Nestlé, Sika et les autres

Emmanuel Garessus

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Nicolas Bürki, de REYL Intesa Sanpaolo, analyse en profondeur la cote suisse, les situations de retournement, les redécouvertes et les valeurs sûres.

 

Les perspectives de croissance économique sont favorables en 2024, mais l’investisseur est dans le doute. Dans ces conditions, de nombreux stratégistes plaident pour une grande diversification. L’expérience de 2024 révèle une grande dispersion entre les titres et entre les différents marchés. Quelle sélection privilégier actuellement? Quelles actions suisses disposent du meilleur rapport risque/rendement? Nicolas Bürki, analyste financier et gérant de portefeuilles pour REYL Intesa Sanpaolo, répond aux questions d’Allnews:

Avec quelle allocation de portefeuille débutez-vous l’année?

Si nous sommes neutres sur les obligations, nous augmentons progressivement la duration dans les portefeuilles obligataires. Nous surpondérons les actions et sous-pondérons les alternatifs. 

Au plan géographique, dans les actions, nous sommes prudents sur les Etats-Unis. Nous nous sommes diversifiés dans l’indice S&P 500 équipondéré depuis l’été dernier pour prendre en compte la cherté des 7 magnifiques et être  davantage exposés aux valeurs américaines de taille moyenne. Nous surpondérons l’Europe, où nous employons un raisonnement similaire en faveur des petites et moyennes capitalisations, fortes d’une croissance bénéficiaire attractive, d’un moindre risque géopolitique et d’une valorisation plus intéressante.

Malgré la possible exubérance de la Tech, restez-vous surpondérés en actions dans l’attente de la baisse des taux et d’une bonne croissance bénéficiaire?

Effectivement, mais nous serons attentifs au risque politique. La question est de savoir si nous subirons un Big Bang, plusieurs Big Bangs, ou quatre années d’un  ruissellement quotidien. Les interrogations abondent sur la mise en oeuvre réelle du programme de Donald Trump, notamment sur l’étendue des droits de douane.

«Nous pensons que le duopole (Novo Nordisk, Eli Lilly) devrait se maintenir ces 2 à 3 prochaines années».

Sur le plan des titres individuels, les surprises ne sont pas réconfortantes, avec des chocs par exemple dans la pharma, de Novo Nordisk à Moderna. Qu’en pensez-vous?

Dans la pharma, les conséquences financières des informations thérapeutiques actuelles portent sur 4 à 5 ans en moyenne. Moderna est une société presque mono-indication thérapeutique, ce qui rend difficile les prévisions à son égard. Le marché s’est beaucoup concentré sur l’obésité et considère de plus en plus les thérapies liées à la maladie d’Alzheimer. Il est maintenant apparu que la perte de poids n’était que de 22,7% et non pas de 25%, comme l’espérait le consensus des analystes. Nous pensons que le duopole (Novo Nordisk, Eli Lilly) devrait se maintenir ces 2 à 3 prochaines années. Mais plus de 100 projets sont en développement qui devraient arriver sur le marché entre 2029 et 2030. Une dichotomie émerge en fonction de l’horizon de l’investisseur. 

Les deux leaders rencontrent en outre des difficultés de production. Ils peinent à approvisionner le marché en proportion suffisante. Lors d’une récente conférence, Bachem, qui produit des peptides pour cette thérapie, insistait sur les difficultés à présenter un rendement industriel élevé compte tenu de la multitude d’étapes de production.  

Faut-il acheter ces deux leaders maintenant?

Nous sommes investis dans Novo Nordisk et surveillons des points d’entrée dans Eli Lilly. Elles ne sont pas très chères dans la perspective d’un marché qui atteindrait 100 milliards de dollars. Comme l’a révélé la baisse de décembre, l’évolution des cours est avant tout fonction du sentiment des investisseurs et moins des perspectives de croissance bénéficiaire de court terme. Il s’adapte à un environnement présentant environ trois années de grande visibilité auxquelles succédera une compétition plus intense.

En Suisse, dans la pharma, préférez-vous toujours Roche à Novartis. Que recommandez-vous maintenant?

Les interrogations portent sur le secteur dans son ensemble. En général, il sous-performe avant l’élection présidentielle américaine et surperforme ensuite. Il est vrai qu’aux Etats-Unis, les prix des médicaments sont plus élevés que dans le reste du monde. Le marché craint que les autorités américaines imposent les prix internationaux sur le marché américain. Il en résulterait une baisse de 30 ou 40% des prix des médicaments. Aux dernières nouvelles, l’industrie se rassure en notant que la pression se fait surtout sur les assurances maladie qui négocient les rabais (PBM) aux Etats-Unis. Si ce scénario devait se concrétiser, la valorisation de la pharma devrait se stabiliser voire rebondir, dans le contexte de bonnes perspectives de croissance. 

Roche, après les premières informations sur son médicament contre l’obésité, s’est nettement repris en 2024 et sort d’une période de transition. Elle a changé de management et s’est réorganisé si bien que le sentiment s’est amélioré. Lors d’une récente conférence sur la santé, aux Etats-Unis, Roche a présenté son pipeline, en particulier les développements sur le système nerveux central, en promettant que l’état du  portefeuille de produits sera bien différent en 2026  d’aujourd’hui. Pour les marchés, Alzheimer sera  un prochain thème après l’obésité. 

Novartis profite de la prolongation du brevet d’Entresto, dans le cardio-vasculaire, jusqu’en juillet en principe, avant l’arrivée de génériques. La tendance haussière de Novartis devrait se poursuivre en 2025. La société a récemment coutume de dépasser les attentes bénéficiaires, ce qui est favorable.

«Après une longue sous-performance des petites et moyennes capitalisations, la question de leur rebond est d’actualité.»

Vont-elles accroître leur présence aux Etats-Unis?

Les réorganisations de ces deux grands groupes sont chroniques. Novartis est un cas particulier puisqu’à l’origine il s’agissait d’un conglomérat. Aux Etats-Unis, les deux groupes sont organisés de telle sorte qu’on y observe un équilibre entre coûts et revenus, et donc des emplois et actifs de production locaux. Lors du premier mandat de Trump, cet argument avait pu  les épargner d’une menace protectionniste.

Quelles ont été vos conclusions en termes d’investissement pour 2025?

En fin d’année mon analyse s’est portée sur l’observation des performances réalisées en 2024 et sur l’éventualité d’une prolongation ou d’un changement de tendance pour les principales valeurs.  Jusqu’ici, on note plutôt des poursuites de tendances pour les membres du SMI, et une proportion supérieure de retournement pour les moyennes capitalisations notamment pour certains perdants de 2024 (Temenos, Tecan, AMS, Straumann, Interroll, SIG, LEM, Inficon). Les gagnants de 2024 poursuivent majoritairement leurs trajectoires. Bien sûr, les publications de résultats vont influencer cela.

Est-ce que Nestlé appartient à vos favoris de l’année?

Au sein du SMI, il en ressort que Nestlé a réalisé sa pire année depuis 1974 (-23%). Après un sommet à  près de 130 francs en 2022, le titre a chuté à 73 francs. Nestlé s’inscrit dans la case des sociétés disposant d’un potentiel de retournement significatif. Le titre est au niveau du plus bas de la crise covid. Il a effacé 4 ans. Son bénéfice s’élevait à 12,6 milliards de francs en 2019 et il est tombé à 11 milliards (estimation) en 2024. En revanche, l’action a baissé de  plus de 40% durant cette période de retour à un régime de taux «normaux». La compression du multiple et de la confiance est notable. Nestlé reste apprécié pour son dividende (rendement de 4,1%), lequel offre une prime de 3,6% par rapport aux obligations à 10 ans de la Confédération. C’est un sommet des dernières années et un soutien pour le cours. 

Lors de leur journée des investisseurs, avec le nouveau CEO, il est apparu que les directeurs de divisions paraissaient très enthousiastes. Ils semblaient se réjouir d’une plus grande autonomie et d’une approche davantage tournée vers le futur et une nouvelle étape visant le retour au «Modèle Nestlé» de croissance. Le groupe semble davantage disposé à reprendre l’initiative, quitte à augmenter les dépenses de marketing. L’année 2025 sera une année de transition dont la tangibilité devrait poindre lors des résultats intermédiaires présentés lors de l’été prochain. Logiquement, il faut l’acheter quand personne n’en veut.  En termes de potentiel/risque, c’est un titre attractif.

D’autres idées de retournement?

Sika appartient aussi aux perdants de 2024 qui, selon les derniers résultats, a subi un ralentissement des ventes. Le groupe a accru sa taille et il est bien exposé au marché américain, l’un des plus dynamiques. C’est aussi un candidat à une bonne reprise en 2025 même si le titre n’est pas bon marché.  

Kühne & Nagel est aussi un candidat au retournement, mais son sort est fortement dépendant des flux commerciaux, donc suspendu aux droits de douanes et obstacles au commerce à venir.

Tecan et Straumann, dans la santé ayant bénéficié de la période de COVID ; Swatch au croisement du Luxe et de la consommation en Chine ; Daetwyler, EMS Chemie, Georg Fischer, Komax et LEM dans les industrielles exposées à l’automobile; et Emmi qui a reculé en sympathie avec Nestlé.

Le marché préfère Holcim à Sika, avec sa cotation aux Etats-Unis. Lequel des deux préférez-vous?

Holcim a, il me semble, changé son discours. Initialement, il était prévu d’effectuer une cotation uniquement aux Etats-Unis. Ensuite les actionnaires suisses ont expliqué leur mécontentement face à la séparation de la partie la plus dynamique. Le projet semble désormais inclure une double cotation. Jan Jenisch, président depuis 2017, est une personnalité brillante qui a réformé Holcim, comme Sika précédemment. L’action en a profité. Au vu de la performance passée, je préfère Sika à Holcim.

Dans les valeurs suisses, quelles découvertes récentes avez-vous faites?

Galderma, récemment cotée, s’est très bien comportée. Les investisseurs ont plébiscité ce titre à forte croissance dans les secteurs de la cosmétique et de la beauté. Je suis plus réservé sur le potentiel de revalorisation du titre à partir du niveau de multiple actuel. 

Sunrise est le dernier arrivé en bourse suisse. Les états financiers n’ont pas encore été entièrement dévoilés. Les promesses de dividende paraissent très généreuses. On parle de 7 à 8% de rendement. Les télécoms préfèrent insister sur le «Core EBITDA» que sur le bénéfice net. Comme la société est sortie d’un groupe de private equity, je  m’attends à ce qu’une vue complète de ses résultats soit un catalyseur pour augmenter l’intérêt du titre, sauf mauvais surprise. 

Dans les redécouvertes, Lonza, qui a bien progressé en 2024, devrait poursuivre sur sa lancée en 2025. Siegfried, dans les sous-traitants de la pharma, devrait ralentir sa progression après un beau mouvement haussier. Bachem devrait mettre en production ses nouvelles capacités si bien qu’elle est promise à une progression boursière. 

Dans l’assurance, Swiss Re semble a été redécouverte en 2024 après des années de vaches plus maigres. La recapitalisation des affaires américaines lui a bien profité. 

Après une longue sous-performance des petites et moyennes capitalisations, la question de leur rebond est d’actualité. Le SMI se paie 16 fois les bénéfices, les mid caps plutôt entre 20 et 21 fois. Les perspectives de croissance sont de 9% pour le SMI et de 10% pour les moyennes capitalisations,. La prime de croissance n’est pas significative mais ces prévisions pourraient évoluer rapidement. Il est conseillé d’y dénicher les leaders des marchés ou des des technologies.

Les bancaires sont beaucoup recommandées. Faut-il prendre les bénéfices?

Elles ont présenté une bonne progression en Europe et en Suisse en 2024. En Suisse, l’hétérogénéité du secteur est assez grande. Les rendement aux dividendes de Vontobel, EFG, Cembra, BCV sont supérieurs à celui d’UBS, pour des profils assez différents. La grande banque est un peu freinée par les risques de régulation future (fonds propres et distribution aux actionnaires). UBS a aussi répété que les gains de synergies les plus faciles ont été réalisés. L’intégration arrive à son terme, mais UBS reste leader mondial de la gestion de fortune et c’est un atout majeur aux yeux des investisseurs. Le titre intègre un grand nombre de bonnes nouvelles, même si plusieurs analystes espèrent que sa valorisation (aujourd’hui 1,1 fois la valeur comptable)  converge vers celle des grandes banques américaines, c’est-à-dire deux fois la valeur comptable. Cet espoir est peut-être exagéré car cet écart existe depuis fort longtemps.

Supposons qu’une consolidation de 5 à 10% intervienne sur une base uniforme, qu’achèteriez-vous?

Il faudrait bien sûr évaluer le catalyseur de la baisse. Je préférerais acheter les usuels «Darlings», les sociétés de qualité, leaders sur leur créneau, historiquement valorisées avec gourmandise, mais dotées d’une rentabilité des fonds propres élevée. La liste comprend ABB, Buckhardt Compression, Geberit, Givaudan, Kardex, Kühne & Nagel, Lindt & Sprüngli, Lem, Partners Group, Roche, Straumann, Swisscom, VAT.

Sandoz aussi devrait continuer sa croissance, grâce à sa présence dans les génériques, dans le contexte du débat sur l’avenir de la pharma. 
En cas de forte baisse, je m’intéresserais aussi aux assureurs, de Swiss Life à Zurich, sans oublier Nestlé. 

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