Privilégier une croissance qualitative

Yves Hulmann

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Heinz Huber, directeur de Raiffeisen Suisse, vise une croissance en ligne avec celle du marché hypothécaire dans son ensemble.

Des résultats solides dans un environnement difficile. C’est le message qui a été délivré jeudi par la direction de Raiffeisen lors de la présentation de ses chiffres pour l’exercice 2020. Le bénéfice net a crû à 861 millions de francs (+3,1%). La progression s’est poursuivie aussi bien dans les placements que dans les affaires hypothécaires. Les actifs sous gestion ont augmenté de 16,8 milliards pour atteindre 224 milliards de francs (+8,1%). Les afflux nets d’argent frais se sont établis à 16,3 milliards de francs, dont les trois quarts proviennent de clients existants de l’établissement, a précisé la direction. En tout, la troisième plus grande banque helvétique a gagné quelque 37’000 nouveaux clients à travers le pays, dont 18’837 clients rien qu’en Suisse romande. «Un nouveau client sur deux est Romand», a résumé Gilles Cherbuin, responsable du siège pour la Suisse romande chez Raiffeisen Suisse, lors d’une conférence téléphonique séparée consacrée aux activités du groupe en Suisse romande. 

Dans les affaires hypothécaires, Raiffeisen a maintenu une part de marché stable à 17,6%. Les créances hypothécaires ont enregistré une hausse de 2,7% pour s’établir à 190 milliards de francs à fin 2020. La progression a été un peu plus marquée en Suisse romande où la hausse a été de 3,1% pour un volume de 35,7 milliards de francs.

«Pour beaucoup de ménages en Suisse, l’accès à la propriété
est encore plus difficile actuellement que par le passé.»

La présentation des chiffres 2020 a aussi été l’occasion pour Raiffeisen d’annoncer de nouvelles initiatives numériques. Développée en coopération avec la Mobilière, la plateforme destinée aux propriétaires de logements «LIIVA» sera lancée sur le marché durant l’été. Le groupe va aussi lancer dans le courant du second semestre 2021 le «Raiffeisen PME eServices», une plateforme multi-bancaire destinée à la clientèle d’entreprises. Heinz Huber, président de la direction de Raiffeisen Suisse, commente la marche des affaires et les différentes initiatives en cours du groupe.

Lors de la présentation des résultats, vous avez évoqué une «croissance saine» des hypothèques de 2,7% réalisée l’an dernier par Raiffeisen. En même temps, plusieurs études récentes indiquent que les prix de l’immobilier résidentiel, en particulier ceux des maisons familiales, ont continué de progresser en dépit de la pandémie. Va-t-on à nouveau vers une surchauffe du marché de l’immobilier résidentiel en Suisse?

La situation n’est pas comparable avec celle qui a prévalu à la fin des années 1980. Aujourd’hui, la plupart des acheteurs dans l’immobilier résidentiel sont des investisseurs privés. On voit bien sûr d’un côté que la hausse des prix s’est poursuivie. Mais, de l’autre, les critères utilisés pour l’octroi d’hypothèques n’ont, eux, pas été assouplis. Pour beaucoup de ménages en Suisse, l’accès à la propriété est encore plus difficile actuellement que par le passé. D’une part, en raison du niveau des prix qui n’ont cessé d’augmenter depuis une décennie. D’autre part, il faut apporter beaucoup de fonds propres. Les conditions en matière de capacité financière et d’avance sont toujours exigeantes. S’y ajoutent aussi des contraintes en matière d’amortissement. Tout cela a un effet modérateur sur l’évolution des prix. En ce qui nous concerne, nous privilégions une croissance qualitative, non pas une hausse des volumes à tout prix. Notre ambition est de croître en ligne avec l’évolution du marché. Une hausse de 2,7% est satisfaisante et nous pensons y arriver à nouveau en 2021.

«Je reste convaincu qu’un modèle hybride, combinant présence
physique et solutions digitales, restera le plus avantageux.»
Une croissance des créances hypothécaires de l’ordre de 2 à 3% par an correspond donc à vos attentes sur ce marché?

Oui, cela correspond à nos attentes. En montant absolu, la croissance de 2,7% réalisée l’an dernier correspond à une augmentation des créances hypothécaires de 5 milliards de francs. Ce n’est pas rien.

Raiffeisen investit beaucoup dans le développement de ses solutions digitales. Le tout numérique va-t-il devenir la norme aussi dans le domaine hypothécaire à l’avenir? Va-t-on pouvoir conclure une hypothèque entièrement en ligne chez Raiffeisen ou allez-vous continuer de miser sur un conseil personnalisé? 

Nous observons bien sûr à quel point les choses évoluent très vite en la matière. Néanmoins, je pense que le conseil personnalisé restera important dans certains domaines, par exemple en matière de placements ou concernant les hypothèques. Conclure une hypothèque ne se limite pas à la seule question du financement. Cela a aussi des implications en matière d’assurances concernant les bâtiments ou en cas de décès et il y a d’autres risques qui doivent être pris en compte. C’est pourquoi, je reste convaincu qu’un modèle hybride, combinant présence physique et solutions digitales, restera le plus avantageux pour un établissement comme le nôtre et nos clients.

En matière de placements, il y a beaucoup de gens qui souhaitent prendre le moins possible de risques et laisseraient leur argent sur un compte d’épargne en temps normal. Qu’avez-vous à leur proposer?

Le fait que les taux d’intérêt se situent à des niveaux extrêmement bas est justement un facteur qui incite à investir son argent autrement qu’en le laissant sur un compte d’épargne faiblement rémunéré. Pour ces clients, nous leur offrons des solutions de placement très conservatrices mais qui génèrent néanmoins un certain rendement.

«Raiffeisen ne définit pas de seuils spécifiques à partir desquels
les taux négatifs s’appliquent automatiquement ou non.»
Un nombre croissant d’établissements répercutent les taux négatifs aussi aux clients de la banque de détail. Si quelqu’un vient chez Raiffeisen avec plusieurs dizaines de milliers de francs pour échapper aux taux négatifs appliqués ailleurs, allez-vous l’accepter comme client dans votre établissement?

Il faut préciser qu’une telle décision incombera aux différentes Banques Raiffeisen elles-mêmes. Au niveau de Raiffeisen Suisse, nous ne faisons que d’émettre des recommandations. Raiffeisen ne définit pas de seuils spécifiques à partir desquels les taux négatifs s’appliquent automatiquement ou non. Si un nouveau client vient chez Raiffeisen en apportant un certain montant, le conseiller va évaluer s’il est seulement intéressé à «parquer» son argent quelque temps ou s’il est intéressé à construire une relation d’affaires sur le long terme. S’il souhaite investir son argent, souscrire à une hypothèque, etc. Chaque situation est évaluée de manière individuelle.

Raiffeisen a aussi annoncé jeudi le lancement au printemps de LIIVA, une plateforme destinée aux propriétaires de logement mise sur pied avec La Mobilière. A quoi servira-t-elle?

Il ne s’agira pas d’un portail de comparaison en plus sur le marché comme il en existe déjà de nombreux autres. Cette plateforme vise à répondre à l’ensemble des besoins des propriétaires de logement. Elle s’inscrit dans le cadre de l’écosystème logement destiné à accompagner les propriétaires aussi bien s’ils souhaitent acheter un logement, le vendre, le rénover.

A l’heure où beaucoup d’établissements réduisent le nombre de leurs succursales à travers le pays, Raiffeisen conserve le réseau le plus dense du pays, y compris dans les régions périphériques. Seriez-vous prêt à assurer une sorte de mandat de service minimal pour le trafic des paiements dans les régions où il n’y a parfois plus ni bancomats, ni offices de poste?

Le trafic des paiements est une notion qui évolue en même temps que la technologie et des habitudes des clients. Si c’est jugé nécessaire, nous aurions bien sûr les capacités, avec nos 824 agences en Suisse, pour offrir l’infrastructure nécessaire afin d’assurer de telles prestations dans différentes régions du pays. Maintenant, c’est une discussion qui a une dimension très politique, elle concerne une forme de service publique. Elle n’est pas seulement d’ordre commercial.

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