Un engouement passager?

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

La finance durable est là pour rester. La Suisse doit se positionner en leader. Entretien avec Thomas Vellacott du WWF Suisse.

En matière de défense de l’environnement, le Fonds Mondial pour la nature - plus connu sous le sigle WWF -, est de tous les combats: préservation de la faune, protection des océans, conservation des forêts, lutte contre le gaspillage alimentaire. Voué depuis sa création à la protection de l’environnement et à la conception d’un avenir harmonieux pour les générations futures, il s’engage à faire appliquer l’Accord de Paris sur le climat dont l’objectif est de limiter la hausse des températures à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. L’un des corollaires de cet Accord est l’alignement du secteur financier sur cet objectif, nécessitant de rediriger les flux financiers pour modeler une économie qui préserve les fondements de notre vie. Dans cet esprit, le WWF Suisse publiait en septembre, à l’intention des acteurs financiers suisses, une réflexion et des recommandations relatives à la finance durable1. Entretien avec Thomas Vellacott, directeur du WWF Suisse à l'occasion du Zurich Forum For Sustainable Investment (ZFSI).

Votre thème au ZFSI est «La finance durable est-elle une mégatendance ou un engouement passager»2. Quelle réponse?

Ce n’est évidemment pas un engouement passager. Même si en observant certains acteurs, on pourrait le penser, considérant la manière dont ils «réadaptent» certains projets avec légèreté. Notons toutefois que le changement est assez profond au sein du secteur. Il y a 5 ou 10 ans, à l’exception de quelques pionniers, les établissements financiers n’offraient qu’un ou deux projets en apparence durables destinés aux clients de niche. Ce n’est plus le cas aujourd’hui même si, malheureusement, certaines institutions traitent encore le marché de cette manière. Les investisseurs ne l’acceptent plus; ils exigent des comportements cohérents; ils s’interrogent pour savoir si une banque «fait du durable» par effet de mode ou si elle est sincère et si cette approche est réellement ancrée dans ses normes et pratiques, y compris dans l’octroi de crédits. 

«Sans engagement de l’ensemble du secteur financier,
aucune mise en œuvre ne sera possible.»
Pour parvenir à l’objectif de zéro émission nette préconisé dans votre rapport, il faudrait une refonte de notre système économique. Quelle serait la contribution du secteur financier dans cette refonte?

Cette refonte nécessite un mouvement de fond où doivent s’engager non seulement les financiers, mais aussi les politiques, les entreprises et les consommateurs. Le rôle des lois et des réglementations est absolument essentiel. Mais sans engagement de l’ensemble du secteur financier, aucune mise en œuvre ne sera possible.

On observe toutefois des divergences entre les gouvernements, sur le nucléaire par exemple.

Ce débat traine depuis 40 ans. En réalité, les projets nucléaires ne sont plus viables économiquement. Regardez les dérapages successifs de Flamanville (qui a des années de retard et dont le coût a sextuplé) ou de la centrale de Hinkley Point en Grande-Bretagne qui ne vaut guère mieux. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, il ne faut attendre presque aucune croissance dans le secteur du nucléaire. Or, il ne nous reste que 10 à 15 ans pour résoudre la crise climatique et il ne semble donc pas que la solution se trouve de ce côté-là. Il me paraît infiniment plus important de fixer un prix correct sur les émissions de carbone dont le prix actuellement ne couvrent pas les coûts des dommages que ces émissions causent.

Les choix restent souvent ambigus. Peut-on, par exemple, continuer à financer les producteurs d’énergie fossile si, par ailleurs, ils s’engagent à développer des énergies propres, sans émission de CO2?

Une chose est sûre: pour atteindre l’objectif de zéro émission nette à l’échelle mondiale d’ici à 2050, il est nécessaire à court-terme d’abandonner complètement le financement des énergies fossiles polluantes. 

Une grande partie des recommandations de votre rapport s’adresse au gouvernement suisse. Avez-vous le sentiment d’y être écouté?

Force est de reconnaître que l’on nous y écoute bien plus qu’il y a cinq ans. Prenons un exemple: la Banque nationale suisse (BNS) cherche actuellement un expert en développement durable. Je n’y aurais pas cru il y a trois ans! La création, il y a deux ans, du Network for Greening the Financial System (NGFS) qui réunit à présent 69 régulateurs financiers et banques centrales, est également un signe que les temps changent.

«Nous avons besoin d’études et de notations précises pour distinguer
qui est crédible en matière de durabilité et qui se contente de marketing.»
La Suisse ne représente qu’une petite partie des flux financiers. Son rôle est-il néanmoins critique et à quel titre?

Rappelons d’abord que l’Accord de Paris est à respecter par l’ensemble des pays signataires, indépendamment de leur taille. On n’est jamais trop petit pour bien faire. Outre cette considération, avec plus du quart des actifs sous gestion privés mondiaux, la Suisse n’est pas un petit joueur dans le monde de la finance et on l’écoute. D’après Swiss Sustainable Finance, un tiers des actifs sous gestion suisses sont gérés durablement. Mais ces chiffres sont établis sur la base d’autodéclarations sans assurance d’impact positif sur le climat. Selon l’Alliance climatique, les émissions de CO2 des portefeuilles gérés en Suisse sont 20 fois plus élevées que celles émises sur le territoire suisse. Ce que nous proposons au secteur financier suisse est de se positionner en leader de la durabilité en étant particulièrement attentif à la qualité et aux standards. Nous avons besoin d’études et de notations précises pour distinguer qui est crédible en matière de durabilité et qui se contente de marketing.

Comment traduire les découvertes scientifiques en directives gérables/utilisables pour guider la finance?

C’est une question clé. Le WWF s’engage beaucoup dans la mise en place de systèmes de gestion des risques qui tiennent compte des risques environnementaux identifiés par les scientifiques. C’est la raison pour laquelle nous participons à la coalition Science Based Targets. Dans le même esprit nous avons rejoint la task-force sur la biodiversité (Task-Force for Nature-related Financial Disclosure, TNFD), une initiative récente similaire à la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD). En janvier 2020, nous avons publié le rapport Nature is too big to fail où l’on montre l’impact de la perte de biodiversité sur le secteur financier et où l’on formule des recommandations pour intégrer les risques liés à cette perte. Le WWF continue de se pencher sur le sujet.

L’une de vos recommandations les plus créatives est d’inclure le coût des externalités négatives au/sur le climat et la biodiversité dans le prix des biens. Cette mesure serait très efficace mais est-elle réalisable?

Des solutions, bien qu’imparfaites, permettent d’évaluer les externalités et existent déjà dans de nombreux pays. Ensuite, c’est affaire de lois. Mais cela est déjà mis en œuvre dans certains domaines. En Suisse par exemple, il existe une taxe sur les camions liée aux coûts des externalités négatives qu’ils génèrent et la nouvelle loi suisse sur le CO2 prévoit d’ajouter une taxe carbone sur le prix des billets d’avion. En plus des mesures gouvernementales, les entreprises ont déjà mis en place des systèmes permettant de facturer un prix pour le CO2 dans leurs achats internes. Cela encourage ainsi les consommateurs à acheter des produits ayant une empreinte carbone plus faible.

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