Pouvoir traiter n’importe quel produit n’importe où

Nicolette de Joncaire

4 minutes de lecture

Avec trois millions de produits disponibles en ligne, Swissquote peut rivaliser avec les grandes banques privées sur la scène internationale. Entretien avec Marc Bürki.

©Keystone

 

Lors des derniers résultats annuels, il y a un an, Marc Bürki prévoyait un chiffre d’affaires de 495 millions et 50'000 nouveaux comptes pour 2023. Ces anticipations avaient été revues à la hausse en cours d’année mais, en tout état de cause, les résultats publiés hier sont nettement au-dessus des espérances. Avec un chiffre d’affaires en hausse de 30,2% à 531,4 millions et un bénéfice avant impôts de de 255,4 millions, soit une augmentation de 37%, Swissquote continue à battre tous les records, à la grande satisfaction des investisseurs. Le cours de l’action est en hausse d’environ 30% sur un an et les actionnaires se verront offrir un dividende quasi doublé de 4,30 francs. Les avoirs des clients ont cru de 11% à 58 milliards (soit plus du double de ce qu’ils étaient il y a cinq ans). Depuis 20 ans, la société dégage des bénéfices année après année, quelles que soient les conditions de marché. L’an dernier, les revenus non transactionnels ont dépassé les revenus transactionnels pour la première fois (58% et 42% respectivement) et désormais la clientèle internationale contribue davantage au chiffre d’affaires que la clientèle suisse (51% contre 49%). Quelques éclaircissements avec Marc Bürki, CEO de Swissquote.

La hausse des revenus non transactionnels en 2023 est largement attribuable à celle des taux d’intérêt. Toutefois, on les attend à la baisse cette année. Comment envisagez-vous ces revenus d’intérêt pour 2024?

2023 a vu un retour à la normale des taux d’intérêt après des années de disette. Nous prêtions à certaines communes à des taux négatifs. La stratégie des banques centrales était compréhensible compte tenu des lendemains de la crise financière – et en Suisse de la force du franc - mais la situation était hors normes. Pour ce qui est du futur, nous avons factorisé une baisse de l’inflation et des taux pour 2024 et 2025. Sur une base conservatrice, nous avons conclu que cette évolution n’aurait pas d’effet sur les revenus d’intérêt en 2024 car les taux directeurs du franc suisse devraient se situer, en moyenne, au même niveau qu’en 2023. De même, si le taux du dollar commençait à descendre dès à présent, ce qui n’est pas encore certain compte tenu des derniers chiffres d’inflation publiés ces jours-ci aux Etats-Unis, le taux moyen resterait le même qu’en 2023. En outre, les dépôts devraient s’accroitre ce qui compenserait un éventuel impact négatif.

De quelles devises est composée votre base de dépôts?

La base de dépôts est constituée pour 60% de francs suisses, pour 20% de dollars et pour 15% en euros. Le solde en devises diverses.

La clientèle internationale contribue davantage à votre chiffre d’affaires que la clientèle suisse. Les avoirs des clients étrangers sont-ils plus élevés que ceux des suisses?

Oui, le dépôt de notre clientèle étrangère est en moyenne plus élevé que celui de notre clientèle suisse. Son avoir moyen se situe à 200'000 francs contre 100'000 francs en Suisse. C’est aussi une question de différence du modèle d’affaires. En Europe, par exemple, le marché bancaire de retail online est très compétitif et, plutôt que de nous mettre sur le même terrain que les autres plateformes, nous avons choisi de nous adresser au segment « mass affluent » par le bais de notre banque luxembourgeoise. A Singapour, notre clientèle est institutionnelle. A Dubaï et au Moyen-Orient, c’est un mix de clients institutionnels et fortunés. Dans tous les cas, ce sont des profils différents de notre clientèle suisse.

Comment vous positionnez-vous vis-à-vis d’autres plateformes comparables à l’international. Pourquoi un client étranger choisit-il Swissquote?

Parce que notre offre est unique dans le paysage international dans la mesure où nous avons créé une «usine» à traiter une quantité considérable de produits différents. Entre actions, fonds, obligations, dérivés, cryptos et autres, nous couvrons plus de 3 millions d’instruments. De plus, nous offrons également un service de paiement et des cartes de crédit. Nos concurrents sur le marché international ne sont pas les plateformes de négoce en ligne mais les banques privées et commerciales. Avec des prix incomparables. Sur le segment institutionnel, à Singapour nous nous retrouvons en face de HSBC ou d’UBS. La richesse de cette offre vient des exigences des clients suisses qui ont été habitués par leurs banques à pouvoir traiter n’importe quel produit n’importe où. Ce qui fut difficile au départ nous donne aujourd’hui un avantage compétitif certain. Sans compter qu’en tant que banque suisse, nous sommes déjà familiers avec l’approche multilingue.

Vous venez d’acquérir Optimatrade en Afrique du Sud. Quelle est sa place dans l’univers Swissquote?

Cet achat est basé sur une opportunité. Les Africains du Sud sont friands de protection des fonds et de confidentialité ce qui joue en faveur d’une banque suisse et nous y offrons aussi bien des produits onshore que des produits offshore. Notre partenariat avec Optimatrade a bien fonctionné depuis 10 ans et nous avons dépassé le milliard de francs d’avoirs en Afrique du Sud mais il était temps de parachever l’intégration pour un petit montant.

Pensez-vous rayonner en Afrique auprès de la clientèle «mass affluent» à partir de là?

Nous nous posons la question du rayonnement car le potentiel est énorme mais il est difficile à aborder pour un groupe bancaire de taille moyenne.

Envisagez-vous la gestion de fortune en ligne en dehors des robo-advisors?

Notre offre robo-advisor a été conçue pour une clientèle de geeks assez particulière et limitée. Une majorité de clients lui préfère une solution plus simple, Invest Easy, qui offre quatre stratégies prédéfinies en fonction de l’appétit au risque. Avec la gestion de fortune en ligne, nous gérons environ 611 millions d’actifs, en croissance rapide après des débuts difficiles.

L’intelligence artificielle prend-elle une place croissante dans vos services de conseil en ligne?

Nous avons testé pas mal d’outils et ils font leurs preuves dans deux domaines. L’AI régénérative nous aide – voire se substitue à l’intervention humaine - dans le dialogue avec le client. En testant le service nous avons réalisé qu’elle est si efficace que certains clients ne se rendent pas compte qu’ils ont affaire à un robot. Nous allons continuer à tester ces outils pour les proposer à nos clients. Nous utilisons également l’AI pour aider à la construction de fonds thématiques (sur l’hydrogène par exemple). Les temps de recherche pour identifier les bons produits en sont raccourcis et nous aimerions offrir ce potentiel directement aux clients. Je suis convaincu de l’avenir d’une AI qui fait de plus en plus preuve de créativité. Cela change tout.

Les revenus associés aux cryptoactifs ont reculé de 31,9% en 2023. Qu’attendez-vous d’une année qui s’annonce bonne après un long hiver?

Je m’attends à être surpris en bien tout en restant prudent dans les prévisions. Nous assistons à un boom sur les 4 ou 5 dernières semaines et sur les 30 millions de chiffre d’affaires prévus sur les cryptos pour 2024, nous en avons déjà réalisé 8. Les cryptos doivent faire partie d’une offre digitale mais je ne veux pas que Swissquote soit considéré comme un «crypto stock» et que sa valeur soit corrélée au prix du bitcoin.

Quels avantages vous apporte SQX votre plateforme crypto propriétaire?

Au départ nous avons été de simples brokers sur les exchanges existants mais nous sommes rendus compte que nous en étions tributaires, soumis à leurs pannes et occasionnellement à leurs pertes de crédibilité. SQX nous en protège et, de surcroît, nous a permis de développer le matching interne et une certaine profondeur de marché grâce à la présence de markets makers. Swissquote peut aujourd’hui liquider 100 bitcoins instantanément. Notre offre en est grandement améliorée et nous pouvons gagner un peu du spread. SQX nous permet aussi d’offrir le custody et le staking. Ce fut un gros investissement dans un moment de doute mais nous sommes très contents de l’avoir fait.

Votre cost/income ratio est de l’ordre de 50%, cela vous parait-il satisfaisant?

Sur l’offre existante, un client supplémentaire ne nous coute rien mais notre optique n’est pas d’optimiser mais de développer. A l’avenir, il ne nous faudra plus 750 millions de chiffre d’affaires pour générer un bénéfice de 350 millions. 700 millions suffiront. Les investissements croitront moins rapidement que les revenus mais nous ne voulons pas réduire nos expectatives. 

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