Richemont et LVMH sévèrement sanctionnés

Salima Barragan

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Les attentes des analystes étaient trop élevées, selon Eric Fourrier de Fourpoint IM.

Tourisme, luxe, équipementiers de sport: les résultats semestriels des titres de la consommation discrétionnaire sont globalement bons, à quelques exceptions près. Pourtant, les marchés ont sévèrement sanctionné les chiffres de Richemont et de LVMH. Doit-on s’inquiéter du futur de ces enseignes prestigieuses? Tandis que la saison des publications bat son plein, Eric Fourrier, co-gérant d’un fonds thématique autour de la consommation et du plaisir, estime que les attentes des analystes étaient démesurément élevées, mais que le luxe et les loisirs ont encore de beaux jours devant eux. Entretien.

Les groupes de luxe n’ont pas affiché des résultats médiocres, pourtant ces derniers ont été mal accueillis par les investisseurs. Doit-on s’inquiéter du futur de ces enseignes?

Les leaders du secteur affichent toujours des taux de croissance proches de 20%. Cependant, les attentes étaient bien plus élevées, en raison du redémarrage de la Chine. Mais le marché nord-américain a ralenti. Bien qu’il ne constitue pas le cœur des activités, mais environ 20 à 30% des ventes, cette décélération a impacté leur croissance, d’où le déclin de LVMH suite à son annonce.

Richemont, en revanche, a eu la malchance de publier le jour de la diffusion des chiffres décevants de la croissance chinoise. Cependant, la valeur reste forte. Le groupe suisse reste le numéro un dans la joaillerie grâce à son portefeuille de marques prestigieuses telles que Cartier et Van Cleef. Cette activité croit entre 8 et 10% par an. En outre, Richemont gagne des parts de marché sur les artisans locaux qui représentent 80% de l’industrie joaillière. La valorisation du groupe suisse est devenue très intéressante. Son PER se situe sous les 19x, bien en-deçà de la moyenne des 5 dernières années à 24x. Le groupe détient des liquidités importantes. Un rapprochement ou une acquisition demeure probable, notamment avec son concurrent Kering, mais Richemont ne semble pas encore prêt.

Enfin, la majorité des analystes s’attendaient à des résultats mauvais pour Kering en raison de la transition en cours chez Gucci. La marque italienne, qui pèse environ 70% des bénéfices du groupe, a nommé un nouveau tandem CEO et directeur artistique. Kering va ainsi traverser une période où les ventes de sa griffe phare ne croitront pas au même rythme que celles du segment prêt-à-porter de haut de gamme de LVMH. D’ailleurs, sa décote vis-à-vis de la société française n’a jamais été aussi forte: l’investisseur reste correctement rémunéré pour le risque. Enfin, le bilan du groupe demeure solide, mais il dépend excessivement des résultats de Gucci et il n’est pas assez présent dans le marché de la joaillerie.

Pourquoi les ventes de spiritueux des groupes de luxe sont-elles en déclin?

Les spiritueux demeurent les seules activités décevantes. Les belles années du Cognac ont laissé place à des stocks élevés. LVMH, mais aussi Rémi Cointreau en a fait les frais. Les sociétés sont encore pénalisées par ce contre-coup, mais leurs affaires se sont normalisées et elles ne sont pas loin des rythmes de croisière.

Que penser des équipementiers sportifs, dont Adidas qui se remet de sa descente aux enfers liée à la rupture du contrat avec la star américaine Kayne West?

En raison de problème d’approvisionnement, les stocks d’Adidas, de Puma et de Nike se sont empilés alors que l’accélération de l’inflation et la fin des aides ont entamé le budget des ménages, notamment aux États-Unis. Le renchérissement des prix des matières premières et des coûts logistiques avait durement touché le secteur. Cependant, le secteur offre à nouveau des points d’entrée intéressants, le niveau des stocks se normalisant et les coûts d’approvisionnement commençant à baisser.

Les résultats d’Adidas étaient en ligne avec les attentes, mais le titre restera encore volatile en raison des répercussions de la rupture du contrat avec Kanye West.

Le tourisme semble avoir repris son niveau de croisière depuis l’ère pré-covid. Quelle est votre lecture des résultats?

Les bénéfices de l’hôtellerie, des voyagistes et des compagnies aériennes sont de retour. Les taux d’occupation sont proches des niveaux de 2019, alors que les prix par chambre ont bondi de 28% en Europe de l’Ouest en juin par rapport à 2019. Booking.com profite du retour des touristes en Europe, en Asie et aux États-Unis.

Les applications de rencontres sont rentrées dans les mœurs. Comment leurs titres évoluent-ils?

La société texane Match Group, connue pour Tinder et Meetic, tente de mieux monétiser sa base d’utilisateurs en augmentant le prix des abonnements. Elle souhaite rationaliser ses 100 millions de clients, car seuls 16 millions d’entre eux paient réellement un abonnement. Mais les augmentations de tarifs ont mené sur une volatilité des utilisateurs. Le titre qui s’échangeait en 2021 à 51x les bénéfices, se traite aujourd’hui à 20x.

La part du budget des ménages alloué à la consommation discrétionnaire ne cesse d’augmenter. Quels facteurs mènent cette tendance?

L’amélioration du niveau de vie favorise ce type de dépense. La tendance est polarisée entre les produits premium et l’entrée de gamme. On constate d’ailleurs que les jeunes générations ne veulent pas forcément consommer moins, mais mieux, en accord avec leurs convictions personnelles. De manière générale, cette génération accorde moins d’importance à leur carrière au profit des loisirs. Ces derniers sont encore peu développés en Chine où le potentiel de croissance est colossal.

La tendance est-elle exactement la même des deux côtés de l’Atlantique?

Oui, elle est similaire. L’on a aussi observé que la part consacrée aux produits simples a baissé dans de 64% à 54% dans la répartition des dépenses discrétionnaires, parce que le consommateur recherche une sensation d’expérience, ce que les marques de luxe ont parfaitement compris. Elles essaient de raconter une histoire qui parle aux clients, mais aussi conforme à leurs valeurs. Ce phénomène est frappant dans les filières de la consommation durable.