier temps. Maintenant, ce serait bien sûr mieux si nous avions un grand partenaire avec nous.

Avez-vous des contacts avec de grandes sociétés actives dans la production, comme Lonza par exemple?

Lonza serait théoriquement un partenaire potentiel. Toutefois, Lonza a déjà un accord avec Moderna en vue de la production de leur futur vaccin. Nous pouvons toutefois compter sur une autre entreprise dont je ne peux pas révéler le nom. Enfin, il faut aussi souligner que nous travaillons en collaboration avec le canton de Bâle-Ville et l’Université de Bâle. RocketVax a ainsi accès à un laboratoire présentant un degré de niveau trois à Bâle. Nous avons aussi le soutien de l’OFSP et nous avons aussi des collaborations avec l’EPFZ et l’Université de Zurich.

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