Une industrie pas si verte

Salima Barragan

2 minutes de lecture

Finance durable: parfois l’occasion d’appliquer une couche de vernis à ce qui n'est qu'un changement marginal. L'opinion de Ryan Smith d'Artemis.

Re-labellisation de fonds durables à des fins marketing, stratégies d’entreprises peu authentiques: les investissements durables seraient-ils moins verts qu’on ne nous le fait croire? Pour Ryan Smith chez Artemis qui gère un fonds à impact, il n’y a pas de doute. En toute franchise, il nous explique pourquoi la finance durable n’a pas d’effet sur les émissions de CO2 qui ne cessent de grimper, et comment déceler les acteurs fallacieux d’une industrie encore très hétérogène. Entretien.

Les investissements durables seraient-ils moins verts qu’on ne nous le fait croire?

Les améliorations apportées par de nombreuses sociétés sont tout simplement insuffisantes pour faire face aux défis du développement durable. Mais le concept fournit à beaucoup d’entreprises l’occasion d’appliquer une couche de vernis à ce que l’on pourrait décrire comme un changement marginal du «business as usual». Ce qui n’a rien de surprenant dans la mesure où les entreprises bien établies sont optimisées pour tirer parti des conditions existantes. Réciproquement, beaucoup de fonds ESG investissent dans des entreprises qui répondent à ce processus superficiel. Et un grand nombre d’investisseurs commencent à réaliser que beaucoup de fonds durables ne sont pas assez verts.

Comment séparer le bon grain de l’ivraie?

L’intentionnalité des entreprises est un élément crucial. Elle répond aux questions: connaissons-nous le but ou la mission de l’entreprise dans laquelle nous investissons? Recherche-t-elle délibérément un résultat positif pour l’environnement ou la société? En plus de cet aspect, l’authenticité et la transparence sont deux autres indicateurs fiables.

Aucun indice boursier des pays du G7 ne se préoccupe de températures qui seraient un tant soit peu proches des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat.
Vous avez également observé que certains fonds ont été relabellisés durables à des fins marketing. Comment les reconnaître?

Un simple test consiste à demander à ces fonds quel est l’effet du recentrage ESG sur leur portefeuille. La réduction des facteurs de risque ESG, qui est une approche sensée à appliquer à tous les fonds, n’est pas la même chose que de chercher à investir dans des entreprises qui sont plus durables ou ont un impact positif. De la même façon, les investisseurs ne profiteront probablement pas d’une stratégie ESG mécanique basée sur des notations standards établies par des agences indépendantes. A nos yeux, le succès résultera plus vraisemblablement de stratégies plus dynamiques et construites autour d’aspects ESG qui sont difficilement mesurables par des scores ESG.  

La finance durable n’est donc pas à la hauteur de ses objectifs?

Alors que nous approchons de la COP26, tout semble tourner autour du thème de l’ESG. Mais les émissions de CO2 ne cessent de grimper. Et en réalité, aucun indice boursier des pays du G7 ne se préoccupe de températures qui seraient un tant soit peu proches des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, et beaucoup de produits d’investissements, y compris ceux labellisés ESG, sont fondés sur ces indices.

Comment le Royaume-Uni et le Etats-Unis s’adaptent-ils pour discriminer les fonds de mauvaise qualité ESG?

De toute évidence, il s’agit d’un domaine qui intéresse beaucoup les régulateurs en Europe et aux Etats-Unis. Le règlement SFDR en Europe fournit une transparence accrue ainsi qu’un cadre indiquant comment et dans quelle mesure les fonds envisagent l’ESG, la durabilité et l’impact. Mais il existe de nombreuses approches même pour les fonds «Articles 8 et 9». Un examen initial des fonds de chaque catégorie révèle que peu sont classés «Article 9» car le régulateur a placé la barre haut. Aux Etats-Unis, les fonds ESG ne sont pas répertoriés sous le règlement SFDR comme en Europe. Mais la SEC a lancé un groupe de travail chargé d’analyser les arguments mis en avant par les fournisseurs de fonds. Quelle que soit la juridiction, il serait, semble-t-il, judicieux que les fournisseurs de fonds ESG réfléchissent à l’impact qu’ils peuvent raisonnablement fournir et, par conséquent, se posent la question de savoir si certains aspects de leur approche ou communication ne sont pas trompeurs. Enfin, les intermédiaires financiers ont clairement un rôle à jouer pour remettre en cause l’authenticité de l’approche ESG auprès des fournisseurs de fonds.

Comment voyez-vous l’univers des investissements durables évoluer ces prochaines années?

Nous nous attendons surtout à une augmentation du nombre de sociétés qui seront compatibles pour être investies dans notre fonds. Les entrepreneurs sont de plus en plus attirés par les défis que posent les grands problèmes de durabilité de la planète. Et pendant qu’ils se penchent sur ces questions, nous tablons aussi sur une très forte création de valeur tant pour la société que pour les investisseurs qui les soutiennent.

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