Pourquoi les banques ont-elles retrouvé le sourire?

Nicolette de Joncaire

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Les banques européennes ont récupéré leurs marges sur les dépôts et affichent de bons résultats. Le secteur renoue avec la croissance, selon David Benamou d’Axiom Alternative Investments.

Avec la remontée des taux d’intérêt des deux dernières années, les banques européennes ont renoué avec les bons résultats et la croissance. Malgré les mésaventures de Credit Suisse, l’attention ne se porte plus sur leurs éventuelles fragilités mais sur leur rentabilité. Toutefois, il convient de bien distinguer l’univers bancaire américain de l’européen qui ne répondent pas à la même dynamique. Aux USA, les banques régionales restent vulnérables. Associé-gérant et directeur des investissements chez le spécialiste des valeurs financières Axiom Alternative Investments, David Benamou répond à quelques questions.

Comment se portent les banques US à la fin du premier trimestre? Quels en sont les points forts et faibles?

Aux Etats-Unis, deux segments de l’univers bancaire sont en train de diverger. Les grandes banques qui se sont conformées aux recommandations de Bâle, sont bien capitalisées et solides. A contrario, les banques régionales continuent à afficher une grande fragilité, largement due à un défaut de régulation. On pense en particulier aux faillites de Silicon Valley Bank et de First Republic Bank l’an dernier et aux difficultés de Republic First Bancorp aujourd’hui. Ces établissements devront désormais se plier à une réglementation plus stricte ce qui représentera pour elles un poids supplémentaire. A l’heure actuelle, les banques régionales sont valorisées à onze fois leur résultat brut alors que les valorisations des grandes banques atteignent douze à treize fois. Ces dernières, surtout celles qui comptent les services de banque d’investissement, continuent à bien performer.

Qu’en est-il des banques européennes?

Elles obéissent à une dynamique très différente car les Etats-Unis bénéficient d’un marché bancaire unique alors qu’en Europe chaque pays a maintenu ses spécificités. Une autre distinction tient à la politique de leurs banques centrales respectives qui n’obéissent pas aux mêmes obligations. La Réserve fédérale est guidée par l’activité et l’emploi alors que la Banque centrale européenne l’est par le niveau des prix. En raison des taux très faibles, voire négatifs, les banques européennes n’ont pratiquement pas touché de marge sur les dépôts pendant près de dix ans, ce qui les a lourdement pénalisées. Un taux de bancarisation nettement supérieur en Europe – de l’ordre de 70% contre 40 à 50% aux USA – accuse le problème. Ajoutez encore en défaveur des banques européennes des tarifs et commissions inférieurs et un climat réglementaire beaucoup plus contraignant (sur les prêts à la consommation par exemple où s’applique l’interdiction de l’usure). Avec pour corollaire une valorisation de l’ordre de sept fois le résultat brut. Mais tout n’est pas négatif, la pression sur les marges d’intérêt a contraint les banques européennes à optimiser leurs coûts ce qui les rend potentiellement plus compétitives.

Difficile d’oublier Credit Suisse. Y a-t-il encore en Europe des banques fragiles?

Le cas de Credit Suisse est atypique. Beaucoup de controverses et d’amendes, une perte de confiance du marché, une proportion de dépôts stables faible, une rentabilité insuffisante et un retard considérable sur son plan de réorganisation, Credit Suisse a laissé passer le train. Le choix d’un CEO qui n’avait jamais dirigé une banque n’était peut-être pas la meilleure idée. Toute aussi mal partie, Deutsche Bank avait su se réformer et passer à la vitesse supérieure. Ce qui fut aussi le cas d’Unicredit largement recapitalisée grâce à Jean-Pierre Mustier. Pour ce qui est des banques fragiles en Europe, on en trouvait encore l’an dernier, comme Montepaschi ou certaines banques grecques mais les résultats 2023 ont balayé les dernières inquiétudes. A l’exception peut-être de quelques acteurs allemands spécialisés dans l’immobilier comme Aareal ou Pfandbriefbank dont les risques se comptent toutefois aujourd’hui en points de base plutôt qu’en pourcentages. Cette année, l’objectif n’est plus d’identifier les banques les plus fragiles mais de déterminer les moins rentables.

Alors quelles sont les plus rentables?

Sur les 24 derniers mois, ce sont les banques d’Europe du sud: italiennes, espagnoles, grecques. En Italie, je pense à Unicredit ou à Montepaschi dont les contentieux sont arrivés à terme, en Espagne à CaixaBank ou à Banco Sabadell. Grâce à la hausse des taux, ces banques ont retrouvé leurs marges sur les dépôts et bénéficient d’un «deposit beta» faible car elles ont une clientèle peu sophistiquée.

Qu’appelez-vous «deposit beta»?

C’est la proportion de la rémunération perçue par la banque reversée à ses clients. Il est en moyenne de 27% en Europe mais dans les banques citées ici, il est plutôt de l’ordre de 15%. Avec une clientèle plus sophistiquée, il peut monter au-dessus de 40%. C’est le cas en France par exemple.

Quelles perspectives dans les mois à venir?

Si les taux baissent, nous aurons atteint le pic des avantages d’un «deposit beta» faible. Les banques dont le mix de revenus (marges d’intérêt, marges de crédit, pente de la courbe des taux) est plus équilibré auront une meilleure rentabilité. Je pense à BNP Paribas par exemple. Une rotation est donc à prévoir car la courbe devrait s’aplatir, voire se repentifier légèrement, et donc les banques d’Europe du nord (Suisse, France, Allemagne, Pays-Bas) devraient mieux performer.

Comment évoluera le secteur bancaire des prochaines années?

A mon sens, le secteur bancaire redevient un business de croissance. Depuis 2020, nous sortons progressivement d’une globalisation aux effets très désinflationnistes et sommes entrés dans un cycle de réindustrialisation en Europe. Si vous y ajoutez le déclenchement de conflits successifs, nous devrions entrer dans une ère très inflationniste qui sera financée par les banques. Sans oublier le financement de la transition énergétique au rythme de 500 milliards d’euros par an. Donc un regain d’activité pour les banques, soutenu par l’assouplissement des contraintes réglementaires introduit par le SME Supporting factor qui réduit leurs exigences en capital sur les prêts aux petites et moyennes entreprises.

Que pensez-vous du sauvetage de Credit Suisse?

Il aurait pu être réalisé différemment comme l’avait été le sauvetage d’UBS en 2008. Mais ce dernier semble avoir été très impopulaire et il fallait flatter les intérêts des actionnaires moyen-orientaux. Ce que cette crise a démontré est que le «too big to fail» tel qu’il avait été conçu est inapplicable. Pour mieux faire, et il en est question, il faudrait distribuer le capital au sein de chaque unité opérationnelle et les considérer comme des business différents. Pour UBS, sur le papier, le deal est extraordinaire. C’est sans compter avec l’augmentation des besoins en capital, l’intégration des différentes unités et les sensibilités politiques. Mais si la fusion se déroule bien, la Suisse se retrouvera avec une banque extraordinaire, pourvue d’une taille critique qui lui permettrait de rivaliser avec les banques américaines.

La crise des AT1 est-elle bien terminée?

La crise des AT1 s’est terminée trois ou quatre semaines après l’évènement, très vite digérée par le marché. Pour preuve, l’émission d’UBS de novembre a été largement sursouscrite. Notez toutefois qu’UBS y avait changé les conditions d’émission en introduisant la convertibilité en actions.

La BCE entend effectuer un test de cyberrésistance cette année. Quelles banques pourraient afficher des fragilités?

L’inquiétude est née du piratage du logiciel bancaire d’Ion Group début 2023. Si l’on ne connait pas encore les critères qu’utilisera la banque centrale pour juger de l’adéquation des banques, on peut imaginer qu’en feront partie les risques de paralysie de l’activité, de vol de données, de ponctions sur les comptes. Parmi les établissements fragiles, on pense tout naturellement à ceux dont les systèmes n’ont pas été mis à jour depuis longtemps comme Deutsche Postbank qui utilise encore des logiciels programmés en Cobol. Pour juger des gagnants et perdants de cet exercice, il faut examiner quels investissements les banques ont consenti vis-à-vis de leurs équipements informatiques sur les dernières années.

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