«Building Bridges ne sera un succès que si les évènements organisés sont pertinents et aboutissent à des résultats concrets». Entretien avec Patrick Odier, président de Building Bridges.
Genève est la capitale de la finance durable à compter d’aujourd’hui, et pour quatre jours. Conçu pour établir une passerelle entre les organisations internationales et non gouvernementales, le secteur financier et les autorités politiques, Building Bridges étend encore sa portée en s’ouvrant à une foison de rencontres de toutes natures pour sa deuxième édition. Très motivé par la concrétisation de sa vision, «faire de la semaine genevoise un prolongement de la COP26», Patrick Odier, champion de l’initiative, constate un intérêt inédit. Il a la conviction que cette semaine sera déterminante pour l’avancement de la finance durable, en estimant toutefois que le passage à des actions concrètes sera le principal critère de mesure du succès. Entretien.
Il n’y a aucune dispersion mais au contraire une démonstration de la richesse de la communauté. Ce sera une semaine de révélations car certains projets seront portés à la connaissance du public au cours de la semaine. Il est bien évident que la matérialité et la faisabilité des solutions apportées restera un point fondamental, et que l’initiative ne sera un succès que si les évènements qui y prendront place sont pertinents et aboutissent à quelque chose de concret. Reste donc à passer aux actes tangibles et mesurables. Et à lancer un momentum … si possible vertueux.
Ils sont issus de la première édition de Building Bridges et d’une réflexion partagée du secteur financier, des Nations Unies et des autorités suisses. Pour ce qui est du premier axe, il existe un clair besoin de faire progresser l’adéquation entre offre et demande de financement en ligne avec les Objectifs de développement durable (ODD). En d’autres termes, comment amener le capital public et le capital privé à financer de concert les ODD? Quels mécanismes mettre en œuvre pour mener à bien le financement mixte1 public-privé pour que chacun y trouve son compte? Le deuxième axe, «impact et transparence», trouve tout son sens dans la capacité de démontrer les résultats tangibles évoqués plus haut. Quelles informations doivent divulguer les entreprises pour que leur impact soit mesurable et comment en surveille-t-on l’évolution? Ne pas couvrir cet aspect de l’équation reviendrait à ne faire des engagements que des vœux pieux … de l’écoblanchiment. Le troisième axe parle de lui-même et les exemples foisonnent : de la durabilité dans la production cimentière à celle de l’usage des emballages. Plus important encore, comment la technologie permettra-t-elle d’identifier des solutions qui n’existent pas encore. Je pense ici, par exemple, à l’optimisation de l’agriculture mondiale par l’intelligence géospatiale. Trois axes donc, pour faire éclore une large palette de solutions.
Si la Suisse avait fait partie de l’Union européenne, nous aurions vraisemblablement obtenu ce siège. Ceci dit, des réflexions dans ce domaine se déroulent déjà à Genève et le dialogue sera donc permanent. Le World Economic Forum (WEF), pour ne citer que lui, y joue un rôle prépondérant et Genève ne sera en rien écartée de cette thématique.
Les responsabilités sont partagées et chacun doit jouer son rôle. Je ne suis pas adepte de l’interventionnisme d’Etat mais l’économie de marché a montré ses limites en matière de croissance durable et ne fait pas toujours preuve de suffisamment d’autodiscipline. Toutefois, le marché et la finance peuvent prendre l’initiative. Dans le domaine de la mobilité par exemple, les véhicules électriques se sont développés plus rapidement que prévu, ce qui a permis aux Etats de raccourcir leurs objectifs passés de 2035 à 2030. Chacun a sa place: l’Etat crée un signal, le marché réagit, la finance catalyse et c’est la naissance d’un cercle vertueux.
Certes, et viennent à l’esprit les subventions aux énergies fossiles. Mais il faut comprendre que l’Etat est souvent confronté à des priorités contradictoires par exemple entre enjeux sociaux et industriels, un dilemme que l’économie de marché n’a pas à confronter. Le capital privé pourrait plus simplement décider de ne plus financer ni charbon ni déforestation.
Le premier rôle de la finance est effectivement d’irriguer l’économie. Sa deuxième mission est de protéger l’épargne. Et dans ce cadre, il est reconnu que la transformation durable est protectrice. Que diriez-vous si je plaçais votre épargne dans les énergies fossiles et ne vous conseillais pas les technologies du futur? En assumant correctement sa responsabilité fiduciaire, le secteur financier se doit de bien comprendre la situation et de mitiger les risques. L’investissement durable offre des opportunités de rendement et de gestion des risques sans précédent.
La finance durable s’imposera d’elle-même. Sur le long terme, l’investissement sera durable ou ne sera pas. On peut investir dans le pétrole et espérer un gain à court terme, mais on est assuré de voir les risques rapidement augmenter à moyen terme. La finance doit savoir prendre en compte les externalités tant positives que négative du développement économique.
Le soutien des autorités en Suisse est fort et a permis la promotion d’une réflexion commune pour établir le cadre. C’est particulièrement vrai du Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI) avec lequel le dialogue est très profitable. Nous observons également un bourgeonnement réjouissant au niveau des autorités cantonales. Par contre, il me parait dangereux que les autorités administratives s’immiscent dans les pratiques bancaires. Elles doivent fixer des conditions cadres, mais éviter d’intervenir au niveau opérationnel.