Un moment critique dans la finance durable

Salima Barragan

2 minutes de lecture

«Nous progresserons sur les enjeux matériels dès que la soutenabilité sera clairement définie», déclare Ben Peters d’Evenlode.

C’est à bord d’une Tesla noire que Ben Peters, docteur en physique et co-fondateur d’Evenlode, a roulé depuis le Royaume-Uni jusqu’à Genève afin de commenter le rapport annuel extra-financier de son portefeuille. Le directeur de la société de gestion, basée dans la campagne du comté d’Oxfordshire, sillonne l’Europe avec un véhicule électrique afin de réduire son empreinte carbone. Il estime que la finance durable entre dans un moment critique pour revendiquer la soutenabilité. Entretien.

Racontez-nous votre voyage à bord d’une voiture électrique.

J’ai l’habitude de rendre visite à mes clients européens en véhicule électrique. La conduite ne me dérange pas. Ce voyage me permet d’échanger de manière informelle avec mon collègue également à bord, ou d’effectuer des conférences téléphoniques. La voiture (ndlr: une Tesla) dispose d’un bon réseau de bornes électriques et l’ordinateur de bord affiche toutes les informations nécessaires au bon déroulement du trajet.

Pourquoi avez-vous choisi de baser votre société dans la campagne, à 90 kilomètres de Londres, et non dans la City?

Nous ne sommes pas une société comme les autres!  Effectivement, certains de nos employés résidant à Londres font des déplacements pendulaires inversés.

Un des raisons historiques provient des activités de gestion de fortune, que nous avons aujourd’hui séparées de la gestion d’actifs. Mais cette approche délibérée est aussi en relation avec notre philosophie d’investissement. Travailler en retrait de l’agitation de la City nous permet de prendre du recul dans nos réflexions, de préserver notre indépendance et de nous protéger des biais cognitifs. Je me rends tout de même deux fois par semaine à Londres, notamment pour rencontrer les CFO des sociétés dans lesquelles nous investissons.

Il n’est pas réaliste d’imaginer la fin de la chaine logistique globale, bien qu’elle ait un peu diminué en raison du COVID-19.
Quel point saillant ressort du rapport extra-financier de l’exercice 2022 que vous présentez à Genève?

Nous évaluons les émissions de CO2 de nos investissements afin de mieux comprendre leur impact sur le climat. Au fil des ans les émissions ont diminué. Mais nous avons constaté cette année que la plupart d’entre elles ne sont pas émises directement par les sociétés détenues, mais sont associées à leurs chaines logistiques. Nous incitons les sociétés dans lesquelles nous sommes engagées à s’atteler à ce point critique qui contribuera à diminuer les émissions futures.

Pensez-vous que la globalisation soit en cause, et quelles solutions apportez-vous?

Il n’est pas réaliste d’imaginer la fin de la chaine logistique globale, bien qu’elle ait un peu diminué en raison du COVID-19. Nous entendons parler de relocalisation, mais le changement n’est pas significatif. Les entreprises doivent trouver des solutions au niveau de la chaine d’approvisionnement.

Nous avons établi un partenariat de long terme avec l’équipementier Adidas qui ne s’occupe plus que de la conception et du marketing de ses produits. Ces derniers sont fabriqués au Vietnam. Lorsque nous nous sommes engagés avec Adidas sur sa stratégie de développement durable, nous avons pris connaissance des négociations sur les accords d'achat d'électricité menées par les fournisseurs locaux et les autorités vietnamiennes afin d'améliorer le cadre juridique relatif aux énergies renouvelables, car le Vietnam peut en produire en grandes quantités. C'est une initiative que nous soutenons pleinement en tant qu'investisseurs dans l'entreprise.

Quelle est la méthodologie du rapport?

Notre analyse couvre les émissions proportionnellement à notre participation dans ces entreprises. Nous regardons les émissions provenant du carburant et de l'électricité utilisés directement par ces dernières, par exemple pour chauffer et éclairer les bureaux, faire fonctionner les machines et les véhicules. Pour notre analyse, nous avons utilisé la base de données complète sur les émissions de gaz à effet de serre du Carbon Disclosure Project (CDP), qui rassemble les rapports des entreprises sur leurs émissions et comble les lacunes par des estimations modélisées.

Quels sont les résultats de votre rapport pour 2022 et comment les comparez-vous à la vie quotidienne et aux indice globaux?

Les émissions associées à l'investissement de 10’000 livres dans l'un de nos fonds se situent entre 0,6 à 2,4 tonnes d'équivalent CO2, ou entre 25 et 56 kilogrammes. À titre d'exemple, les émissions moyennes par habitant pour les résidents du Royaume-Uni sont de 4,8 tonnes par an, ou de 13 tonnes par an si l'on tient compte des importations d'autres pays.

Ce chiffre est plusieurs fois inférieur à un investissement équivalent de 10’000 livres sur l'indice MSCI World ou l'indice FTSE All- Share, nos indices de référence. La différence provient principalement de la faible exposition des fonds Evenlode aux secteurs à forte consommation d'énergie, tels que l'industrie énergétique elle-même, les services publics, les matériaux et l'immobilier.

Un grand débat s’articule autour de l’interprétation d’un actif durable. Quelle en est votre définition?

Le risque est que la durabilité perde de son sens. Nous parlons ici précisément de décarbonisation, d’alignement avec le net zéro. Mais elle englobe aussi la soutenabilité d’un modèle d’affaires. Nous aimerions étendre cette définition à la biodiversité, au capital naturel et aux problèmes sociaux.

La question de la durabilité est apparue il y a environ 6 ans, mais aujourd’hui nous entendons une pléthore de définitions différentes qui portent à confusion. Nous arrivons à un moment critique pour la revendication de la durabilité. Une fois ces questions réglées, nous pourrons progresser sur les enjeux matériels comme le carbone.

A lire aussi...