Une baisse des taux profitera logiquement aux petites et moyennes capitalisations

Yves Hulmann

5 minutes de lecture

Pour Laurent Denize, co-CIO chez ODDO BHF, les small and mid caps ont une sensibilité plus élevée aux coûts de l’emprunt.

Après une hausse quasi ininterrompue durant le premier semestre, les marchés ont connu une évolution plus contrastée durant le mois de juillet. A quels aspects faudra-t-il être attentif tout au long du second semestre? Le point sur les perspectives pour les marchés avec Laurent Denize, co-CIO chez ODDO BHF.

A la suite de la bonne performance réalisée en première moitié de l’année par la plupart des indices boursiers, valeurs technologiques en tête, qu’anticipez-vous pour le second semestre et à quels aspects faudra-t-il être particulièrement attentif durant la seconde moitié de l’année?

Si l’on revient sur les principaux développements du premier semestre, j’ai été positivement surpris par la bonne tenue de l’économie américaine, caractérisée par un chômage très faible et une consommation toujours solide. La croissance de l’économie américaine reste supérieure à son potentiel de long terme. Pour les entreprises, cela s’est traduit par des marges qui se maintiennent à des niveaux élevés. Quant à savoir si cette tendance va se poursuivre, les chiffres macro-économiques publiés pendant l’été, et la saison des résultats vont être des indicateurs précieux concernant les tendances à venir.

«Il faudra compter avec une décélération de la croissance aux Etats-Unis, une amélioration dans la zone euro et une stabilisation en Chine.»

L’économie américaine a néanmoins ralenti durant le premier trimestre. Ne faut-il pas s’attendre à un ralentissement plus prononcé de la croissance aux Etats-Unis en seconde partie d’année?

Nous sommes davantage sur un mouvement de décélération de la croissance aux Etats-Unis qu’un réel ralentissement. L’aspect réellement déterminant à suivre sera l’évolution du marché du travail. Et il est souvent difficile de se faire une idée précise de la situation compte tenu du décalage qu’il y a entre l’évolution réelle du marché du travail et la façon avec laquelle cela apparaît dans les modèles statistiques. En outre, il y a souvent d’importantes corrections qui sont souvent publiées après-coup. C’est pourquoi, il faut être attentif à ces chiffres mais ne pas non plus surréagir à la publication de chaque statistique.

Concernant la consommation des ménages, deux effets s’opposent. D’un côté, le renchérissement des coûts de l’emprunt a rendu l’accès au crédit plus difficile à un certain nombre de ménages. L’impact est toutefois très graduel et cela ne va pas faire chuter la consommation du jour au lendemain. De l’autre, le mouvement de désinflation que l’on observe depuis l’automne dernier permet peu à peu de reconstituer du pouvoir d'achat pour les ménages.

Le troisième aspect dont il faudra tenir compte aux Etats-Unis ces prochains mois est le risque politique, avec une campagne très tendue entre les camps Démocrates et Républicains ainsi que les développements en lien avec le déficit budgétaire.

De ce côté de l’Atlantique, la situation semble être en train de se stabiliser au Royaume-Uni, avec une inflation qui a ralenti à 2% en mai, tandis que la croissance reste atone en Allemagne et alors que la France est paralysée par une crise politique. Peut-on dégager une tendance d’ensemble pour le Vieux Continent?

Dans l’ensemble, il ne faut pas perdre de vue qu’il y a eu tout au long du 1er semestre une amélioration des surprises économiques. Cela a été le cas surtout au niveau de la composante des services – non pas dans le secteur manufacturier. Toutefois, même dans le second domaine, on peut observer des signes de stabilisation. En outre, comme c’est le cas dans de nombreuses autres régions du monde, l’inflation continue de diminuer dans la zone euro, même si avec 2,5% en juin, elle se situe encore au-dessus du seuil visé des 2% par les banques centrales.

«Nvidia vaut-elle réellement 3’000 milliards ou 2’000 milliards? Il est très difficile de le dire.»

Peut-on compter sur des impulsions positives de la part de la Chine au second semestre?

On assiste à une stabilisation de la croissance du PIB de la Chine qui devrait se situer à peu moins de 5% cette année (ndlr: la croissance a atteint 4,7% en rythme annuel au deuxième trimestre, après 5,3% au premier trimestre). C’est en soi déjà pas si mal mais il ne faut pas sous-estimer l’impact négatif des difficultés liées au secteur de l’immobilier qui continue de peser sur la croissance au cours des prochains trimestres, tandis qu’il n’y a pas de réels signes de reprise au niveau de la consommation. En résumé, sur le plan macroéconomique, il faudra compter avec une décélération de la croissance aux Etats-Unis, une amélioration dans la zone euro et une stabilisation en Chine.

Aucun secteur d’activité n’a recueilli cette année autant d’attention que celui des technologies. Le Nasdaq 100 a bondi de plus de 20% durant le premier semestre. Faut-il compter avec une phase de consolidation dans ce segment et pour les marchés boursiers en général?

Les valorisations des indices dédiés aux valeurs technologiques sont à l’évidence déjà élevées aux Etats-Unis. Pour autant, on constate que le mouvement de hausse peine à être interrompu – même en cas de mauvaise nouvelle affectant telle ou telle valeur phare de façon isolée ou lorsque les attentes concernant les baisses de taux à venir n’ont pas été satisfaites. Pour la Fed, on est passé de 7 baisses de taux escomptées en fin d’année dernière pour 2024 à actuellement 2 baisses de taux jusqu’à la fin de cette année, soit probablement en septembre et décembre. Et pourtant, cela n’a pas vraiment affecté le mouvement de hausse des marchés. Ce ne sont pas 25 points de base en plus ou en moins qui vont modifier de fond en comble la perception des investisseurs au sujet des marchés.

«La politique est un facteur d’incertitude important pour ces prochains mois pour les marchés – davantage même que les incertitudes géopolitiques persistantes.»

Du côté de la Banque centrale européenne (BCE), on s’attend encore à 2 baisses de taux cette année. L’instabilité politique qui résulte des élections en France suite à la dissolution de l’Assemblée nationale apporte de l’eau au moulin des experts qui anticipent encore plusieurs baisses de taux cette année.  Compte tenu des anticipations des baisses de taux encore attendues cette année ou l’an prochain, la configuration globale reste favorable aux actifs risqués. A ce sujet, nous pensons que l’environnement actuel sera plutôt propice aux petites et moyennes capitalisations. Les small and mid caps ont une sensibilité plus élevée aux coûts de l’emprunt car elles ont beaucoup de dette à court terme ou à taux variables. Une baisse des taux devrait logiquement profiter aux petites et moyennes capitalisations du fait qu’elles se traitent avec une décote historiquement marquée de l’ordre de 15 à 20% par rapport aux grandes capitalisations, et cela aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis.

Un autre fait marquant du premier semestre a été l’engouement en lien avec tout ce qui touche à l’intelligence artificielle (IA). N’y a-t-il pas un risque d’emballement autour de ces titres?

Au sujet de l’IA, une des questions fondamentales qui se pose est de savoir quelles sont les catégories de sociétés qui profiteront le plus des développements en lien avec l’IA. Faut-il privilégier les entreprises qui fournissent «la pelle et la pioche» comme on le formule parfois, à savoir celles qui mettent à disposition les équipements nécessaires à son déploiement, à l’exemple du fabricant de cartes graphiques Nvidia ou du fournisseur de puces et de logiciels d’infrastructure comme Broadcom? Ou faut-il plutôt miser sur les sociétés qui aident les entreprises à déployer des solutions dans le domaine de l'IA ? Le choix est difficile à trancher. Une autre question qui va tôt ou tard finir par se poser en lien avec l’intelligence artificielle est celle de la rentabilisation des investissements effectués dans ce domaine. Un moment qui peut s’avérer délicat est celui où les entreprises commenceront à comparer le retour sur investissement ou sur les capitaux employés obtenu au regard des dépenses effectuées pour des projets en lien avec l’IA. Si le retour sur investissement obtenu est jugé décevant, cela pourrait ralentir l’engouement actuel pour l’IA et freiner certains projets ou, plus généralement, remettre en question les valorisations de certains titres liés à l’IA. La capitalisation boursière de Nvidia dépasse actuellement les 3’000 milliards de dollars. Cette société vaut-elle réellement 3’000 milliards ou 2’000 milliards? Il est très difficile de le dire.

Malgré tout, je ne pense pas que l’on puisse comparer l’engouement actuel pour les sociétés liées à l’IA avec la situation qui prévalait à la fin des années 1990 avant l’éclatement de la bulle des «dotcoms». D’une part, parce que la plupart des valeurs liés à l’IA comme Nvidia sont déjà profitables. C’est une différence importante. D’autre part, nombre de grandes entreprises de la Tech impliquées dans ce domaine disposent de piles de cash très importantes. Cela leur permet de procéder rapidement à des acquisitions qui leur permettent de redéployer leurs activités dans les segments ou technologies les plus prometteurs. Microsoft, par exemple, a les moyens nécessaires pour racheter les sociétés et les start-ups les plus à la pointe dans ce domaine ou qui lui apportent le savoir-faire nécessaire pour compléter son portefeuille d’activité.

Les sociétés européennes ont-elles aussi une carte à jouer dans ce domaine?

Beaucoup d’entreprises européennes vont aussi profiter de l’écosystème qui se développe autour de l’IA – même si elles ne seront pas à proprement parler leader dans ce domaine.

Autre question incontournable en matière de prévision, comment faut-il tenir compte des risques géopolitiques dans sa politique de placement au second semestre?

Actuellement, les risques sont plus de nature politique que géopolitique. Près de 60% de la population mondiale a été appelée à voter cette année, cela peut entraîner des réactions inattendues des marchés, même dans des pays considérés comme relativement stables. En Inde, par exemple, la réélection de Narendra Modi, avec un score un peu moins favorable que prévu en juin dernier, a suffit à faire chuter la bourse indienne momentanément. L’instabilité politique en France n’est pas bonne pour la confiance des investisseurs et elle peut constituer un frein aux investissements. S’y ajoutent bien sûr les incertitudes en lien avec l’élection présidentielle de novembre aux Etats-Unis. En Allemagne, la solidité de la coalition autour du chancelier Olaf Scholz est aussi souvent questionnée. La politique est un facteur d’incertitude important pour ces prochains mois pour les marchés – davantage même que les incertitudes géopolitiques persistantes en lien tels que l’évolution des prix du pétrole, la guerre en Ukraine ou la situation au Moyen-Orient.

A lire aussi...