Personnaliser les placements durables selon le profil du client

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Yova compte parmi les sociétés «fintech» en forte expansion en Suisse. Rencontre avec Tillmann Lang, son directeur.

Allier les nouvelles possibilités offertes par les technologies financières et les principes de la finance durable est cœur du concept de la «fintech» zurichoise Yova. La société a été créée en 2017 dans l’entourage de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) par Tillmann Lang, son directeur, et Erik Gloerfeld, co-fondateur, qui a aussi lancé le projet Lapel & Tie et développé l'initiative GreenBuzz. Yova, qui compte désormais une quinzaine d’employés à Zurich, a figuré parmi les trois finalistes du Digital Economy Award 2019 ainsi que du Swiss Fintech Award 2019. Comment concilier placements durables et investissements largement automatisés? Explications avec Tillmann Lang.

Comment le concept de Yova est-il né?

L’idée initiale a été de permettre aux investisseurs de pouvoir investir directement dans un portefeuille composé d’un certain nombre de sociétés sélectionnées en tenant compte des critères liés à l’investissement durable – et personnalisé en fonction des préférences des investisseurs. Au bout de quelques semaines, nous avons ainsi pu proposer une première solution à quelques personnes qui ont servi de test. Après les premiers tests effectués en 2017, nous avons ensuite, pas à pas, automatisé davantage l’ensemble des processus, puis lancé une plateforme en ligne.  

Chaque investisseur détient donc un portefeuille différent?

Oui, c’est un point important à mentionner. Nous ne proposons pas une série de portefeuilles modèles prédéterminés. Chaque portefeuille est déterminé en tenant compte de l’horizon de placement de l’investisseur, de son profil de risque et bien sûr aussi des aspects qu’il juge particulièrement important en matière d’investissement durable.

Notre algorithme assure à tout moment que le profil de risque
du client soit respecté au sein du portefeuille.
Un client qui accorde davantage d’importance aux aspects sociaux plutôt qu’environnementaux n’aura donc pas le même portefeuille qu’un utilisateur qui veut surtout lutter contre le changement climatique?

Oui, la plateforme analyse les sociétés en tenant compte d’une trentaine de critères qui se répartissent entre aspects environnementaux – le changement climatique, la biodiversité, l’alimentation végétarienne, etc. – mais ausis sociaux – par exemple, l’accès à la formation, la répartition hommes-femmes dans l’entreprise, etc. – ainsi que de gouvernance.

Combien de positions comprend typiquement un portefeuille?

Environ 40 positions. Je pense que c’est suffisant. Selon la théorie financière, avec 16 ou 17 titres, vous disposez d’un portefeuille déjà bien diversifié. Si vous augmentez ce nombre à 20 titres, cette diversification s’améliore encore mais pas de manière spectaculaire. De 20 à 30 encore un peu, et en passant de 30 à 40, seulement de manière marginale. C’est pourquoi, avec une quarantaine de titres, nous estimons que le niveau de diversification est suffisamment assurée.

Le client peut-il ensuite encore ajuster son portefeuille?

Oui, c’est possible. Si un client veut retirer l’action d’une société qui ne lui convient pas, pour une quelconque raison, il faudra toutefois que ce titre soit remplacé par une autre société qui corresponde au profil de risque défini pour ce client. Notre algorithme assure à tout moment que le profil de risque du client soit respecté au sein du portefeuille.

Quel est l’univers d’investissement de départ – et selon quels critères est-il défini?

Il compte environ 400 sociétés. Ces entreprises sont analysées sur la base de trente critères de durabilité et elles obtiennent ainsi un certain score qui permet de les inclure ou non dans cet univers.

Recourrez-vous à l’analyse de sociétés tierces?

Non, nous n’achetons pas de rating auprès d’agences de notation. Nous préférons acheter des bases de données primaires qui servent de base à notre évaluation.

Les femmes représentent environ
un tiers de l’ensemble de nos clients.
Y a-t-il des sociétés qui sont à la limite de ce qui peut être considéré comme durable, avec des aspects très positifs dans certaines activités mais pas satisfaisants dans d’autres segments?

C’est un débat continuel. Prenez l’exemple d’une société comme Google: celle-ci a fait d’énormes progrès concernant l’approvisionnement en électricité «verte» pour ses data center. Elle satisfait donc aux exigences environnementales sur ce plan. En revanche, il y a beaucoup de questions qui restent ouvertes concernant la protection des données des utilisateurs, ce qui fait que l’entreprise reste jugée insuffisante du point de vue des critères sociaux.  

Qui possède les titres gérés par Yova tout au long du processus d’investissement?

Le client reste toujours le propriétaire direct de chacun des titres qu’il a en portefeuille. Contrairement à d’autres solutions automatisées ou semi-automatisées, qui investissent souvent via des ETF, chaque client de Yova reste toujours le propriétaire direct du titre. Nous avons un mandat de gestion sur le portefeuille mais chaque action demeure à tout moment la propriété du client.

Combien de clients comptez-vous actuellement?

Nous avons déjà fourni à plus de 16'000 personnes en Suisse des stratégies d'investissement d'impact personnalisées. Et chaque jour, un nombre à deux chiffres de nouveaux clients deviennent des investisseurs d'impact.

Quel est le profil de ceux-ci?

Les femmes représentent environ un tiers de l’ensemble de nos clients. Ce qui mérite d’être souligné, car c’est loin d’être toujours le cas pour de nombreuses autres plateformes technologiques. On observe aussi que beaucoup de clients, soit près des deux tiers d’entre eux, n’ont encore jamais investi d’argent. Peut-être que cela s’explique par le fait que le client sait exactement dans quoi il investit. Côté âge, environ la moitié de nos clients ont moins de 35 ans – toutefois, il y a aussi beaucoup de personnes aussi relativement âgées qui préfèrent gérer eux-mêmes leurs investissements.

Comment voulez-vous assurer la poursuite de votre expansion?

Tout d’abord, nous comptons sur le bouche-à-oreille. A ce sujet, nous sommes souvent aidés par le fait que nos clients sont souvent fiers de leurs investissements et en parlent à leur entourage. Ensuite, nous faisons aussi de la publicité, notamment via les réseaux sociaux ou sur Google, mais aussi de manière plus classique avec des affiches dans les bus et les trams. C’est déjà le cas à Zurich mais nous allons bientôt lancer une campagne à Lucerne et à St-Gall. Par ailleurs, nous misons aussi sur des événements et nous publions des études (« white paper ») en lien avec l’investissement durable.

Misez-vous aussi sur des partenariats avec des instituts bancaires?

Oui, nous envisageons de le faire. Mais nous le ferons toujours sous la marque Yova. Nous ne voulons pas mettre à disposition notre plateforme à des tiers en marque-blanche.