A quoi peuvent bien servir les rapports de flux de fonds?

Cyril Gomez

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Malgré l’absence d’influence sur les marchés, ils signalent l’intérêt des gérants pour des stratégies ou classes d’actifs spécifiques, selon Peter Laurelli.

Chaque mois, des plateformes de données statistiques publient les flux de fonds de divers produits de placement. C’est le cas du Hedge Fund Industry Asset Flow Report. Celui-ci est publié par eVestment, société appartenant à l’opérateur boursier Nasdaq Group et spécialisée dans l’intelligence économique et financière pour l’industrie de la gestion d’actifs. Mais quelle est l’utilité de tels rapports de flux? En quoi sont-ils utiles et pertinents pour les professionnels de l’investissement, mais également pour les investisseurs? Ont-ils une portée prédictive liée à l’évolution future des marchés financiers ou de l’économie? Allnews s’est entretenu avec Peter Laurelli, Directeur de la recherche chez eVestment.

Les flux de fonds au sein de l’univers des hedge funds ont-ils une valeur prédictive, peuvent-ils servir de signaux de marché?

Je ne crois pas que les volumes de dollars alloués aux hedge funds ou transitant vers ces derniers aient une influence suffisante pour exercer un impact significatif sur des économies ou des marchés financiers. Ceci étant dit, leur allocation liée à une stratégie particulière constitue un signal prospectif d’opportunité. Du moins, d’opportunité espérée ou attendue. Par exemple, les flux de fonds à destination de stratégies telles que le crédit et les créances en difficulté offre un signal selon lequel les investisseurs y voient des opportunités spécifiques, compte tenu des environnements actuel et attendu. Il en va de même s’agissant des stratégies macros, où les flux offrent un signal selon lequel les investisseurs croient que l’état des marchés globaux présente une opportunité de bénéficier de la distillation efficace de grands thèmes d’investissement au niveau d’une classe d’actif ou d’un titre. En d’autres termes, les flux de fonds n’ont pas une influence significative sur les marchés, mais représentent plutôt des réactions à des attentes de marché et à des influences sur le long terme.

Les flux peuvent aider les investisseurs
à négocier les commissions avec les gérants.
Comment les flux de fonds peuvent-ils aider les gérants de fonds spéculatifs à se doter d’un avantage compétitif?

Toute stratégie bien exploitée doit avoir une sorte de fourchette en termes de taille des actifs sous gestion à l’intérieur de laquelle le gérant peut opérer de la façon la plus efficace. Sur certains marchés, tels que ceux du distressed et des fonds activistes, la taille détermine largement le niveau d’influence à la table de négociation. Dans ce cas, les flux de fonds sont un atout aussi bien pour le gérant que pour l’investisseur. Ce type d’influence varie selon la taille du marché, la gamme d’opportunités et la liquidité. Du point de vue de l’investisseur, les flux peuvent aider ce dernier à négocier les commissions avec les gérants. D’importantes allocations, probablement accompagnées d’engagements de long terme, peuvent également aider l’investisseur à obtenir de meilleures conditions en termes de frais de gestion.

Pourquoi les flux au sein des hedge funds sont-ils plus intensément corrélés aux performances que ce n’est le cas dans l’univers des exchange-traded funds (ETF)?

Je ne peux pas affirmer que ce soit le cas. En revanche, dans l’univers des hedge funds, il apparaît que les performances et les flux sont parfois hautement corrélés dans le cas de certaines stratégies. C’est le cas des stratégies les plus liquides et/ou celles dont des approches fonctionnent particulièrement bien dans certains environnements. Les managed futures, par exemple, regroupent quelques-unes des stratégies les plus liquides et dont la relation entre performances et flux de fonds est la plus étroite. Les stratégies appliquées au sein de ce groupe, à savoir le suivi de tendance, le court/long terme ou encore les stratégies systématiques, sont plus accordées à leurs marchés correspondants durant les périodes où les systèmes et les programmes informatiques manquent d’efficacité. Ces périodes, qu’un allocateur expérimenté peut mieux expliquer, influenceront les flux de fonds.

L’influence des risques politiques
se répercute assez profondément sur les marchés financiers.
Dès lors que les rendements des fonds macros dépendent des vues du gérant concernant les risques macros futures, ce dernier n’est-il pas mieux positionné, du moins en théorie, pour exploiter les risques de nature politique?

L’influence des risques politiques se répercute assez profondément sur les marchés financiers. De sorte que les managers macros les plus efficaces, opérant dans des sous-secteurs très spécialisés, peuvent d’autant mieux comprendre et tirer parti de l’impact des décisions politiques. La différence par rapport à d’autres catégories de managers s’explique par le type d’influence étant à la source des opportunités correspondantes. Les managers macros sont idéalement positionnés pour opérer aux niveaux les plus immédiatement touchés par les influences politiques, c’est-à-dire les devises, les taux d’intérêt, les matières premières ou encore les obligations souveraines, pour ne citer que ceux-là. Mais même en descendant au niveau des actions de secteurs spécifiques via les managers long/short ou à celui des fonds spécialisés dans le montage financier et le crédit, comme les fonds de prêt direct, par exemple, la question est de savoir qui peut le mieux bénéficier de la répercussion progressive des décisions politiques sur l’économie réelle.

Quelle est la dynamique récente de la consolidation au sein de l’industrie des hedge funds et qu’est-ce qui l’explique?

Elle se caractérise par un niveau élevé de fermeture de fonds et de réallocations des capitaux vers les fonds ayant généré les meilleures performances aussi bien sur le long terme que durant les périodes de marché difficiles. La cause principale de fermeture de fonds réside dans la nature même de la gestion d’un fonds en tant qu’entreprise. Les frais de gestion à eux seuls, pour des fonds de taille moyenne, ne suffisent pas pour être en mesure de réaliser les économies de coûts auxquelles les managers s’attendent généralement. Lors de gros retraits de capitaux, la capacité des gérants à générer des commissions futures, tributaires en grande partie des commissions de performance, les fermetures se multiplient, donnant lieu à une intensification du processus de consolidation.

Associer les rendements à un ensemble particulier
d’événements de prix des sous-jacents serait réducteur et spéculatif.
Les fonds de matières premières semblent avoir connu un exercice 2018 difficile en termes de performance, comme en 2017. Comment cela peut-il s’expliquer?

Les approches des hedge funds sur les marchés de matières premières sont nombreuses. Ainsi, associer les rendements à un ensemble particulier d’événements de prix des sous-jacents serait réducteur et spéculatif. Ce secteur a subi huit mois de pertes l’an dernier, février (-1,86%), juin (-2,04%) et octobre (-1,82%) étant les pires périodes. Il y a eu de gros mouvements de prix durant ces mois pour le cuivre, qui a décliné en juin. De même pour le pétrole en octobre et le gaz naturel, dont les prix ont rebondi durant le même mois, ce qui n’a pas manqué d’affecter les rendements des fonds de matières premières.

Y a-t-il une leçon à tirer du revirement brutal des stratégies event-driven l’an dernier comparé aux excellentes performances de 2017?

Nombre de stratégies de ce type sont très concentrées sur des actions individuelles ou dans la structure du capital, de sorte qu’elles sont exposées à d’importantes pertes lorsque le marché est en baisse. Je ne puis vous donner les positions spécifiques des fonds, mais la contraction du marché l’an dernier a fortement touché les stratégies les plus concentrées.

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