Les délibérations du jury des SSFA s’appuient sur l’information exhaustive fournie à ses membres. Entretien avec René Sieber de l’Université de Genève.
Performance ajustée au risque, évaluation ESG innovante et décisions prises par un jury indépendant et représentatif des différents segments du monde de l’investissement, les Swiss Sustainable Funds Awards (SSFA) allient les ingrédients nécessaires pour offrir aux investisseurs les instruments qui répondent avec justesse à leur sensibilité en matière d’ESG. Quelques questions au président du jury, René Sieber, professeur de finance à l’Université de Genève et administrateur d’Ethos Services depuis près de deux décennies, à l’occasion de la 3e édition.
Ces prix sont pertinents pour plusieurs raisons. Ils prennent d’abord en compte tous les fonds distribués en Suisse, se déclarant éthiques ou durables, sans qu’il soit nécessaire de s’inscrire et de payer une finance d’inscription. Ensuite, et plus fondamentalement, les décisions sont prises par un jury réellement indépendant regroupant des compétences complémentaires et reconnues, notamment en matière d’ISR. Au niveau de sa composition, le jury est également représentatif des différents segments du monde de l’investissement. Les décisions s’appuient par ailleurs sur une information substantielle combinant la performance ajustée pour le risque des fonds candidats et une évaluation ESG innovante et robuste de leurs investissements. Le jury peut ainsi sélectionner les fonds ayant su allier au mieux durabilité et performance financière, et offrir dans l’univers de plus en plus complexe de l’ISR un référentiel suisse fiable.
ou éthique sera moins susceptible d'être nominé.»
La première partie de la question est délicate. Face à l’urgence climatique, la réponse me semble clairement être oui, mais chacun a sa propre vision de cette urgence et du niveau auquel il faudrait placer le curseur en matière de mesures à mettre en œuvre. Cela ne concerne d’ailleurs pas que les problématiques environnementales de l’ESG, mais aussi la dimension sociale et celle de gouvernance. A cet égard, les Awards devraient permettre aux investisseurs de mieux se diriger, en leur fournissant le référentiel fiable mentionné précédemment, les fonds nominés pouvant dans l’ensemble être considérés comme ayant une approche résolument durable.
Effectivement. Avec l’accroissement substantiel de l’offre de produits d’investissements, notamment au cours des dernière années, le risque de «green washing» ou de «green wishing» n’est pas à négliger. Réduire ce risque est d’ailleurs l’un des objectifs de la taxonomie européenne. Les Awards vont dans le même sens, en validant des pratiques qui ne sont pas minimalistes. L'analyse des résultats suggère qu'un fonds appliquant uniquement un simple filtrage normatif ou éthique sera moins susceptible d'être nominé.
Le processus sous-jacent aux délibérations du jury s’appuie d’abord sur l’information assez exhaustive fournie à ses membres. Celle-ci intègre notamment pour l’analyse du contenu ESG des fonds candidats pour une nomination - les fonds affichant une surperformance sur trois ans – une approche multi-source robuste. Ensuite, comme chaque membre fait ses propres choix et sélectionne les cinq fonds qu’il juge les meilleurs dans chaque catégorie, la pertinence du processus repose aussi sur la représentativité du jury déjà évoquée. Bien que les fonds qualifiés n'appliquent pas tous les mêmes styles de durabilité, les sélections individuelles ont souvent été les mêmes. Or, cette relative homogénéité des choix atteste certainement aussi de la pertinence du processus mis en œuvre.
La méthodologie est clairement appelée à devoir évoluer avec le temps, comme elle l’a été depuis la première édition de 2019. Chaque nouvelle édition permet d’appréhender des aspects qui pourraient être améliorés, que cela soit au niveau des analyses et de l’information utilisées, de l’organisation des délibérations du jury ou des règles visant à assurer son indépendance et sa représentativité.
Cette question soulève depuis de très nombreuses années un vrai débat, alimenté par une assez abondante recherche empirique. Longtemps c’était plutôt la thèse d’une sous-performance financière liée à la prise en compte de critères ESG que l’on cherchait à accréditer. Aujourd’hui, c’est davantage, voire de plus en plus, le contraire qui est démontré, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Cela doit toutefois être replacé dans le contexte de la réallocation de portefeuille majeure qu’implique la «conversion» massive à l’ISR des dernières années.
Cette taxonomie fait partie de l’important arsenal réglementaire mis en place par l’Union européenne dans le cadre des efforts globaux déployés par celle-ci en vue de parvenir à la neutralité climatique d'ici à 2050. En fournissant une classification des activités pouvant être considérées comme durables, elle constitue l’une des principales mesures de son plan d’action «Financer la Croissance Durable» de mars 2018, plan qui vise notamment à réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables. Elle implique des changements majeurs pour le marché des produits financiers en Europe, et ne manquera pas d’impacter ce marché en Suisse.
Outre le fait que cette taxonomie se concentre prioritairement sur l’environnement et, en particulier, sur le climat, cette démarche soulève aussi la question très délicate du rôle des groupes d’intérêts dans la définition de normes, à l’image du processus en cours sur l’opportunité d’inclure ou non le nucléaire.
Dans le cadre d’Awards qui cherchent à prendre en compte les trois dimensions des critères ESG et dont le processus de délibération s’appuie sur une représentativité aussi large que possible des sensibilités en matière d’ISR, un alignement pur et simple sur cette taxonomie nuirait certainement à leur pertinence. En revanche, cette taxonomie va clairement contribuer à étoffer l’information qui pourra être utilisée.
La charte mise en place est un élément-clé de la gouvernance des Awards. Elle vise prioritairement à assurer l’indépendance et la représentativité du jury. Elle a aussi permis d’intégrer des règles strictes pour la gestion des potentiels conflits d’intérêt. Enfin, elle a introduit des limites temporelles pour les mandats, soit un maximum de quatre ans pour les membres et de trois ans pour la présidence. Dans un domaine en constante mutation, un renouvellement régulier du jury paraît en effet indispensable afin d’assurer la pérennité du prix comme référentiel fiable.
Sur la base de la charte, j’ai encore la possibilité d’assurer la présidence du jury pour l’édition 2022, puis de fonctionner pour une année supplémentaire comme membre. Ensuite ... dans le cadre d’autres mandats et projets, je poursuivrai mon engagement dans l’ISR que j’ai entamé il y a vingt ans lorsque j’ai rejoint le conseil d’administration d’Ethos Services SA, l’entité opérationnelle de la Fondation Ethos. Le champ de l’ISR est tellement vaste.