Quand il est bon d’être stressé

Nicolette de Joncaire

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La surveillance réglementaire réduit l’appétit des banques aux risques. Les stress tests US avec Diane Pierret de l’Université de Lausanne.

 

Demain sera publiée la seconde partie des résultats des tests de résistance auxquels la Fed soumet chaque année les plus grandes banques américaines. Après l’évaluation quantitative de jeudi dernier, place cette semaine à l’appréciation qualitative à laquelle ne sont soumises que 18 des 35 banques passées au crible à la première étape. Le bilan de l’évaluation quantitative est positif: toutes les banques testées présentent des ratios de fonds propres supérieurs à l’exigence réglementaire de 4,5%. A noter toutefois trois banques, dont Goldman Sachs avec 5,6% et State Street avec 5,3%, sont très proches du seuil critique. A noter aussi, avec 17,6% et 16,4% respectivement, Credit Suisse et UBS remportent les meilleurs scores. Les explications de Diane Pierret, professeure assistante au Département de finance de la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne, et membre du Swiss Finance Institute.

En quoi consistent exactement ces «stress tests» et qui concernent-ils?

Conséquence du Dodd-Frank Act et donc de la crise de 2008, chaque année les plus grandes des banques américaines sont soumises au CCAR (Comprehensive Capital Analysis and Review), une analyse complète de leur capitalisation, du processus de planification de cette capitalisation et de l’évaluation des risques. Ces tests sont menés en deux parties. La première, dite évaluation quantitative, permet de mesurer les ratios de fonds propres dans un scénario de crise. La seconde, l’appréciation qualitative, vise à éviter l’arbitrage réglementaire en examinant plus à fond l’adéquation des fonds propres aux risques. Il ne s’agit pas simplement de vérifier que le ratio de capital de chaque banque est bien supérieur au ratio réglementaire de 4.5% « en l’état » mais qu’elle est aussi capable de résister à des conditions de marché extrêmes.

Les banques peuvent ajuster leurs propres modèles de risque
pour satisfaire aux critères imposés sans réellement couvrir leurs risques.
Par exemple?

La partie quantitative étudie la manière dont le bilan de chaque banque évolue en cas de chute des marchés actions, obligataires et immobiliers, en cas de hausse violente de la volatilité ou en cas de détérioration sévère des conditions économiques. Cette année, le test – plus strict que celui de 2017 – comporte, par exemple, un scénario de récession globale accompagnée d’une chute du PIB américain au quatrième trimestre 2019 et d’une hausse du chômage US à 10%. Le régulateur examine la sensibilité des actifs de la banque en réaction au stress et estime la perte à absorber par les fonds propres. Dans tous les cas, le rapport capital propre sur actifs pondérés pour le risque doit rester supérieur à 4,5%.

Pourquoi deux évaluations?

Parce qu’une banque peut répondre aux exigences de fonds propres en termes de ratios et réussir le test quantitatif sans pour autant être correctement protégée des risques qu’elle encourt. La partie qualitative permet d’éviter l’arbitrage réglementaire et de contourner l’asymétrie d’information entre banques et régulateur. N’oubliez pas que les banques utilisent leurs propres modèles de risque et peuvent les ajuster pour satisfaire aux critères imposés sans réellement couvrir leurs risques. On a vu après la crise que, dans certains cas, la pondération du risque par les modèles internes était corrélée négativement avec les pertes réelles. On a aussi vu des banques engager des « quants » pour faire diminuer la mesure du risque et non le risque lui-même. La Fed envoie donc ses propres économistes pour interviewer la banque sur les hypothèses retenues dans ses modèles.

La Fed a-t-elle le personnel qualifié pour mener cette tâche?

Cela n’a pas toujours été le cas mais, aujourd’hui la Fed a beaucoup de personnel très qualifié, surtout depuis la crise qui a vu nombre d’experts quitter le secteur bancaire pour rejoindre les organes de réglementation. Elle a développé ses propres modèles de risque et en compare les résultats avec ceux des modèles des banque avec, sans surprise, des résultats toujours moins favorables. Ceci étant, la surveillance parfaite n’existe pas.

Seules 18 banques sont soumises à l’appréciation qualitative sur les 35 testées lors de l’évaluation quantitative. Pourquoi?

C’est une question de coûts – très élevés pour remplir l’ensemble des critères du CCAR – que l’on cherche à épargner aux banques plus moyennes même si certaines sont probablement suffisamment grandes pour générer une crise financière.

On peut toutefois s’interroger: laisse-t-on passer
certaines banques pour ne pas déstabiliser le marché?
Cette année, toutes les banques ont passé la partie quantitative avec succès. Est-ce particulièrement positif?

Toutes les banques réussissent cette partie des tests depuis 2014. C’est sur la partie qualitative que certaines échouent. Notez que certaines grandes banques comme Goldman Sachs, State Street ou Morgan Stanley sont proches du seuil critique cette année mais ce n’est pas toujours prédictif du résultat final. Il fut des années où certaines banques passaient le test quantitatif haut la main pour échouer au test qualitatif. On peut toutefois s’interroger: laisse-t-on passer certaines banques pour ne pas déstabiliser le marché?

Quelles décisions peut prendre la Fed et avec quelles conséquences?

La Fed a trois choix: pas d’objection (feu vert), une objection conditionnelle qui oblige la banque à resoumettre ses plans de capitalization (feu orange) et objection (feu rouge). En cas d’objection, la banque n’est plus libre de distribuer son capital comme elle l’entend et donc de verser des dividendes à ses actionnaires. C’est un très mauvais signe pour les investisseurs.

Il est question d’affaiblissement de la réglementation. Qu’en est-il?

Parmi les propositions d’origine politique, l’une d’elle est la règle dite «off-ramp» qui permettrait aux banques dont le ratio de fonds propres dépasse 10% (sur les actifs non pondérés du risque) d’échapper aux stress tests. Cela signifierait que ces banques pourraient échapper à la surveillance accrue de la Federal Reserve et faire «tout ce qu’elles veulent» du coté actif de leur bilan ce qui, en fin de course, voudrait dire qu’un buffer de 10% ne suffirait pas. La décision est passée à la Chambre mais pas au Sénat mais elle peut être remise sur la table. Comme dans le cas de l’abrogation du Glass–Steagall Act, on pourrait oublier les leçons de l’histoire. En outre, le gouvernement Trump avait gelé les recrutements de la Fed en janvier 2017. Moins de personnel, moins de contrôle!

Vous avez étudié de manière approfondie l’impact de ces stress tests sur le comportement des banques. Avec quelles conclusions?

Des conclusions paradoxales. Les banques soumises aux tests ont besoin davantage de financement propre que les autres. Cela les pousse à investir dans des actifs plus profitables donc plus risqués. A l’inverse, comme la valeur des actifs risqués diminue davantage en cas de stress, les banques essayent de réduire leur risque pour diminuer leurs exigences en capital au cours du test suivant. Les deux comportements coexistent mais pour des banques soumises aux mêmes exigences de capital, les résultats montrent que la surveillance réglementaire par les stress tests réduit l’appétit des banques au risque.