Quand le monde semble jouer à la roulette russe

Salima Barragan

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«Dans l’éventualité d’un conflit à Taïwan, le Kremlin pourrait se montrer plus agressif envers l’Europe», estime Matt Gertken de BCA Research.

Suite à la quatrième crise du détroit de Taïwan, à combien se montent les probabilités d’une guerre entre la Chine et l’île voisine? Tandis que les assauts en Ukraine ne faiblissent pas, quelle est la possibilité d’un conflit armé plus large entre la Russie et l’Europe, voire l’OTAN? Allnews est allé le demander à Matt Gertken, stratégiste géopolitique en chef chez BCA Research qui reste rassurant: «nous sommes encore loin de la troisième guerre mondiale. Le monde peut vivre avec une Ukraine paralysée et un Taïwan subordonné». Entretien.

En avril 2021, vous aviez prédit une quatrième crise du détroit de Taïwan dans les 12 à 24 mois qui ne dégénérerait pas en une guerre totale. Aujourd’hui, quelles sont les chances que la Chine se mobilise pour envahir son voisin?

Cette probabilité est mise à épreuve. Si la Chine a acquis la capacité d'envahir Taïwan, les vraisemblances d'un échec restent très élevées, surtout si elle ne progresse pas davantage dans sa triade nucléaire. Par conséquent, nous n'accordons actuellement que 20% de chances à ce scénario. Il va sans dire que tout signe concret qui indiquerait que la Chine prépare un raid doit être pris au sérieux. Les investisseurs et les médias ont négligé le renforcement militaire de la Russie autour de l'Ukraine en 2021, à leur détriment. Cependant, après le vingtième congrès national du parti, La Chine pourrait intensifier les tensions, ce qui augmenterait l’occurrence d'une invasion dans le futur.

Comment interprétez-vous les relations sino-américaines à cet égard?

Il y a de fortes chances que les Etats-Unis et la Chine ne fassent que tester le statu quo dans le détroit de Taïwan, qui sera renforcé après l'épisode actuel. Après tout, cette crise est la quatrième, et aucune des précédentes n'a débouché sur une guerre. Si les présidents Biden et Xi Jinping ne font que montrer leurs muscles avant d'importants événements politiques nationaux cet automne, ils ont déjà atteint leur objectif. Aucune autre démonstration de force n'est nécessaire de part et d'autre, du moins pour les prochaines années.

Nous donnons 40% de probabilités à ce scénario, dans lequel les tensions de la semaine passée perdureront, mais le statu quo sera renforcé. Dans ce cas, le problème structurel du détroit de Taïwan réapparaîtrait quelque temps après les élections présidentielles américaines et taïwanaises de 2024.

Si la Chine étend les sanctions après le congrès du parti, une fois que Xi Jinping aura consolidé son pouvoir, il deviendra alors clair que ce dernier ne se contentera plus de jouer uniquement pour son audience intérieure. De même, si l'administration Biden continue de renforcer les contrôles des exportations des hautes technologies à l'encontre de la Chine après les élections de mi-mandat, et persiste à insister afin que ses alliés fassent de même, cela signifiera que les Etats-Unis croient implicitement à la préparation d’une attaque chinoise.

Quelles seraient les conséquences de la quatrième crise de Taïwan sur l’ordre mondial?

Sa concrétisation a augmenté les probabilités d'une guerre majeure entre les grandes puissances mondiales. Nos arbres de décision suggèrent que les chances sont d'environ 20%, soit le double de ce qu'elles étaient lors du seul conflit russe en Ukraine.

En Europe, à combien se montent les probabilités d’une guerre plus large entre la Russie et les nations du continent?

L’occurrence d'une guerre majeure entre la Russie et l'Occident est supérieure à 20%, car un conflit armé fait déjà rage, tandis que les tensions dans le détroit de Taïwan ne sont pour l'instant qu'un jeu d'ombres. L'hypothèse de base consensuelle demeure que l’affrontement en Ukraine restera contenu dans le territoire, car les Européens ne sont pas prêts à se battre. Ces derniers souhaitent éviter une guerre dévastatrice avec la Russie à cause du Donbass. Mais les choses tournent souvent mal en temps de guerre.

Imaginons que la Russie attaque un membre récent de l'OTAN…

C’est une question cruciale qui déclencherait l'article 5 du traité de l'alliance, qui stipule qu’une agression armée contre un ou plusieurs de ses membres sera considérée comme une attaque contre eux tous, et qui justifierait le recours à la force armée si nécessaire pour rétablir la sécurité. Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie cette année, le président Biden a déclaré à plusieurs reprises que «les Etats-Unis défendront chaque pouce du territoire de l'OTAN», y compris les États baltes tels que la Lettonie, le Lituanie et l’Estonie qui ont rejoint l'OTAN en 2004. Il ne s'agit pas d'un changement de politique, mais de la ligne rouge des Etats-Unis, qui sera très probablement défendue et qui constitue une contrainte majeure pour la Russie.

Quelle est l’attitude à adopter de la part des investisseurs?

Ces derniers devraient rester sur une position défensive au moins jusqu'à la fin du congrès du parti chinois et des élections de mi-mandat aux Etats-Unis cet automne. Le risque géopolitique de l'année prochaine dépendra fortement des manœuvres chinoises dans le détroit de Taïwan.

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