Thématique de rattrapage

Salima Barragan

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Emmanuel Kragen de Kepler Cheuvreux Solutions s’attend à une surperformance du style Value de 5 à 10% d’ici 12 mois.

En un peu plus d’un an, le rallye des actions a mené les valorisations à leur zénith. Le retour de l’inflation viendra-t-il jouer les trouble-fêtes? Constructif sur les marchés pour les 6 prochains mois, Emmanuel Kragen, Stratégiste Cross Asset chez Kepler Cheuvreux Solutions, estime que la dynamique des révisions bénéficiaires reste très forte, mais tous les secteurs ne seront pas égaux: les valeurs financières, foncières ou encore des loisirs, qui restent très décotées, offrent le plus grand potentiel de rattrapage. Entretien.

Quels développements économiques attendez-vous?

La reprise s’annonce globalement forte malgré certaines divergences entre les régions. La Chine a retrouvé son niveau de croissance pré-Covid. Les Etats-Unis ont été très pénalisés par la pandémie mais leur croissance est repartie en fanfare avec l’arrivée des plans budgétaires qui ont provoqué une croissance supérieure à ce qu’on pouvait attendre avant la pandémie. La plupart des indicateurs avancés américains sont à des niveaux inconnus depuis des décennies. En revanche, en Europe, la politique de «stop-and-go» en termes de confinement et les débuts laborieux de la campagne de vaccination ont causé une reprise en W. Cependant, la croissance bénéficiera des plans de relance nationaux et du déblocage des fonds dans le cadre du plan Next Generation EU à partir de cet été. De façon très rassurante, les indicateurs avancés sont aussi en train de se redresser en Europe.

Il est probable que le mouvement de hausse des prix se poursuive au cours des prochains mois.
Quel est le revers de la médaille de ces développements économiques?

Les pressions inflationnistes s’accentuent en amont du cycle de production, les coûts de transport et de stockage remontent, les prix à la production industrielle progressent fortement, les anticipations d’inflation remontent. La désorganisation des chaines d’approvisionnement a allongé les délais de livraison qui sont historiquement élevés. Au niveau du consommateur, les prix des biens sont déjà bien remontés, nous nous attendons à une évolution similaire sur le prix des services, tendance que nous observons d’ailleurs déjà aux Etats-Unis, avec la hausse des prix des services liés à la réouverture de l’économie comme ceux des billets d’avion, des hôtels et de la restauration. Les salaires accélèrent également. Mc Donald’s a annoncé une augmentation des salaires de 10% pour attirer les travailleurs. La composante loyer repart aussi à la hausse. Compte tenu de l’inertie de ces composantes, il est probable que le mouvement de hausse des prix se poursuivra au cours des prochains mois.

Arrive-t-on à la fin de l’ère de désinflation dans laquelle nous vivons depuis plus de 30 ans?

Il est un peu tôt pour voir si nous vivons un changement de paradigme au sujet de l’inflation, mais probablement pas. Les pressions inflationnistes actuelles proviennent d’un déséquilibre de court terme entre l’offre et demande. Mais à plus long terme, les facteurs structurels derrière la désinflation de ces 30 ou 40 dernières années n’ont pas disparu. Le regain de mesures protectionnistes des 5 dernières années n’a pas empêché le commerce mondial de rebondir après la crise et de retrouver des sommets. Le protectionnisme ne semble pas avoir réduit la concurrence mondiale, en tout cas pas suffisamment pour laisser de l’espace à une baisse de la pression concurrentielle et, partant, à une hausse durable des prix des biens et services. Mais à court terme, la normalisation de l’inflation va continuer et augmenter la pression sur les taux longs.

Négative durant ces dernières années, la prime de terme a augmenté. Quel sera l’impact de la hausse des taux longs sur les marchés actions?

Plus que l’ampleur de la hausse, c’est son rythme et sa nature qui importent. Une hausse progressive des taux longs qui reflète un meilleur environnement macroéconomique est généralement bien perçue par le marché actions. En revanche, le risque est celui d’une remontée désordonnée des taux réels. La hausse des taux réels s’accompagne généralement d’une compression des multiples de valorisation et elle peut de ce fait conduire à des prises de profits. Nous nous attendons à une espèce de bras de fer entre la croissance des révisions bénéficiaires d’une part, soutenue par la croissance de l’activité, et les valorisations des sociétés d’autre part, pénalisées par la hausse des taux longs. Cependant, nous pensons que les banques centrales vont pouvoir gérer la décompression des taux réels sans trop de dégâts collatéraux sur les actions. Par ailleurs, la dynamique des révisions bénéficiaires sera suffisamment importante pour que le marché actions puisse absorber sans trop de problème une hausse des taux réels de 50 points de base par an. Nous restons donc relativement confiants sur les indices headlines, mais tous les secteurs ne seront pas égaux…

D’une manière générale, les secteurs à duration longue ou chers sont le plus à risque lors d’une remontée des taux réels.
Dans quels secteurs investir?

D’un point de vue tactique, nous privilégions les secteurs à profil asymétrique. Un certain nombre de secteurs affiche déjà de très belles performances par rapport à leur niveau d’avant pandémie. C’est le cas du retail, de la tech, des ressources de base ou de la chimie par exemple. Cela ne veut pas dire que ces secteurs ne peuvent pas continuer à progresser, mais le potentiel de rattrapage nous semble plus important sur des secteurs tels que les financières, les foncières ou encore le loisir, qui restent très décotés. D’une manière générale, les secteurs à duration longue ou chers sont le plus à risque lors d’une remontée des taux réels.

D’ailleurs, la plupart de vos idées d’investissement sont basées sur du Value…

Oui, car le style Value bénéficie le plus des anticipations de hausse des taux longs. Nous prévoyons une surperformance du Value de l’ordre de 5 à 10% au cours des 12 prochains mois et jouons la thématique selon plusieurs axes. Géographique d’abord, en sélectionnant des actions britanniques ou japonaises. Sectoriel ensuite, notamment les secteurs retardataires de l’ouverture, avec par exemple les foncières (attention à l’Allemagne toutefois). En termes de picking actions enfin, avec notre thématique des «sleeping beauties», des entreprises de qualité qui ont été ignorées et délaissées par les investisseurs au cours des derniers mois. Après une sous-performance significative, ces sociétés sont décotées par rapport à leur secteur et à leur historique propre. Sur ces actions, il y a un potentiel de rattrapage en termes d’alpha, au moins tant que les taux longs ne se soient pas stabilisés. Mais à côté de ces idées tactiques, nous avons aussi identifié des thématiques de croissance séculaires, sur lesquelles nous restons confiants, comme la transition écologique en Europe par exemple.

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