Place à une nouvelle génération de managers

Anne Barrat

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«L’industrie des hedge funds offre des perspectives de performances exceptionnelles» explique Nicolas Campiche de Pictet.

Pour le CEO de Pictet Alternative Advisors (PAA), les hedge funds version 2021 ont des atouts qui les rendent incontournables dans une allocation d’actifs diversifiée. Ayant très largement tiré les leçons de la crise de 2008, ils bénéficient à la fois de l’émergence de talents, issus d’une nouvelle génération de managers, et proposent des solutions plus solides, principalement en ce qui concerne la stabilité du capital. A noter encore un niveau élevé de reporting et de transparence. Nicolas Campiche sait de quoi il parle, il dirige PAA depuis 2003. Entretien.

Peut-on parler de momentum pour les hedges funds?

Le problème avec la notion de momentum, c’est qu’elle est fondée sur la performance passée. Ainsi, certains investisseurs s’intéressent aujourd’hui aux hedge funds parce que ces dernières années ont été très bonnes. Ce n’est pas notre cas: PAA a toujours investi dans les hedge funds, c’est une exposition permanente de nos portefeuilles multi actifs. Quelle que soit la tendance. Cela étant dit, il y a en effet un momentum dans le sens où la gestion alternative est aujourd’hui parfaitement adaptée pour tirer le meilleur parti de la hausse de la volatilité sur l’ensemble des classes d’actifs, d’un marché financier moins complaisant et offrant ainsi un nombre croissant d’opportunités à la fois sur la partie longe et la partie short, et finalement d’un éventuel retour de l’inflation.

«Les gérants sont beaucoup plus attentifs à ne pas avoir
de déséquilibre entre la liquidité proposée aux clients et celle du portefeuille.»
Dans quelle mesure le chemin parcouru par l’industrie depuis 2008 participe-t-il de ce momentum?

La crise de 2008 et les années qui ont suivi ont profondément modifié les pratiques des hedge funds, aussi bien en termes de gestion que d’information. S’agissant de la gestion, deux évolutions majeures sont intervenues. La première concerne la gestion du risque de contrepartie, cruciale pour garantir une stabilité du capital, permettant ainsi aux gérants de jouer le rôle de fournisseur de liquidité au marché. Ainsi, ont émergé des techniques de contrepartie sophistiquées qui permettent de mieux sécuriser le cash. Tant et si bien que ce risque est aujourd’hui le risque qui nous préoccupe le moins, ce qui était loin d’être le cas avant 2008. 

La seconde porte sur le risque de liquidité: force est de reconnaître que les gérants sont beaucoup plus attentifs à ne pas avoir de déséquilibre entre la liquidité proposée aux clients et celle du portefeuille. Un nombre croissant de gérants propose aujourd’hui des solutions hybrides, moins liquides, proche de ce qui se fait en Private Equity. Ces produits visent à capturer les opportunités notamment dans le domaine des technologies ou du crédit illiquide, avec une duration de 3 à 5 ans. Un autre changement essentiel s’est produit, sous l’influence des régulateurs, qui a trait à la transparence des gérants: aujourd’hui, ces derniers mettent à disposition de leurs investisseurs un reporting de qualité, alors qu’une opacité certaine caractérisait l’industrie avant la crise. 

Enfin, les clients eux-mêmes ont évolué: ils sont plus sophistiqués, comprennent mieux les hedge funds, investissent donc pour de bonnes raisons, et surtout avec un horizon temps suffisamment long. Leurs attentes sont plus réalistes qu’en 2006 ou 2007, ils sont moins déçus en cas de retournement, comme en mars 2020 pour citer un exemple récent. Tous ces facteurs se combinent pour positionner très favorablement les hedge funds vis-à-vis d’une communauté d’investisseurs.

Cette communauté d’investisseurs a-t-elle aussi évolué depuis 2008?

En effet nous avons constaté une évolution marquée et mieux segmentée des investisseurs. D’une part, les investisseurs institutionnels sont devenus un socle plus stable de clientèle.  Dans le passé, la base de clientèle était composée essentiellement de clients moins sophistiqués, investissant souvent leur capital par le biais des produits structurés ou de produits à taux garantis et à fort effet de levier, ce qui a amplifié les effets de la crise de 2008. Le marché est aujourd’hui mieux segmenté, avec d’un côté les clients sensibles à une meilleure liquidité et de l’autre les clients ayant un horizon temps plus long et une tolérance plus grande à la volatilité, qui optent pour des solutions offshore moins liquides, avec des espérance de rendements plus grandes. 

«En Europe, la clientèle privée reste prédominante,
composée essentiellement de clients fortunés.»

Aux Etats-Unis, la clientèle est composée aussi bien d’individus fortunés que de clients institutionnels, clientèle mature qui n’a cessé d’investir dans la gestion alternative. En Europe, la clientèle privée reste prédominante, composée essentiellement de clients fortunés. Il est intéressant de noter que la clientèle asiatique est moins présente. Ces clients, souvent entrepreneurs, recherchent des rendements élevés, principalement sur des solutions de private equity ou dans le secteur de l’immobilier, visant des taux de rendement interne de plus de 20% quitte à prendre beaucoup plus de risque.

Quid des gérants? Sont-ils eux aussi différents?

Une nouvelle génération de gérants a émergé depuis 2008, en Chine notamment. De jeunes gérants, qui ont étudié aux Etats-Unis puis travaillé dans les grandes banques d’investissement ou des hedge funds américains établis, avant de revenir en Chine, génèrent des performances exceptionnelles. Très agiles, opportunistes et bien formés, ils profitent d’une connaissance approfondie de leurs marchés, de la culture locale et d’un réseau établi. Leur savoir-faire s’exprime pleinement dans des marchés asiatiques volatiles et moins arbitrés. Cette deuxième génération de gérants, souvent basés à Shangaï, attirent notre attention, et justifient une allocation croissante dans nos portefeuilles. 

Est-ce à dire que New York et Londres ne sont plus les épicentres de l’industrie des hedge funds?

Non, la cartographie a peu évolué. Les deux centres névralgiques de l’industrie restent New York et Londres. La principale nouveauté vient de l’émergence de la Chine dans l’industrie de l’asset management en général, des hedge funds en particulier.

«Nous sommes plus attentifs au niveau de frais prélevés par rapport
à la valeur ajoutée générée, qu’au niveau absolu des commissions.»
Et les frais de gestion, souvent pointés du doigt comme prohibitifs?

Même s’il y a eu depuis 2008 une évolution sensible, les frais restent le point faible de l’industrie. Si la règle du «2 and 20» (2% pour les frais de gestion et 20% de commission de surperformance) n’est plus d’actualité, il reste que les bons gérants ont peu de pression sur les frais. La tendance va dans le bon sens, la nouvelle génération affichant des frais plus raisonnables. Ils sont conscients de l’importance de l’alignement des intérêts entre le gérant et les clients, d’un partage plus équitable de la performance. La volonté de minimiser les frais fixes pour éviter qu’ils ne pèsent trop sur les marges et améliorer la proposition de valeur aux clients gagne du terrain parmi les gérants. Chez PAA, nous sommes plus attentifs au niveau de frais prélevés par rapport à la valeur ajoutée générée, qu’au niveau absolu des commissions. Nous évitons autant que possible les fonds qui ne font qu’exploiter une prime de risque du marché. 

Quelles sont les principales tendances en cette fin de crise sanitaire?

Le fait le plus marquant aujourd’hui, qui n’est pas lié à la sortie de la crise, est que les gérants ne prennent plus d’argent. Ils capent leurs fonds, voire les ferment... Une rotation s’est opérée depuis le début 2021 vers des actifs «value» au détriment des actifs de type «growth», autrement dit des entreprises de croissance qui ont surperformé en 2020 vers des entreprises au profil plus défensif. Cette tendance reflète les anticipations économiques post-Covid. Beaucoup de gérants ont atteint un volume d’actifs sous gestion (AuM) trop importantes pour pouvoir continuer à générer le même niveau de performance. Disciplinés, ils préfèrent rendre du capital et réduire la taille de leur fonds plutôt que de céder à une course aux actifs incompatible avec leur stratégie. Un signe d’honnêteté que l’on ne peut que saluer, mais qui pose problème, la demande restant très forte. Il y a aujourd’hui plus de demande que d’offre dans l’industrie des hedge funds.

Quelles stratégies privilégiez-vous?

Nous privilégions les opportunités intéressantes des gérants chinois, donc une exposition forte en Asie. Les stratégies long short sont à nos yeux porteuses en ces temps de valorisations élevées; le short en particulier. Nous travaillons également de plus en plus avec des gérants qui appliquent les critères ISR (ESG) dans leur gestion.

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