«Huit baisses de taux américains au total»

Emmanuel Garessus

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L’investisseur devrait chercher de la valeur dans les taux courts américains plutôt que dans les obligations à long terme, affirme Amaury d’Orsay, responsable Fixed Income auprès d’Amundi.

Si la Fed a baissé ses taux et la BCE s’apprête à le faire, le rendement des bons du Trésor à 10 ans est remonté à 4%. Quels seront les prochains mouvements des marchés obligataires? Une pentification de la courbe est-elle à prévoir? Amaury D’Orsay, responsable du Fixed Income auprès d’Amundi, le plus grand gérant d’actifs en Europe, répond aux questions d’Allnews:

Les politiques budgétaires et monétaires seront plus expansives aux Etats-Unis, en Europe et en Chine. L’inflation a-t-elle touché son plus bas? 

Il faut distinguer entre les dynamiques à court et à long terme. Notre scénario central voudrait qu’à court terme l’inflation n’a pas touché son point le plus bas et qu’elle continuera de baisser pour converger vers la cible de 2% visée par les banques centrales. Ces dernières sont dans une logique de baisse des taux parce qu’elles estiment avoir, à court terme, gagner la bataille contre l’inflation. 

Nous ne craignons pas un cercle vicieux à travers une hausse des salaires. En Europe, certaines tensions inflationnistes demeurent par exemple dans les services, mais elles ne remettent pas en cause la tendance à la désinflation. Le «pricing» du marché sur le cycle de baisse de taux peut être qualifié de normal. Nous sommes assez en ligne avec le pricing du marché. 

Nous entendons souvent dire qu’il existerait une incohérence entre les anticipations du marché des actions, qui n’intègrent pas une récession, et celles des marchés de taux, qui anticiperaient une contraction. Nous ne partageons pas ce point de vue. Le marché des taux est dans une logique de normalisation de la politique monétaire suite à la baisse de l’inflation. 

C’est pourquoi la situation est favorable aux actifs risqués. Nous sommes dans un scénario d'atterrissage en douceur et dans un cycle de baisse des taux courts des banques centrales. Ce cocktail est très positif pour les actifs risqués, c’est-à-dire pour les actions et le crédit.

Nous ne croyons donc pas que le marché des taux anticipe une récession. Ce type de lecture du marché est de nature historique et se rapporte aux dernières décennies. Nous sommes aujourd’hui dans une séquence différente. L’année 2024 est le pendant de 2022: Nous avons assisté à un re-pricing très fort des taux suite à l’inflation en 2022. Nous avons en 2024 un fort re-pricing qui répond à la désinflation.

«L’enseignement majeur peut être résumé par un sentiment de très forte résilience de l’économie».

La Fed a baissé ses taux directeurs, mais le rendement des bons du Trésor à 10 ans est remonté à 4%. Pour quelle raison?

Avant l’été, nous anticipions une baisse du rendement à 10 ans vers 3,75%. Les événements nous ont donné raison. Aujourd’hui, le rendement est remonté à 4% après les bons chiffres de l’emploi américain. Mais à 3,75% la prime de terme sur les taux américains était trop faible. A ces niveaux de taux longs, nous devenons neutre sur le marché obligataire en termes de duration. 

Nous avons plutôt tendance à estimer que l’investisseur devrait chercher de la valeur sur les taux courts (2-5 ans) plutôt que sur les taux longs. Nous nous inscrivons dans une logique de pentification de la courbe des taux. Ces deux derniers jours, la courbe s’est à nouveau aplatie parce que le re-pricing des taux courts a été plus important que celui des taux longs. L’écart est devenu presque nul entre le taux à 2 ans et le taux à 10 ans. C’est une belle opportunité à saisir. Nous proposons d’investir dans les taux courts et de profiter d’un phénomène de pentification. Nous devrions voir des taux à 2 ans inférieurs à ceux à 10 ans. 

Combien de baisses de taux prévoyez-vous d’ici la fin de l’année?

Nous partageons les attentes du marché et prévoyons encore deux baisses de taux directeurs américains en 2024. Nous aimions bien le pricing précédent du marché à propos de 2025, même s’il était un peu optimiste en prévoyant huit baisses de taux. Le marché prévoit maintenant six baisses de taux. Nous pensons qu’il pourrait y en avoir huit avec un taux terminal à 3%. 

Est-ce possible sans récession américaine et sans intégrer les futures politiques budgétaires expansives du futur président américain?

L’incertitude est élevée sur le résultat des élections américaines, mais nous pensons que la normalisation de la politique monétaire se poursuivra et qu’elle sera plus forte que ne l’anticipe le marché.

En 2022, tout le monde a été surpris par la vitesse de la remontée des taux directeurs. Nous pensons que nous pourrions avoir le même mouvement mais dans le sens inverse. Tout dépend évidemment des événements géopolitiques. C’est notre scénario de base, mais des scénarios alternatifs sont possibles. 

Pour l’investisseur obligataire, face aux nombreux événements de cet automne, lequel doit-il être interprété comme marquant? 

L’enseignement majeur peut être résumé par un sentiment de très forte résilience de l’économie. Nous appartenons au camp de ceux qui n’attendent pas une récession. Nous avons donc été relativement positifs sur le marché du crédit. Nous restons positifs à cet égard et constatons que les entreprises gardent des bilans très sains, un coût de la dette  qui reste faible, tout cela avec des baisses de taux à venir, une demande encore significative des investisseurs et un ratio entre l’offre et la demande relativement favorable aux obligations d’entreprise de bonne qualité par rapport aux emprunts d'États. Nous restons donc concentrés sur les obligations d’entreprises Investment Grade (IG) malgré des spreads relativement serrés. Sur le plan géographique, nous privilégions l’IG européen en termes relatifs. 

Quel est votre principal biais?

Notre principal biais n’est pas géographique mais sectoriel. Nous préférons les financières aux non-financières depuis 18 mois et nous maintenons ce choix. Les spreads ont presque convergé et nous pensons que les financières seront plus chères que les non-financières ces prochains mois.

Pour quelle raison, sachant que la marge d’intérêts des banques diminue?

Les spreads des obligations financières étaient plus élevés pour des raisons de flux. Avec la fin des TLTROs de la BCE (opérations de refinancement ciblées, ndlr.), les banques ont fortement fait appel au marché obligataire. Il en est résulté une formidable opportunité pour les investisseurs. 

La situation qui a prévalu depuis 2022, avec des marges d’intérêts très élevées en Europe, aurait dû rendre les spreads beaucoup plus serrés par rapport aux valeurs non-financières. Cela ne s’est pas produit en raison de la forte demande des banques pour remplacer la BCE. Nous sommes dans une situation qui semble un peu moins intéressante que l’an dernier parce que les taux baissent. Mais par rapport à 2014 et 2022, la situation reste intéressante pour les banques européennes. Dorénavant, l’équilibre entre l’offre et la demande sera un peu plus favorable à la banque et un peu moins à l'investisseur. 

«En France, l’instabilité politique justifie un spread un peu plus grand mais sa dette est liquide et très attrayante pour les investisseurs internationaux»

Quelle dette souveraine préférez-vous au moment où l’Allemagne entre en récession?

En Europe, nous partageons les anticipations du marché. Certes l’Allemagne connaît un creux conjoncturel alors que l’Espagne et l’Italie sont plus dynamiques. En France, l’instabilité politique justifie un spread un peu plus grand mais sa dette est liquide et très attrayante pour les investisseurs internationaux. Nous voyons bien que les investisseurs asiatiques ne se détournent pas de la dette française malgré l’environnement politique compliqué. Le niveau de spreads est assez correct en Europe.

Le spread de la France est remonté à 80 points de base. Pourquoi ceux qui craignent des turbulences sur la dette française se trompent-ils?

Le niveau de spread actuel me paraît correct et nous restons confiants à plusieurs titres. La dette française en termes de spread et de liquidité fait partie des dettes les plus attractives et appréciées au niveau mondial. Le rapport entre la liquidité et le spread est l’un des meilleurs pour un investisseur japonais ou asiatique. D'ailleurs depuis la dissolution du parlement, nous n’avons pas assisté à des sorties de capitaux asiatiques. 
Certes, les niveaux d’endettement et de déficit sont élevés et les prélèvements obligatoires également mais la capacité de la France à lever de la dette et des impôts est intacte. Pour l’investisseur, le risque reste donc faible.

Un bond du spread à 150 pb est-il possible?

Il est toutefois correct que le spread soit passé de 50 pb à 80 pb. Pour aller à 150 pb, il faudrait avoir des doutes sur la construction européenne. J’observe que, face à cet élargissement du spread de la France, celui de l’Espagne s’est resserré. Nous ne sommes donc pas du tout, comme en 2012, dans une logique de remise en cause des institutions européennes ou de l’euro. Nous sommes dans une saine situation de re-pricing de la dette française.

Quelle pourrait être la ligne rouge pour un investisseur asiatique? Un changement de rating?

La ligne rouge pourrait venir d’un changement significatif du rating ou d’une situation politique incontrôlée. Mais nous n’en sommes pas là.

Shigeru Ishiba, le nouveau Premier ministre du Japon, a une autre stratégie économique que son prédécesseur. Qu’en attendez-vous sur le plan des taux et des changes?

Avec Shigeru Ishiba, le marché modifiera ses attentes de taux japonais.  Nous sommes donc très sous-pondérés en obligations japonaises. A court terme, ces dernières sont influencées par les marchés américains et européens. La récente baisse des taux japonais, cet été, accompagnait le recul des taux américains et européens, mais elle offrait surtout une opportunité pour sous-pondérer encore davantage les obligations japonaises. La question porte sur le rythme de la hausse des taux et l’objectif visé. Dans ce contexte, nous sommes très prudents sur le yen. 

Est-ce que cela pourrait provoquer de nouvelles turbulences sur les marchés, comme en août?

Non. Cela n’a pas été l’élément déclencheur des turbulences estivales. La correction d’août provenait davantage de l’attente d’un changement de la politique américaine et du positionnement très agressif de certains fonds sur le yen. 

La Chine était devenue non investissable. Le plan de relance pourrait être interprété comme un appel en faveur des investisseurs internationaux. Quelle est votre analyse?

L’ampleur du plan de relance reste incertaine. Il est trop tôt pour se prononcer. Nous sommes relativement neutres sur les actions chinoises et plutôt sous-pondérés sur les obligations chinoises. 

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