Structurés: l’IA et la blockchain se banalisent

Levi-Sergio Mutemba

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Ces nouvelles technologies font désormais partie des sous-jacents les plus populaires tout en s’intégrant aux systèmes opérationnels des émetteurs. Avec Nadia Gouné d’I2A-partner.

Il est devenu particulièrement aisé d’identifier des produits structurés reposant sur des thématiques d’investissement liée à l’intelligence artificielle ou la technologie des registres distribués. Qu’il s’agisse de produits à levier, d’optimisation du rendement ou de protection de capital. Mais il y a également une autre tendance, touchant tous les acteurs de la chaîne de valeur. Et qui consiste à s’appuyer sur ces technologies pour rendre plus efficientes les opérations de structuration, d’émission, de distribution et de transaction. Spécialiste des produits dérivés et structurés, Nadia Gouné, fondatrice d’Ideas2Actions (I2A-partner), décrit de quelle façon l’IA et la blockchain affecteront les acteurs de l’industrie des produits structurés, selon la nature de leurs métiers respectifs.

Constatez-vous une hausse des actifs numériques et de l’intelligence artificielle en tant que sous-jacents pour les produits structurés?

Oui, on observe une croissance notable de l’utilisation des actifs numériques, comme les cryptomonnaies, et de l’intelligence artificielle (IA) en tant que sous-jacents pour les produits structurés. Cela reflète les évolutions rapides du secteur financier, où les investisseurs cherchent à exploiter de nouvelles opportunités offertes par les technologies. Je dirais que les principales tendances sont les actifs numériques, notamment le Bitcoin. Qui sont de plus en plus utilisés comme sous-jacents dans des produits structurés. Ces produits permettent aux investisseurs de s’exposer à la volatilité et aux perspectives de croissance des cryptomonnaies.

«L’IA améliore la personnalisation, la tarification et l’automatisation, tandis que la blockchain renforce la transparence, la traçabilité et la sécurité.»

Cependant toutes les banques n’en proposent pas et les problématiques soulevées par ce type de produits sont diverses et complexe. Telles que la réglementation, dans la mesure où les régulations autour des actifs numériques varient fortement selon les juridictions. Mais également la forte volatilité de ces actifs, les risques technologique et de sécurité, la gestion des risques au sens large et enfin les questions de liquidité.

Les sous-jacents des produits structurés se diversifient en effet vers des thèmes liés à l’IA, la blockchain et les entreprises innovantes dans ces domaines. Les notes à capital garanti liées à des indices d’entreprises technologiques ou à des ETF d’intelligence artificielle et d’innovations sont un exemple de ce type de produits en expansion.

Quels sont les avantages ou les enjeux, en termes opérationnels, que peuvent susciter l’IA et la blockchain pour l’industrie des produits structurés?

J’aime beaucoup cette question car elle me permet de préciser certains points qui sont confus lorsque l’on parle d’IA et de blockchain dans le monde des structurés. Cette question et ses réponses nécessitent d’abord de rappeler que dans la conception et distribution des produits structurés, nombreux sont les stakeholders. Il y a la banque émettrice, éventuellement un intermédiaire, un client professionnel, tel qu’un tiers gérant par exemple, et le client final. Autant de stakeholders avec des besoins et contraintes différentes. La technologie, l’IA ou la blockchain peuvent impacter chacun de ces stakeholders de manière directe ou indirecte.

L’IA et la blockchain ont un potentiel énorme pour transformer l’industrie des produits structurés en termes opérationnels. L’IA améliore la personnalisation, la tarification et l’automatisation, tandis que la blockchain renforce la transparence, la traçabilité et la sécurité des transactions. Dans le monde des structurés, par exemple, nous avons vu l’émergence des plateformes de pricing multi-émetteurs, les plateformes de life cycle, celles-ci se contentant néanmoins du traitement de données et pas d’intelligence artificielle, et nous voyons arriver des fintechs comme IVM pour générer des idées de manière optimisée en allant chercher les thématiques, les structurer et même générer la documentation. L’industrie est donc en pleine mutation et ce n’est que le début.

Du point de vue du client final, l’IA permet de créer des produits sur mesure en fonction des profils de risque et des objectifs spécifiques des investisseurs, tout en optimisant la structure de rendement. De son côté, la blockchain offre aux investisseurs les moyens d’une traçabilité complète des produits, augmentant ainsi la confiance et réduisant les risques d’asymétrie d’information.

Sous la perspective de l’intermédiaire, tel qu’un conseiller ou gestionnaire de portefeuille, l’IA aide à analyser les données de marché en temps réel, permettant aux conseillers de fournir des recommandations plus pertinentes et personnalisées. Tandis que la blockchain facilite l’exécution des transactions, via des contrats intelligents, réduisant les délais et les erreurs humaines.

«L’immaturité des cryptos rend les estimations plus complexes, en ce sens qu’il n’y pas suffisamment de profondeur dans les données.»

Pour une banque émettrice ou créatrice de produits structurés), l’IA automatise la tarification et la création de produits structurés, réduisant les coûts et les délais de mise sur le marché. Alors que la blockchain permet de minimiser le risque opérationnel et de fraude grâce à des registres immuables et à des contrats intelligents qui automatisent des processus complexes.

Enfin, du point de vue des plateformes d’échanges et des courtiers, l’IA va optimiser la distribution en proposant des produits personnalisés selon les préférences des investisseurs et les conditions du marché. De son côté, la blockchain peut faciliter la tokénisation des produits structurés, améliorant leur accessibilité et leur liquidité sur les marchés secondaires.

Pourquoi les actifs cryptos sont-ils majoritairement utilisés comme sous-jacents pour les produits à levier et beaucoup moins pour les produits d’optimisation du rendement?

Cette question est intéressante parce que l’on pourrait croire que la forte volatilité de ces actifs est un élément positif pour les produits de rendement. Mais nous allons voir que la problématique est plus complexe. En termes de philosophie d’investissement, les cryptomonnaies comme le Bitcoin et l’Ethereum sont connues pour leur volatilité extrême. Ce qui en fait des sous-jacents idéaux pour des produits à effet de levier.

En revanche, les produits d’optimisation du rendement sont souvent conçus pour offrir un rendement stable et modéré dans des conditions de marché plus prévisibles. Le profil de risque des cryptomonnaies, avec leurs variations de prix rapides et imprévisibles, ne s’aligne pas bien avec les objectifs de ces produits, qui visent souvent à capturer des rendements réguliers sans prendre des risques excessifs.

La volatilité des cryptos peut rendre difficile la gestion du risque pour les produits qui cherchent à générer des rendements optimisés mais limités. Ce que l’on oublie aussi c’est que plus la volatilité d’un actif est élevée, plus son écart bid-ask l’est aussi. Les réserves de PNL prises par les traders seraient telles qu’une bonne partie de la volatilité de ces actifs serait sacrifiée pour gérer le risque.

Notons également que la liquidité des cryptomonnaies est limitée. Pour les produits d’optimisation du rendement, il est nécessaire d’avoir un marché liquide et bien structuré pour les instruments sous-jacents. Le marché des cryptos, bien qu’en croissance, reste moins mature et parfois moins liquide que les marchés traditionnels, rendant la création de produits d’optimisation plus complexe.

Enfin, les régulateurs et certains investisseurs institutionnels perçoivent encore les cryptomonnaies comme risquées, voire spéculatives. Les produits d’optimisation du rendement, souvent plus conservateurs et destinés à des investisseurs prudents, sont donc moins susceptibles d’incorporer des cryptomonnaies comme sous-jacent.

Je vois également d’autres sujets, du type modélisation de cet actif, modèle de pricing et coût de couverture. Un produit structuré complexe se price et se gère via des modèles statistiques qui sont calibrés dans les banques. L’immaturité de cet actif rend les estimations plus complexes, en ce sens qu’il n’y pas suffisamment de profondeur dans les données.

Quels peuvent être l’impact d’une hausse des taux d’intérêt sur la valorisation des produits structurés?

Rappelons qu’un produit structuré en mode «certificat» ou «note» est la somme d’une composante obligataire et d’une combinaison d’options indépendantes ou non entre elles. Ainsi, les taux ont un impact sur chacune des composantes. Ils vont jouer dans la partie obligataire et dans l’actualisation des flux. De manière générale, si l’on exclut spécifiquement les produits de taux, leur impact est prédominant sur la partie obligataire.

Du coup, si nous parlons du mark-to-market du produit, le prix va baisser lorsque les taux vont monter. La même mécanique que dans une obligation à chaque hausse des taux. Pour compenser des coupons plus élevés dans les nouvelles émissions des obligations, celles déjà émises voient leur prix baisser.

«Pour les produits de taux, il faut voir de quels types de produits nous parlons et observer ce qui se passera sur la courbe des taux.»

En revanche, une hausse des taux est une bonne nouvelle pour les nouveaux produits émis. Les taux participent au financement des options à bénéfice pour les clients dans les structurés. D’ailleurs, nous avons vu l’explosion des produits structurés à capital garanti suite à la hausse des taux des années précédentes.

Dans le cas des produits de taux de type «steepener», par exemple, il faut voir comment la courbe des taux est impactée pour savoir le sens de l’évolution des prix. Pour aller plus loin, nous pouvons voir aussi des effets indirects comme l’impact des taux sur le coût de financement des émetteurs, l’impact sur la perception du risque ou même les impacts sur certains type d’actifs pour ne citer que les actions bancaires par exemple.

J’imagine que les produits ne sont pas affectés de la même manière?

Une baisse des taux rend la structuration plus compliquée, si l’on puis dire, puisque la partie obligataire peut devenir insuffisante pour financer un rendement attractif et nécessiterait alors d’intégrer du risque en capital dans le produit. Nous n’en sommes pas encore là, car la baisse est faible. Mais une succession de baisses de taux fera disparaître les produits à capital garanti au profit des produits avec risque en capital.

Par conséquent, même si cela crée de l’attrait pour des produits plus risqués que le monétaire au sein des structures, nous aurons des tendances différentes. Une baisse des taux influencera aussi les produits à levier du fait de la composante financement dans le produit. Ce sera une bonne nouvelle pour ce type de produits. Pour les produits de taux, il faut voir de quels types de produits nous parlons et observer ce qui se passera sur la courbe des taux. Je vois aussi ici des effets indirects de type impact de la baisse des taux sur la volatilité ou sur certaines classes d’actifs, telles que l’or, par exemple. Mais là on parle ici de l’actif sous-jacent du produit structuré.

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