Une spécialisation sectorielle essentielle

Yves Hulmann

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Pour Peter Romanzina, responsable de la recherche chez Vontobel, seule une analyse primaire de qualité créée de la valeur ajoutée sur le long terme.

En décembre, Vontobel a annoncé une réorganisation en profondeur de son modèle d’affaires, qui impliquera notamment un désengagement des activités liées aux marchés des capitaux et un recentrage sur la gestion de fortune et d’actifs destinée à des clients institutionnels ou à des privés très fortunés. Peter Romanzina, responsable de la recherche («Head of Research») chez Vontobel, explique pourquoi un travail d’analyse en profondeur est indispensable pour créer de la valeur ajoutée sur le long terme.

Quel sera l’impact de la réorganisation annoncée en décembre par Vontobel sur les activités de recherche de l’établissement?

Notre activité de recherche continuera de se concentrer, d’une part, sur les actions suisses et, d’autre part, sur le crédit, avec un accent placé sur les émetteurs helvétiques. De manière générale, le principe est que l’on veut toujours être du côté du client, en ne gardant plus que le «buy-side» et en abandonnant les activités liées aux transactions sur le marché des capitaux comme les entrées en bourse, les augmentations de capital, etc. Quant à l’usage de cette recherche, le but est de la réserver à nos clients. Nous la proposons soit aux clients qui ont déposé de l’argent directement chez nous, soit à ceux qui ont des mandats de gestion de fortune («Advisors Wealth Management») ou à certains partenaires institutionnels qui ont besoin de cette recherche.

«Dans notre activité de recherche,
nous ne nous contentons pas d’analyser des rapports financiers.»
La dernière décennie a été marquée par une montée en force de la gestion passive. Quelle est la valeur ajoutée qui peut encore être apportée par la gestion active?

Nous sommes convaincus qu’il est possible de créer de la valeur ajoutée pour le compte de nos clients grâce à une recherche primaire de qualité, avec un suivi systématique des titres selon une approche «bottom-up». C’est pourquoi je dis souvent que nous faisons bien plus que de l’analyse financière! En effet, dans notre activité de recherche, nous ne nous contentons pas d’analyser des rapports financiers – nous allons chez les sociétés, nous discutons avec leur management, nous évaluons la technologie ainsi que le modèle d’entreprise et l’environnement concurrentiel. Certains de nos analystes se rendent aussi à des conférences très spécialisées dans la pharma, l’industrie, etc. C’est tout le sens de la recherche dite primaire – sinon, on ne fait plus que de lire les rapports des autres et cela devient de la recherche secondaire.

Quelles ressources avez-vous à disposition pour la recherche?

Pour l’essentiel, nous avons une équipe d’analystes actions et une autre qui s’occupe de la recherche sur les émetteurs obligataires. L’important est que chaque analyste dispose de compétences très pointues dans son domaine. Notre équipe compte à la fois des docteurs en physique, en microbiologie ou en chimie ou encore un ancien expert en évaluation d’activités d’assurances au sein d’un grand groupe. La spécialisation sectorielle est à mon avis absolument essentielle. Chaque analyste couvre typiquement entre 10 et 12 sociétés – non pas une cinquantaine comme c’est parfois le cas dans d’autres établissements.

Quel est l’univers de titres que vous couvrez en Suisse?

Il est bien sûr plus restreint que celui de l’ensemble du marché, mais correspond environ à 98% de la capitalisation boursière de la Suisse. Nous couvrons uniquement les titres qui sont susceptibles d’apporter une réelle valeur ajoutée pour nos clients tout en mobilisant des ressources raisonnables. Nous n’allons, par exemple, pas suivre une société de participation qui investit à son tour dans une cinquantaine de titres qu’il faudrait à nouveau analyser en détail. En tout, nous couvrons ainsi un univers de l’ordre de 110 à 120 titres, ce qui correspond environ aux titres inclus dans l’indice SLI, plus une grande part du SMIM ainsi qu’un nombre significatif d’autres titres du SPI.

«Il est essentiel de bien comprendre le cœur de l’activité
d’une société si l’on veut éviter certains risques.»
Comment les résultats de cette recherche sont-ils ensuite «traduits» et mis à disposition des clients?

Ils sont présentés dans un document en format électronique appelé «Pocket guide», mis à jour quotidiennement, qui comprend entre 10 et 16 pages pour chaque société. Outre la présentation des ratios financiers habituels, ce document comprend aussi une évaluation de l’investissement («investment case»), une analyse des chances et des risques («SWAT»). Par ailleurs, nous publions quotidiennement le «Morning Note», qui englobe une mise à jour de nos recommandations. S’y ajoutent des rapports approfondis de sociétés ou secteurs, qui mettent l’accent sur un sujet spécifique, par exemple à l’occasion du lancement d’un nouveau produit, d’une expansion dans une région donnée ou de tout autre thème qui peut affecter la valorisation d’une société. Dans cette publication, nous mettons en évidence non seulement les éléments susceptibles de générer une surperformance, l’alpha, mais nous rendons aussi attentifs à ceux qui permettent de mieux gérer les risques. Il est essentiel de bien comprendre le cœur de l’activité d’une société si l’on veut éviter certains risques.

Emettez-vous aussi des recommandations particulières en rapport avec l’évolution momentanée des marchés – comme au sujet de la récente correction survenue suit à l’annonce de l’épidémie de coronavirus?

Nous réagissons très prudemment face à de telles situations. D’une part, car il est évidemment très difficile d’anticiper comment la situation sanitaire va évoluer au cours des prochains mois. D’autre part, car l’expérience montre que de tels événements n’ont, la plupart du temps, que très peu d’impact sur l’évaluation à long terme de la valeur d’une entreprise donnée lorsque celle-ci est de qualité. D’un point de vue «bottom-up», les différentes pandémies récentes - qu’il s’agisse du Sras, du virus H5N1 ou d’autres - n’ont eu généralement que très peu d’influence sur l’évolution de la valorisation boursière à long terme d’une entreprise. De plus, lorsqu’une action a perdu 10% de sa valeur en deux semaines par rapport à son niveau de la mi-janvier, il est très difficile de déterminer si c’est parce que les marchés étaient de toute façon surévalués au préalable ou si c’est vraiment à cause de l’effet du coronavirus lui-même.