Placements durables: le droit de dire non

Yves Hulmann

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Forma Futura Invest décide toujours par elle-même d’inclure ou d’exclure une société de son portefeuille, rappelle son fondateur Christian Kobler.

Forma Futura Invest SA compte parmi les sociétés pionnières de l’investissement durable en Suisse. Fondé en 2006, le gérant de fonds indépendant zurichois emploie une quinzaine de collaborateurs, dont près de la moitié de femmes. Parmi celles-ci figure sa directrice Antoinette Hunziker-Ebneter, l’ancienne présidente de la bourse suisse. Entretien avec Christian Kobler, président du conseil d’administration et partenaire fondateur de Forma Futura.

Forma Futura Invest SA a-t-elle été conçue au départ en tant que gérant d’actifs ou plutôt comme une société de conseil en matière d’investissements?

Notre modèle d’affaires repose sur la gestion d’actifs discrétionnaire pour le compte de nos clients. Dès notre fondation en 2006, notre approche a été de développer un modèle d’affaires qui évite tous les conflits d’intérêt en matière de placements, en intégrant d’emblée les aspects liés à la durabilité dans notre processus de placement. Cela dit, nous faisons aussi beaucoup d’«éducation» en matière de placements durables lorsque des clients s’adressent à nous. En revanche, nous ne vendons pas la prestation de conseil à proprement parler.

«Notre univers d’investissement de départ est dès lors
déjà plus restrictif que chez de nombreux autres gérants.»
Désormais, pratiquement tous les gérants d’actifs se targuent d’intégrer les critères de durabilité dans leur politique d’investissement. Qu’en est-il chez vous?

Notre processus d’investissement comprend bien sûr plusieurs étapes. La première, celle de l’exclusion, consiste à exclure un certain nombre d’activités de notre univers d’investissement dès le départ. Hormis les domaines qui sont généralement bannis dans l’investissement durable comme les armes, l’alcool et le tabac ou les jeux d’argent, nous allons un peu plus loin dès cette étape: nous excluons aussi les sociétés actives par exemple dans l’énergie nucléaire, les techniques de fracking et les énergies fossiles l’or et les biens de luxes. Certains types de producteurs engrais, de fabricants de produits incluant des nanoparticules, et de génie génétique dans l’agriculture, sont aussi exclus. Notre univers d’investissement de départ est dès lors déjà plus restrictif que chez de nombreux autres gérants. Partant d’un univers d’investissement global comprenant - théoriquement - environ 10'000 actions et obligations, nous arrivons à un univers de placement d’environ 250 titres.

Qui effectue le travail d’analyse en matière durabilité?

En grande partie nous-mêmes. Nous nous appuyons toutefois aussi sur les données de sociétés d’analyse telles que Sustainalytics car il serait impossible de tout faire nous-mêmes. L’analyse de durabilité n’est toutefois que la première étape de notre processus d’investissement. Ensuite, notre équipe de gestion de portefeuille réalise le travail d’analyse financière classique. Le point de départ dans chaque segment sont les 15% des meilleurs titres selon l’approche dite best-in-class. Et lorsque des titres correspondent à nos critères d’investissement d’un point de vue financier, nous effectuons encore nous-même une deuxième analyse plus approfondie en termes de durabilité.

Pourquoi procéder de cette manière?

Parce que l’analyse financière, en termes de charge de travail, est moins fastidieuse que l’analyse en termes de durabilité. Si l’on faisait dès le départ une analyse de durabilité approfondie pour tous les titres pouvant, potentiellement, entrer dans notre univers d’investissement, une partie de ce travail serait effectué pour rien si, au final, une société ne satisfait pas à nos critères d’investissement sur le plan financier.

«Si on investit dans un fabricant d’ascenseurs, on s’intéressera aussi
à la consommation d’énergie lors de l’utilisation, à la maintenance, etc.»
Comment structurez-vous votre travail d’analyse?

On accorde beaucoup d’importance au leadership, à la gestion du personnel, à la formation au sein d’une société. Ensuite, on analyse en détail la stratégie, l’impact sur la nature et les produits de celle-ci, en étant particulièrement attentif à ce qui se passe après la mise en circulation d’un produit ou d’un service par une entreprise. Par exemple, si un produit est très gourmand en énergie lors de sa fabrication mais, qu’ensuite, il a une longue durée de vie ou s’il permet de réduire la consommation d’énergie sur le long terme, cette entreprise pourra figurer dans notre portefeuille. Par exemple, si on investit dans un fabricant d’ascenseurs, on s’intéressera aussi à la consommation d’énergie lors de l’utilisation, à la maintenance, etc.

Un fabricant de voitures électriques satisferait-il à vos critères?

En principe, il vaut la peine de remplacer un moteur à combustion par un véhicule électrique. Avec une voiture électrique, on estime que le «break-even» est atteint au bout de trois ans. Mais quel que soit le domaine pris en compte, nos décisions d’investissement reposent sur une analyse approfondie de durabilité. Nous avons une méthodologie claire et intégrale – tout à l’opposé des approches dites de «tick-in-the-box» qui sont parfois pratiquées dans le secteur financier. En outre, à la fin du processus d’analyse, on se réserve toujours le droit de décider nous-même d’inclure ou d’exclure une société de notre portefeuille, indépendamment des notes de durabilité obtenues par celle-ci de la part d’agences ou d’autres sociétés d’analyse. On se réserve toujours la possibilité de dire: non, on n’y croit pas!

Quels objectifs de performance vous fixez-vous?

Pour nous, il est indispensable que les deux aspects de la durabilité et de la performance soient réunis. Si le premier critère est jugé insuffisant, nous n’allons pas investir dans une société, même si celle-ci est attrayante du seul point de vue financier. Et l’inverse est vrai également.

En termes de performance, il faut souligner que les investissements qui tiennent compte des critères de durabilité obtiennent des rendements absolument comparables avec ceux de l’ensemble du marché. Des études académiques de long terme ont démontré que les placements qui tiennent compte des critères ESG présentaient même un meilleur profil rendement-risque que les portefeuilles ordinaires, justement car ils permettent d’éviter certains retours de bâtons sur le long terme.

«Le défi est de mettre en place une économie
qui ne détruit ni l’environnement, ni la société.»
Qui sont les principaux clients de Forma Futura?

La plupart sont des clients privés. Nous comptons aussi beaucoup de fondations à but non lucratif parmi nos clients. C’est une catégorie d’investisseurs qui accorde beaucoup d’importance aux principes de durabilité. Certaines fondations, créées parfois il y a déjà très longtemps, ne savent pas comment placer leur argent. Des églises ou associations religieuses s’adressent aussi parfois à nous.

Collaborez-vous avec des associations actives dans les placements durables ou des sociétés qui fournissent des recommandations en matière de droits de vote?

Outre Swiss Sustainable Finance, nous sommes aussi membres de CRIC, une organisation créée en Allemagne et qui compte également des membres en Autriche et en Suisse. Nous travaillons aussi avec Actares et zRating. En matière d’exercice des droits de vote, nous avons mis en place un processus de surveillance des controverses. Nous collaborons notamment avec la société RepRisk dans ce domaine. En matière d’exercice des droits de vote, il est essentiel d’avoir un suivi des activités d’une société en tenant compte de son évolution. Par exemple, Holcim était conforme à nos attentes en termes de durabilité. Cela n’a en revanche plus été le cas après la fusion qui donné naissance à LafargeHolcim. Lorsqu’une société ne satisfait plus à nos critères de durabilité, nous vendons l’action dans un délai de trois mois. Point. 

Pour les obligations, nous les gardons jusqu’à l’échéance mais nous ne la remplaçons pas. Par ailleurs, pour chaque société Suisse dans laquelle nous investissons, nous faisons une recommandation de vote mise à disposition de nos clients. Le client peut ensuite l’utiliser s’il vote lors de l’assemblée générale. De manière générale, nous pensons qu’il est aujourd’hui possible d’améliorer la qualité de vie pour beaucoup de personnes à travers le monde en dirigeant ses investissements d’une façon éthique et durable. Le défi est de mettre en place une économie qui ne détruit ni l’environnement, ni la société.