Retour vers les années 1970?

Salima Barragan

3 minutes de lecture

L'inflation s'avérera permanente et incertaine, affirme Pascal Blanqué d’Amundi.

Début d’année oblige, les prévisions vont bon train. Six personnalités du monde de la finance partagent avec les lecteurs d’Allnews leurs vues sur les thèmes du moment. Au-delà du débat sur l'inflation, les investisseurs devront anticiper la politique monétaire de la banque centrale américaine et l’impact du renforcement des réglementations chinoises sur la croissance. Ils dévoilent aussi quelle sera leur politique d’investissement. Autour de quatre questions clé, l’équipe d’Allnews vous souhaite une heureuse année 2022.

Retour vers les années 1970? Selon Pascal Blanqué, ce scénario gagne du terrain. Dans cette deuxième partie des perspectives de l’année, le CIO d’Amundi explique que l’inflation va s’installer plus durablement que la Fed ne le pense. Il estime aussi que le modèle de portefeuille 60/40 sera remis en cause en raison d’une corrélation positive entre les actions et les obligations. Enfin, il n’exclut pas un krach dû aux excès de levier.

L’inflation (voire la stagflation) va-t-elle s’installer durablement?

Le scénario du «retour aux années 1970» va encore gagner du terrain. Ce qui signifie que celui de la stagnation séculaire appartient au passé et qu’un retour aux «années folles» est une chimère. La croissance mondiale reviendra à son potentiel après le pic, à mesure que la relance cyclique disparaitra. L'inflation s'avérera permanente et incertaine, alimentée par les contraintes d'approvisionnement et l’extension des pénuries à tous les secteurs de l’économie. La désynchronisation des tendances de croissance et d'inflation revient en force et impactera la mondialisation.

Les autorités chinoises ont pris des mesures réglementaires répressives sans précédent en 2021, couplées à une réduction du levier d’endettement et à l’austérité fiscale.
Qu’attendez-vous de la Fed?

Les banques centrales, indulgentes vis-à-vis d’une inflation qu’elles considèrent comme temporaire, accepteront de rester en retrait des anticipations de marchés. Après une réduction timide des plans d’achats d’actifs sur les marchés, nous anticipons davantage (et non moins) d’intervention des banques centrales dans un contexte de ralentissement de la croissance et de besoins budgétaires croissants pour financer la transition verte.

Comment les réglementations chinoises vont-elles façonner la croissance?

Les autorités chinoises ont pris des mesures réglementaires restrictives en 2021, pour calmer certains excès sur les marchés et retrouver une stabilité financière à moyen terme. Ceci devrait aider le pays à stabiliser la croissance et retrouver les faveurs des investisseurs. Nous considérons que la Chine représente une opportunité d’investissement significative, pour laquelle les investisseurs doivent avoir une approche de long terme. Tout d'abord, les actifs chinois - en particulier le monétaire et les obligations d'État - sont potentiellement la principale source de rendements réels positifs dans un avenir proche comparés aux Etats Unis, au Japon ou à l’Europe. Or pour les investisseurs, la préservation du pouvoir d'achat par unité de risque sera le principal objectif dans un contexte de forte inflation où les rendements réels resteront négatifs dans la plupart des grandes zones monétaires. Deuxièmement, une plus grande décorrélation du cycle chinois et sa relative désynchronisation des problématiques économiques, financières et géostratégiques mondiales est une source de diversification importante tout en offrant la possibilité d’être exposé à une croissance future plus élevée. De ce point de vue, nous pouvons envisager une allocation cible d'environ 5%/6% aux actions chinoises dans un portefeuille global équilibré, et une allocation 10%/12% pour un portefeuille d'actions internationales. Troisièmement, comme cela s'est produit pour le mark allemand dans les années 1970, puis pour l'euro, les investisseurs mondiaux pourraient considérer le renminbi comme une réserve de valeur. En parallèle, le prix à payer pour l’expansion du bilan de la Fed et de l’endettement Fédéral américain, pourrait être une érosion de la valeur du dollar. Ces tendances ne peuvent qu'accélérer la transition vers le renminbi en tant que composante essentielle des portefeuilles mondiaux. A l’avenir, les actifs et la monnaie chinois ne seront plus ni émergents ni périphériques en termes de construction de portefeuille. Nous n'avons pas encore vu toutes les conséquences de ce changement. Cependant, nous ne nous attendons pas à ce qu'elles soient spectaculaires. En tant que deuxième plus grand détenteur de bons du Trésor américain dans le monde, la Chine a peu d'intérêt à précipiter une baisse désordonnée du dollar. À mesure que la Chine accentue son indépendance et son influence, ce lien financier sera moins nécessaire, mais il est probable qu'elle deviendra le nouveau front des négociations de guerre commerciale. En fin de compte, il existe des raisons fondamentales qui poussent les investisseurs à adopter une approche graduelle de type «go-it-alone» concernant les actifs chinois.

Quelle est votre politique d’investissement?

Les investisseurs devraient commencer l'année avec une allocation prudente et neutre, compte tenu des valorisations tendues du marché, et essayer de saisir les opportunités offertes par les valorisations relatives entre les régions et les segments de marché. Dans une séquence de ralentissement de la croissance suivi de nouvelles mesures de relance, les investisseurs auront probablement une fenêtre de tir pour augmenter à nouveau l'allocation aux actifs risqués et exploiter les opportunités apportées par un prolongement du cycle. Ainsi que pour cibler les rendements réels plutôt que céder à l'illusion du rendement nominal. Le modèle de portefeuille 60/40 (60% d’actions / 40% d’obligations) sera remis en cause. Une corrélation positive entre les actions et les obligations exige une allocation plus dynamique. Les paris relatifs (ou les stratégies de valeur relative) et les sources supplémentaires de diversification qui peuvent potentiellement atténuer le risque d'inflation, tels que les actifs réels, seront essentiels. Les investisseurs devront résister à la tentation d'opter pour une duration longue après la première phase de hausse des rendements nominaux. Les mouvements de courbe, les opportunités sur devises et interrégionales devraient se multiplier dans un monde où les politiques monétaires seront divergentes. Les produits de taux sans contraintes resteront à l’ordre du jour. Pour rechercher des revenus plus élevés, les investisseurs devront explorer des domaines au-delà de l'univers obligataire traditionnel et s’intéresser aux actions à dividendes, aux actifs réels, aux obligations des marchés émergents en particulier avec une duration courte, et plus généralement aux domaines offrant des perspectives de rendement plus élevé avec un risque de duration relativement faible, tels que le crédit et les prêts subordonnés. Les obligations d’entreprises dont la duration est plus longue et/ou dont les spreads sont trop serrés seront sous pression. Nous verrons probablement émerger quelques krachs liés à l’excès de levier qui déclencheront le premier cycle de la grande discrimination entre d’une part, les signatures de mauvaise qualité et chères, menacées en période de resserrement des conditions de liquidité et de baisse des taux de défaut, et d’autre part le crédit cher mais de bonne qualité.

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