A nouvelle ère, nouveau marché

Salima Barragan

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Erick Muller de Muzinich & Co: «Le portage redevient intéressant».

Le retour des taux d’intérêt positifs est une bonne nouvelle pour les porteurs d’obligations. Un bémol toutefois: l’environnement économique incite à la prudence. Muzinich & Co table cette année sur une croissance molle conditionnée par la décélération de l’inflation et les politiques monétaires. «Une baisse des taux en 2023 semble improbable. Peut-être en 2024», estime Erick Muller, Head of Product and Investment Strategy chez Muzinich qui favorise les émissions de qualité au détriment du High Yield. Entretien.

Comment la fin des taux d’intérêt négatifs change la donne du marché?

Nous sommes rentrés dans une ère de taux positifs. C’est une bonne nouvelle après une dizaine d’années de répression financière, de taux et de spread bas - parfois négatifs- , forçant les liquidités à s’investir dans les actifs risqués et entrainant une inflation financière à défaut d’une inflation économique.

L’ensemble de la courbe des taux est maintenant en territoire positif. Les spreads, restaurés, devraient perdurer. Aujourd’hui, la situation est claire: nous avons des rendements et des spreads ; le portage est de retour. Le marché du crédit peut à nouveau remplir son rôle de rente avec un risque modéré. Il est à présent attractif par rapport aux actions et à l’immobilier. Les taux nominaux ne se rabaisseront pas à 1%. Les spreads ne s’écraseront pas au même niveau qu’avant, et nous ne reviendrons pas en arrière tant que l’inflation reste au-dessus de la tendance à long terme.

La disparition de la béquille de liquidité globale s’accompagne de politiques monétaires restrictives, donc d’un cycle économique mou afin que l’inflation revienne sur les rails.
Comment ces développements changent-t-ils votre vision des investissements?

La rente est restaurée tandis que les perspectives sur les marchés actions deviennent moins favorables. La disparition de la béquille de liquidité globale s’accompagne de politiques monétaires restrictives, donc d’un cycle économique mou afin que l’inflation revienne sur les rails. Dans ces conditions, les marges se compriment et les actions – hors énergie – ne seront ni performantes ni généreuses avec leur dividende. Surpondérer fortement les actions en sous-pondérant tout aussi fermement le crédit, comme lors des dernières années, ne fait plus le même sens désormais.

Quels segments obligataires procurent-ils la meilleure couverture contre un cycle anémique?

L’année 2022 a été agitée, avec une divergence des performances de 15% entre les meilleurs secteurs et les moins bons. Ces dispersions importantes proviennent du choc de la hausse de taux.  L’immobilier en a souffert tandis que les bancaires ont en tiré avantage. En outre, le prix de l’énergie a bénéficié à la branche. Enfin, la consommation a pâti en raison du climat récessif et des banques centrales qui allaient contraindre la demande.

Aujourd’hui, le marché est différent: un certain nombre de compagnies, dont les valorisations se sont érodées l’année passée, ont décidé de vendre des actifs non stratégiques, ou de réaménager leur dette, ou encore de réduire la taille de leurs engagements. Ces prises de décisions sur les bilans sont censées les aider à avoir accès au marché du financement. Ces émetteurs sous-évalués redeviennent intéressants.

Ainsi, en 2023, la performance du marché du crédit sera moins une affaire de bêta – positions directionnelles et rotations sectorielles comme en 2022 – mais viendra davantage de la capacité à sélectionner des émetteurs de façon plus granulaire, et de choisir les bons crédits à fort potentiel de rebond afin de générer de l’alpha.

Quelles sont les stratégies que vous recommandez actuellement?

Dans un cycle qui n’a pas vocation de surperformer, encore sous l’influence de taux d’intérêt élevés, la question cruciale demeure de savoir jusqu’où descendre en termes de qualité pour capturer le rendement. Notre scénario table sur une croissance molle et non une récession. Nous ne souhaitons pas être plein risque sur le crédit. Dans notre stratégie crossover, le High Yield restera sous-pondéré (25% environ aujourd’hui par rapport au maximum possible de 40%), car ce n’est pas le moment d’investir dans les émetteurs les plus fragiles. Nous privilégions l’Investment Grade comme les signatures BBB dans lesquelles nous voyons de la valeur et focalisons nos investissements High Yield sur les notations BB-B. Le haut rendement est maintenant cher par rapport à l’IG.

Quelles sont vos vues sur le marché asiatique tandis que les taux en euro et en dollar US deviennent plus avantageux?

Les décisions chinoises attendues de la fin de la politique zéro covid, entre fin novembre et décembre, vont changer le jeu. Elles permettront au pays de rebondir à moyen terme. Rapidement après le déconfinement, l’Occident a connu des chocs en V. Nous devrions donc assister au rebond économique chinois au cours du deuxième trimestre. Nous pensons qu’il ne mènera pas sur un second choc inflationniste, pour autant que la partie de l’offre s’améliore. L’ouverture décalée par rapport au reste du monde n’entrainera pas de demande énergivore.

Nous revenons sur les obligations asiatiques qui étaient sous-pondérées. Ce marché n’a pas vu beaucoup d’offres de papiers en 2022, mais nous voyons une pléthore d’émetteurs revenir, ce qui permet de se repositionner sur des émissions à fort potentiel.

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