Tirer parti des valorisations plus modestes des actions européennes

Yves Hulmann

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Beaucoup de sociétés européennes se traitent avec une importante décote par rapport à des entreprises américaines qui ont un profil largement similaire, observe Kevin Thozet de Carmignac.

 

Les marchés entameront la semaine prochaine une nouvelle étape importante avec le début de la saison de la publication des résultats de nombreuses grandes entreprises et avec l’entrée en fonction de Donald Trump. Que faut-il attendre en matière de croissance, de politique monétaire et en ce qui concerne l’évolution des marchés des deux côtés de l’Atlantique en 2025? Tour d’horizon de ces questions avec Kevin Thozet, membre du comité d’investissement de Carmignac.

Entre, d’un côté, des baisses de taux désormais moins prononcées attendues de la part des banques centrales, en particulier en ce qui concerne la Fed, et, de l’autre, l’entrée en fonction de Donald Trump qui a, jusqu’ici, été bien accueillie par les marchés, quels sont les facteurs qui devraient le plus influencer les marchés au cours des prochaines semaines?

L’entrée en fonction de Donald Trump le 20 janvier a présenté, du point de vue des marchés, des aspects positifs jusqu’à présent, mais il pourrait semer les graines de sa propre chute. Ce qui a été appelé le «Trump Trade» a été largement porté par les attentes attentes de nouvelles baisses d’impôts, d’une moindre régulation pour les entreprises et de la prolongation de l’exceptionnalisme américain. A l’opposé, si une confiance accrue dans le secteur privé est plus positive pour la croissance, elle l’est aussi pour la trajectoire des prix. Cela, ajouté à l’impact possible de l’introduction de droits de douane et aux attentes, de manière générale, plus prudentes concernant de futures baisses de taux de la part des banques centrales, compte tenu du maintien de l’inflation à des niveaux plus élevés que ce qui était attendu il y a quelques mois encore, devrait plutôt freiner l’enthousiasme des marchés. La combinaison d’un cycle de baisse des taux qui ne durera pas aussi longtemps que ce qui était largement anticipées par les marchés et le fait qu’une inflation pourrait persister plus longtemps résulte en des projections un peu moins positives pour les marchés d’un point de vue macroéconomique. Ce n’est toutefois qu’une partie de l’équation – les résultats publiés par les entreprises à partir de la mi-janvier et leurs attentes pour 2025 auront aussi un grand impact sur l’évolution des marchés. Les prévisions devront être solides pour que les marchés continuent à se renforcer à partir de niveaux d’évaluation historiquement élevés.

«Si la BCE procède à quatre baisses en 2025 tandis que la Fed reste immobile, une faiblesse de l'euro pourrait soulever des inquiétudes quant à l'inflation importée.»

En Europe, les attentes en matière de baisses de taux étaient importantes en fin d’année. Les statistiques récentes vont toutefois plutôt dans le sens d’une inflation persistante. Selon les données d'Eurostat publiées début janvier, l’inflation dans la zone euro a progressé de 0,2 point en décembre, à 2,4% sur un an. Outre-Rhin, l’inflation en Allemagne est remontée à 2,6% sur un an en décembre, soit plus fortement qu’attendu. Cela ne pourrait-il pas remettre en question la politique d'assouplissement des taux attendue du côté de la BCE?  

En effet, l'inflation dans la zone euro a augmenté pour la troisième fois consécutive, les composantes de base restant tenaces. Mais cela était quelque peu attendu. Que ce soit à cause de potentiels tarifs imposés par Washington ou de freins budgétaires induits par Bruxelles, la trajectoire à venir ne laisse pas vraiment présager une amélioration macroéconomique significative. Cela fait donc de la BCE le candidat le plus probable pour prendre en charge les mesures de soutien. Cependant, le potentiel de trajectoires divergentes en matière de politiques monétaires de part et d'autre de l'Atlantique pourrait freiner la volonté de la BCE d'abaisser les taux. En effet, si la BCE procède à quatre baisses en 2025 tandis que la Fed reste immobile, une faiblesse de l'euro pourrait soulever des inquiétudes quant à l'inflation importée – ainsi que l'ire du nouvel occupant de la Maison-Blanche.

Les projections concernant la croissance dans la zone euro restent très modérées en 2025. La croissance du PIB de la zone euro devrait atteindre 1,3% en 2025 selon la BCE. Qu’est-ce qui pourrait entraîner une relance de la croissance sur le Vieux Continent?  

Les attentes de croissance sont désormais plutôt aux environs de 1% pour la zone euro cette année. Pour l’instant, les grandes économies de la zone euro, à commencer par l’Allemagne, ne devraient probablement pas compter sur une demande extérieure dynamique. En revanche, le fait que l’inflation ait reculé tout au long de 2024 a redonné du pouvoir d’achat aux ménages. L’évolution des salaires réels est à nouveau positive. Le fait que les taux ont baissé rendra aussi l’épargne moins attractive, alors que l’investissement, par exemple dans l’immobilier, le deviendra davantage. Les rendements des fonds du marché monétaire sur l’ensemble du continent sont inférieurs à l’inflation. En France, le taux d’épargne est remonté à un niveau de 18% - un niveau élevé même en comparaison avec l’histoire de la France. C’est pourquoi, s’il faut attendre une reprise en Europe, elle viendra davantage de la consommation des ménages que des mesures de relance de la politique budgétaire. Concernant l’économie allemande, il ne faut pas trop attendre d’impulsions provenant de la Chine avant les Deux Sessions. Mais une surprise positive pourrait se produire dès février. Une fois les élections seront passés, la situation pourrait s’améliorer, car une large majorité disposerait de la marge nécessaire pour permettre des changements constitutionnels favorisant la possibilité d’une plus grande souplesse budgétaire.

«Ce qu’il manque à la Chine, ce sont des mesures de relance plus traditionnelles, en particulier via la consommation.»

Au sujet de la Chine, que faut-il attendre des mesures de relance annoncées depuis l’automne dernier par Pékin?

Côté positif, la Chine a mis sur pied des plans de soutien sur le plan monétaire, dans l’immobilier et pris des mesures soutenant le marché des actions. Elle a également signalé un «policy put» qui fixe un plancher à la croissance économique. C’est en soi positif mais pas suffisant. Ce qu’il manque à la Chine, ce sont des mesures de relance plus traditionnelles, en particulier via la consommation. Il y a en quelque sorte une reprise à deux vitesses en Chine: c’est le cas pour le secteur industriel qui exporte à nouveau beaucoup. En revanche, la reprise des dépenses d’investissement reste fragile. Des mesures ont été prises mais elles ne suffiront probablement pas pour atteindre un taux de croissance de 5% ou plus en Chine comme on y était habitué jusqu’à il y a quelques années. Il y a un possible risque de «japonification» de l’économie chinoise. Il sera très intéressant de voir quelles seront les mesures annoncées par le parti communiste en mars prochain lors de sa réunion plénière annuelle. Après l’entrée en fonction de Donald Trump en janvier et les élections allemandes en février, il s’agira d’un autre moment clé à suivre en 2025.

Si l’on revient aux perspectives pour les marchés des actions, comment analysez-vous l’écart très marqué en Europe entre la très bonne performance l’an dernier du DAX (+21% sur un an), celle à peu près nulle du CAC 40 en France et celle très mitigée du SMI (+4%) et faut-il s’attendre à la poursuite d’un telle surperformance de la bourse de Francfort en 2025?

Il faut toujours tenir compte de la dimension sectorielle spécifique de chaque indice qui ne reflète parfois pas du tout celle de l’économie dans son ensemble, ni même celle du reste du marché des actions d’un même pays. En Allemagne, la hausse de la bourse de Francfort a été portée surtout par les grandes capitalisations du DAX, soutenue par la performance en seconde moitié d’année 2024 de quelques titres comme SAP ou Airbus par exemple. Ces grands groupes ne réalisent qu’environ un sixième de leur chiffre d’affaires en Allemagne, tout le reste à l’international. Si vous descendez au niveau de l’indice des moyennes capitalisations allemandes du MDAX, la performance a même été négative l’an dernier. En 2025, ces deux tendances opposées vont certainement se poursuivre: d’un côté, le secteur automobile, notamment, restera pénalisé par la faiblesse des ventes et la concurrence en provenance de Chine. De l’autre, la tendance restera positive pour des titres comme SAP qui tire parti de la numérisation ou Airbus qui bénéficie toujours d’une forte demande, aussi en partie en raison des difficultés de Boeing.

«Les actions américaines se traitent en moyenne avec un multiple des bénéfices de l’ordre de 22, alors que les actions européennes se négocient aux environs de 13 fois leurs bénéfices estimés pour cette année.»

2024 a été marqué par l’écart qui s’est creusé entre les marchés des actions américaines et européennes. N’est-ce pas l’occasion de miser sur un rebond des valeurs européennes, dont la valorisation est beaucoup plus faible que celle des titres américains?

Concernant les actions américaines, il faut bien sûr tenir compte de l’impact des sociétés regroupées parmi les 7 Magnifiques sur le reste du marché. En excluant ces titres, l’écart en termes de performance et de valorisation apparaît un peu moins spectaculaire. Néanmoins, les actions américaines se traitent en moyenne avec un multiple des bénéfices de l’ordre de 22, alors que les actions européennes se négocient aux environs de 13 fois leurs bénéfices estimés pour cette année. 

Maintenant, en termes d’allocation d’actifs, cette situation peut être une opportunité intéressante à exploiter lorsque l’on veut s’exposer à certains secteurs. Dans le secteur aérien, l’action d’Airbus affiche toujours une valorisation inférieure à celle de Boeing, même après la forte correction de l’action de la société américaine subie en 2024. Parmi les équipementiers liés au secteur de l’énergie, le français Scheider Electric est actif dans la même branche que l’américain Eaton, avec un profil très similaire, et pourtant les valorisations sont à mille lieues les unes des autres. 

Dans le secteur pharmaceutique, plusieurs sociétés ont tiré parti de l’essor des traitements anti-obésité (GLP1). Or, ici aussi, l’action de la société danoise Novo Nordisk se traite actuellement toujours avec une nette décote par rapport à celle d’Eli Lilly aux Etats-Unis. 

Même chose dans l’agroalimentaire en ce qui concerne Nestlé, dont le titre se traite avec un multiple de bénéfices très inférieur à celui de l’action de Mondelez aux Etats-Unis. Les deux titres ont corrigé fortement durant le deuxième semestre mais Nestlé se traite toujours avec une forte décote. 

Bref, pour ces différents secteurs, il est possible de continuer à rester investi dans la thématique – par exemple, l’aéronautique, la santé ou la numérisation – tout en diversifiant ses placements avec des titres hors des Etats-Unis, compte tenu de leur coût relatif attractif.

«Le français Scheider Electric est actif dans la même branche que l’américain Eaton, avec un profil très similaire, et pourtant les valorisations sont à mille lieues les unes des autres.»

S’agissant de la tech et de l’IA, il apparaît en revanche difficile d’échapper à l’ «exceptionalisme» des entreprises américaines en lien avec cette thématique?

Il est vrai que les entreprises américaines disposent ici d’un avantage compétitif important par rapport à l’Europe. Cet exceptionalisme va certainement perdurer pour les valeurs technologiques aussi en 2025. Toutefois, ici aussi, il faut être attentif à l’aspect de la valorisation. Si vous prenez l’exemple de Nvidia, cette société continue d’afficher trimestre après trimestre une croissance de ses revenus de l’ordre de 15 à 20%. Pourtant, en bourse, l’action a bondi de 150% durant le premier semestre 2024, puis de seulement 8% durant le second semestre. Cela en dit long sur le niveau des attentes. 

De notre côté, nous allons continuer à être exposés à cette thématique mais en investissant dans des entreprises technologiques un peu plus «traditionnelles», à l’exemple d’Amazon par exemple. Dans les semi-conducteurs, ce sera le cas d’une valeur comme TSMC plutôt que celle de Nvidia. 
Nous n’allons pas oublier le thème de la tech et de l’IA mais nous allons l’aborder de manière un peu différente cette année, en étant encore plus soucieux de la valorisation. 

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