«Nous ne prévoyons pas d’amélioration pour la France»

Emmanuel Garessus

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Le rating de la France est de A+ auprès d’I-CV, indique René Hermann, son COO, lequel ne croit pas à la mise en œuvre de réformes.

©Thomas Entzeroth

 

La France risque-t-elle une baisse de son rating, actuellement à Aa2 pour Moody’s et AA pour S&P? Les décisions des agences Fitch et Moody’s sont attendues en avril et celle de S&P en mai. Le déficit public s’est encore creusé et représente 5,5% du PIB en 2023, très loin de l’objectif de 3% prévu par le traité de Maastricht. Le gouvernement saura-t-il améliorer la situation?

René Hermann, COO et responsable de l’analyse du crédit des assurances et des gouvernements auprès d’Independent Credit View (I-CV), à Zurich, répond aux questions d’Allnews:

Que pensez-vous de la qualité de la dette souveraine de la France?

Selon notre système de rating, la France dispose d’une note A+. Nous accordons une grande importance à l'évolution future des chiffres clés relatifs aux crédits. Dans le cas de la France, nous ne nous attendons pas à une amélioration, mais plutôt à ce que les ratios d'endettement se maintiennent à un niveau élevé.

Le rating de la France auprès des autres agences (AA) est actuellement encore plus élevé. S&P juge toutefois les perspectives de la France comme «négatives» et pourrait donc réduire la note d’un cran. Nous n'avons guère confiance dans la capacité du gouvernement à mettre en œuvre les réformes et les mesures nécessaires pour réduire la dette, raison pour laquelle notre note est déjà plus basse.

«L’objectif exigé par l’UE est de présenter un déficit à 3% du PIB en 2027, mais la France ne devrait pas y parvenir.»

Nous pensons que la France aura de la peine à réduire son déficit public. En principe, il est important qu'en cas de crise, l'Etat protège les ménages et les entreprises par des subventions et des réductions d'impôts. Mais en France, il est à chaque fois très difficile de supprimer ces subventions lorsque la situation conjoncturelle s'améliore.

Est-ce que vous croyez que la France parviendra à réduire son déficit à 3% du PIB?

Non, nous ne le croyons pas. L’objectif exigé par l’UE est de présenter un déficit à 3% du PIB en 2027, mais la France ne devrait pas y parvenir. Une normalisation de la croissance économique est probable, mais les perspectives restent assez modestes puisque l’augmentation du PIB ne devrait guère excéder 1 à 1,5%. Cela signifie que la dette restera supérieure à 100% du PIB. Ce ratio est trop élevé, car lorsque la prochaine crise surviendra, la flexibilité nécessaire fera défaut et le ratio augmentera encore.

Le gouvernement peine à mettre en oeuvre un réel plan d’économies et il refuse d’augmenter les impôts. Quel est votre scénario?

Emmanuel Macron souffre de sa réputation de président des riches. Il a effectivement légèrement baissé les impôts sur les immeubles les plus chers. Mais le niveau des prélèvements fiscaux est généralement très élevé en France, en raison de la complexité de l'organisation de l'Etat et de l'importance des dépenses elles-mêmes. Cette situation réduit la flexibilité de l’Etat. Il n’est pas possible pour le gouvernement d’augmenter à nouveau les impôts sous peine d’accroître le mécontentement mais ferait également perdre au pays son attractivité pour les entreprises. Et s’il réduit les subventions, les manifestations se succéderaient à nouveau, comme on l’a vu pour l’agriculture. La situation est donc très compliquée. Les citoyens se sont accoutumés aux subventions et signalent avec énergie leur refus de les limiter. Les aides publiques temporaires se transforment très vite en revendications permanentes.

Croyez-vous à une crise financière qui éclaterait en 2024 à cause de la situation en France?

Non, sans doute pas en 2024. La France dispose toujours de nombreux points forts. C’est un pays moderne et riche, avec une base économique relativement large et des branches économiques au premier rang mondial, comme l’industrie du luxe et le tourisme, ainsi qu’un secteur bancaire très solide et stable. Le pays est bien positionné. Son principal problème tient au niveau élevé des dépenses publiques, lequel est le fruit de son système social, de la complexité des structures de l’Etat et d’une bureaucratie que je qualifierais d’envahissante.

«La faillite est encore très éloignée. La France reste solvable. En théorie, le gouvernement peut accroître les impôts comme bon lui semble.»

Le rendement des obligations souveraines françaises atteint 2,8% comme il y a un an. Comment justifier cette absence de sanction des marchés à la détérioration des comptes publics?

De nombreuses considérations sont à prendre en compte. Durant les années de crise de la zone euro, en 2010, des mécanismes de soutien ont été mis en place à l’initiative de l’UE. La France n’a pas manqué d’en profiter. L’Union monétaire est plus profonde qu’à cette époque. Si une crise menaçait la France, l’UE ne manquerait pas d’intervenir, d’autant plus que ses instruments et compétences ont été étendus. Mais nous n’en sommes pas là. Il y a d’autres pays européens, à l’image de la Belgique, dans lesquels les dépenses ne sont pas maîtrisées et l’endettement se hisse à un très haut niveau. Ces Etats ne sont pas dignes d’un triple A mais cela ne signifie pas qu’ils soient en crise financière.

En France, François Fillon, à l’époque premier ministre, avait déclaré en 2007: «Je suis à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite». On répète cette déclaration à nouveau aujourd’hui. Qu’en pensez-vous?

La faillite est encore très éloignée. La France reste solvable. En théorie, le gouvernement peut accroître les impôts comme bon lui semble.

Le problème tient plutôt à la lourdeur de la charge fiscale et au risque de voir des entreprises réfléchir à déplacer leurs activités ou leur siège dans des pays où ils paieraient moins d’impôts.

La question de la solvabilité dépend d’ailleurs de la méthodologie, par exemple de l’intégration (ou non) des engagements futurs, en particulier des retraites, au cas où aucune réforme n’est mise en oeuvre.

Entre la France et l’Italie, qui a les meilleures perspectives de rating?

Les agences ne réduisent pas le rating de l’Italie pour des raisons avant tout politiques. L’UE dispose des instruments susceptibles d’éviter une crise, à commencer par des achats d’obligations par la BCE. La situation financière de l’Italie est moins favorable que celle de la France, comme l’indique l’écart de rating de six points. Auprès d’I-CV, la France dispose d’un A+ et l’Italie d’un BB+.

Le gouvernement français peine à réaliser les réformes nécessaires, mais le pays dispose d’avantages concurrentiels y compris par rapport à l’Allemagne. Son réseau de transports publics fonctionne mieux et sa politique énergétique est, par exemple, plus favorable à l’économie.

Quel est le rôle de la BCE face à ces défis?

Il a par exemple été prévu, dans le cas de l’Italie, que le marché puisse être neutralisé en cas de tensions portant les taux d’intérêt à de trop hauts niveaux. La BCE a créé un programme (Transmission Protection Instrument) destiné à ce genre de situation. L’UE possède aussi un fonds de 900 milliards d’euros qu’elle peut mettre à disposition, à travers des fonds «gratuits» et des prêts bonifiés et qui permettent de maintenir les coûts de refinancement à un bas niveau. Après les nombreuses crises de ces dernières années, l'UE est aujourd'hui mieux équipée pour défendre la zone monétaire.

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