Sortir des sentiers battus

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Investir dans l’impact finance permet de transformer les «bonnes intentions» en actions mesurables. Entretien avec Bertrand Clavien de Bordier FinLab.

S’affranchir de certaines règles pour élargir l’univers d’investissement et répondre ainsi aux besoins croissants des investisseurs, c’est le concept défendu par les deux fondateurs de Bordier FinLab, Véronique Grossen et Bertrand Clavien, lors de la création de leur «laboratoire d’idées» fin 2015. Lancé avec la Banque Bordier et soutenu par Bonhôte Fund Solution - partenaire de la première heure – ainsi que par un cercle d’investisseurs institutionnels partageant des valeurs communes, Bordier FinLab a exploité au cours des dernières années une multiplicité d’univers: actions cotées et non cotées, dette privée, produits structurés complexes et fonds traditionnels et non traditionnels. Active dans les investissements ESG depuis le départ, FinLab s’oriente aujourd’hui vers la finance d’impact. Entretien avec Bertrand Clavien. 

Commençons par la raison d’être de Bordier FinLab. Qu’appelez-vous «s’affranchir de certaines règles ou habitudes»?

Au sein des stratégies en architecture ouverte avec approche best-in-class, certaines règles manquent parfois de bon sens à nos yeux et réduisent les univers d’investissement, laissant ainsi échapper de remarquables opportunités. Prenons quelques-unes de ces règles, par exemple, celle qui consiste à ne pas investir dans un fonds inférieur à 100 millions de francs. Cette règle est à nuancer: si le fonds porte sur des actions US large caps où il y a toute la liquidité du monde et que notre taux d’emprise dans le fonds n’est pas excessif, nous ne voyons aucune raison de l’appliquer. De même la règle qui élimine tout fonds ayant moins de 3 ans de track n’a aucun sens si le gérant a déjà prouvé son expérience et sa performance sur une stratégie d’investissement identique dans une autre société. Un bon gérant provenant d’une grande société de gestion d’actifs restera un bon gérant même s’il rejoint une structure beaucoup plus réduite. A force de n’acheter que des produits archi-connus – provenant principalement des leaders de l’asset management, -, on s’expose à une standardisation et un appauvrissement du marché. S’affranchir de certaines règles permet de diversifier et de découvrir de vraies perles. Nous préférons donc nous axer sur les fonds en phase de développement via le capital-amorçage ou le capital-accélération et explorer des nouvelles stratégies/classes d’actifs en devenir.

A quels univers d’investissements vous intéressez-vous en pratique?

A l’univers le plus large possible dès le départ. Au début, nous nous sommes montrés plus actifs sur les marchés publics que sur les marchés privés, plus actifs sur les stratégies long only et alternatives toutes classes d’actifs confondues. Sur les produits structurés comme sur le private equity et la dette privée, nous nous concentrons sur des solutions d’investissements complémentaires (un peu plus niche) à l’offre déjà existante au sein de la banque. Ces dernières années nous nous sommes efforcés à sélectionner des stratégies moins directionnelles. Nous avons également participé à l’élargissement de l’offre ESG au sein de la banque, notamment sur les thèmes que nous considérons prépondérants comme la transition énergétique et l’impact finance. Nous avions intégré les critères ESG dès le départ. Plus de 75% de notre offre était éligible dès la 2e année.

«Dès le début de nos activités, nous avons intégré les critères de durabilité dans notre sélection d’actifs.»
A propos d’investissement privé, comment Bordier FinLab se différencie-t-il de Hermance Capital?

En premier lieu, alors que Bordier FinLab est détenu par la banque Bordier et ses fondateurs, Hermance Capital Partners (HCP) est une société indépendante dont l’actionnariat est divisé entre trois banques (Paris Bertrand, Reyl et Bordier). D’autre part, HCP se concentre sur les marchés privés alors que Bordier FinLab a un champ d’action plus large avec un axe marqué sur les marchés publics. Il existe cependant des similitudes dans la mutualisation du savoir et des investissements, ainsi que dans l’approche en architecture ouverte avec la notion best-in-class en matière de sélection. Sur les investissements privés, nous menons un dialogue régulier avec HCP et nous nous réjouissons de cette relation qui nous semble bénéfique pour les deux entités. Sur l’investissement privé toujours, notez que HCP gère principalement des fonds de fonds alors que FinLab investit en direct. 

Vous avez choisi de vous intéresser au domaine encore assez «niche» de l’impact. Pour quelles raisons?

Comme je l’évoquais plus tôt, dès le début de nos activités, nous avons intégré les critères de durabilité dans notre sélection d’actifs. En 2019, nous avons jugé que ce n’était pas suffisant et que nous devions être plus proactifs notamment en étant plus attentifs à notre rôle d’actionnaire (shareholding engagement) ainsi qu’à l’impact de nos investissements. En parallèle, nous avons constaté une prise de conscience générale, tant au niveau public que privé, de l’impératif à trouver des réponses aux défis majeurs tels que le changement climatique ou les inégalités sociales. Il nous est donc paru opportun d’initier un investissement dans la finance d’impact afin de compléter l’offre des placements responsables du groupe Bordier. Investir dans l’impact finance permet de transformer les « bonnes intentions » en actions tangibles et mesurables, tout en livrant des résultats financiers compétitifs. La place financière genevoise se positionnant comme l’un des centres mondiaux de la finance durable, il est en outre cohérent qu’un acteur tel que Bordier & Cie prenne position sur ce thème.

Pourquoi avoir choisi la microfinance?

Après avoir mené une étude approfondie du segment de l’impact finance et compte tenu des spécificités de notre clientèle notamment en matière de liquidité des investissements, il nous a semblé adéquat de nous concentrer dans un premier temps sur les obligations vertes/sociales et la microfinance. Nous sommes arrivés à la conclusion que sur le premier segment l’offre existante était très efficiente et il nous paraissait donc vain de prétendre être en mesure d’apporter une véritable valeur ajoutée. Sur le second, en revanche, nous notions des disparités et donc un terrain plus fertile pour effectuer notre travail.

Pourquoi choisir un acteur néerlandais comme Triodos?

C’est l’un des pionniers de l’investissement durable. Triodos Bank est active depuis 1980 et gère près de 21 milliards d’actifs (dont 5,4 milliards via leur département d’asset management – Triodos Investment Management) avec un track record de plus de 25 ans. Leur légitimité est incontestable. Triodos Investment Management emploie plus de 185 spécialistes de l’investissement durable. Avec eux, le «green washing» ou le «social washing» n’ont pas leur place. Le fonds de Microfinance où nous sommes investis a, selon nous, le positionnement le plus optimal du marché en matière de risque/rendement. J’aimerais ajouter que, de manière plus subjective, nous avons trouvé chez Triodos une sincérité dans leurs intentions et dans leur engagement que nous avons jugée unique.

Quelles seraient les prochaines étapes?

Nous étudions deux thématiques qui nous semblent intéressantes: l’industrie spatiale (sous les feux de la rampe depuis les récents exploits de SpaceX et de Virgin Galactic) est la première des deux. Par ailleurs, les récents Jeux Olympiques ont conforté notre sentiment que le monde du sport est en profonde évolution et qu’il est opportun d’y porter une attention particulière. Dans un autre ordre d’idées, l’industrie de la Blockchain nous intéresse depuis un moment et nous cherchons le bon angle pour y participer.

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