On ne peut être chef d’orchestre et violoniste

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Dans un esprit d’alignement complet avec les intérêts de nos clients, nous ne pouvons être juge et partie» explique François Mollat du Jourdin.

Fondé il y a bientôt vingt ans à Paris, MJ&Cie est un multi family office indépendant dont la mission est de garantir la conservation des intérêts patrimoniaux de familles fortunées en mutualisant des services complexes. Son activité couvre quatre domaines principaux: le conseil en investissement, la structuration juridique et fiscale du patrimoine, le secrétariat privé et l’accompagnement familial et transgénérationnel. Opérant sur mandat global et rémunéré exclusivement en honoraires par les familles qui lui confient leur fortune, MJ&Cie évalue les meilleures solutions à une problématique donnée et identifie les prestataires capables de les mener à bien. Il y a cinq ans, MJ&Cie ouvrait une antenne à Genève. Entretien avec le fondateur, François Mollat du Jourdin.

Votre société ne gère-t-elle pas de fonds?

En aucun cas. Nous ne sommes pas gérants de fortune mais conseillers en investissements financiers (CIF) au sens où l’entend l’Autorité des Marchés Financiers française auprès de laquelle nous sommes enregistrés. Notre rôle est de permettre aux familles que nous servons de faire fructifier leur patrimoine mais non de le gérer directement.

Quelles sont alors vos fonctions?

Nous travaillons sur quatre lignes. La première de ces lignes est le conseil en investissement qui signifie que nous assistons nos clients dans la définition de l’ensemble de leurs stratégies d’investissement et sur toutes les catégories d’actifs. La gestion proprement dite est ensuite confiée à des spécialistes dans chaque domaine – marchés financiers, marchés privés ou immobilier par exemple. Dans un esprit d’alignement complet avec les intérêts de nos clients, nous ne pouvons être juge et partie. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas d’activité de gestion. Notre rôle est celui de chef d’orchestre. Nous évaluons, sélectionnons et supervisons les prestataires, et pouvons en changer si besoin est. La deuxième ligne sur laquelle nous opérons est la structuration juridique et fiscale du patrimoine. Là encore, nous confions l’exécution à des spécialistes - notaires, avocats, trustees - capables de mener à bien la tâche et coordonnons l’action. La troisième ligne est celle que j’appellerais la fonction de secrétariat privé, au terme de laquelle nous effectuons le support administratif quotidien associé à la gestion des comptes, des assurances, de la trésorerie et de la comptabilité. Enfin, nous assurons l’accompagnement humain des familles, en contribuant notamment à préparer les jeunes générations et à mener à bien des projets familiaux, en particulier de nature philanthropique. Nos équipes sont constituées de professionnels dans chacun des 4 domaines, capables d’échanger d’égal à égal avec les prestataires experts des clients. Cela nous permet d’avoir une vision claire et de garantir la qualité des prestations de conseil et supervision.

C’est après avoir constaté, dans le passé, qu’il y avait parfois conflit d’intérêt
dans les banques privées que nous avons adopté ce business model.
Pourquoi s’adresser à un family office et comment vous distinguez-vous?

Les familles fortunées partagent un même patrimoine mais obéissent souvent à des problématiques complexes – résidences dispersées, activités diverses, générations multiples. Il est nécessaire d’en fédérer les membres pour harmoniser leurs décisions, Nous contribuons à une meilleure gouvernance et servons parfois de médiateurs entre des visions du monde différentes. Nous permettons que soient ainsi menés à bien la conservation du patrimoine et des projets à long terme que les membres de la famille n’ont pas le temps, l’envie ou l’aptitude de mener eux-mêmes. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, j’ose penser que nous sommes à la fois les premiers et les meilleurs dans cette profession en France.

Comment êtes-vous rétribués?

Exclusivement par des honoraires et sur une base 100% transparente. Nous ne touchons ni rétrocessions, ni commissions car nous gérons aussi les risques et ne pouvons être payés à la performance. C’est après avoir constaté, dans le passé, qu’il y avait parfois conflit d’intérêt dans les banques privées que nous avons adopté ce business model. Nous n’avons d’ailleurs jamais perdu de clients.

N’êtes-vous pas tentés de systématiquement réduire les coûts pour vos clients?

Non, ce n’est pas du tout notre démarche. Nous ne sommes pas des «cost killers». Notre objectif est de bâtir une relation de partenariat avec les prestataires de clients tout en recherchant le meilleur ratio entre qualité et coût des prestations. Percevez-nous plutôt comme des facilitateurs. Banques privées et gérants de fortune, dont nous sommes complémentaires, nous envoient d’ailleurs volontiers des clients.

Pourquoi avoir choisi Genève comme première antenne étrangère?

En raison de l’expertise suisse qui est, sans conteste, la meilleure dans le domaine de la conservation des patrimoines internationaux, tant en raison de la stabilité politique et sociale du pays, de la culture de la confidentialité, que du savoir-faire en matière de gestion des marchés mondiaux, des devises et du droit. Avant de d’opter pour Genève, j’ai étudié des possibilités à Hong Kong, Singapour, Luxembourg et Londres. La place financière suisse reste inégalée.

L’origine de la fortune de nos clients doit être parfaitement claire
et ils sont tenus de se soumettre aux règles des pays où ils résident.
Sous quelle réglementation tombez-vous en Suisse?

Aucune en Suisse puisque nous déléguons la gestion. En France, nous opérons au titre de conseiller en investissements financiers comme je l’évoquais plus tôt et possédons aussi le statut de courtier en assurances car, dans ce pays, l’assurance-vie est un outil de planification patrimoniale. Nous sommes membres de l’Association Française du Family Office (AFFO) - dont je suis secrétaire général – et de l’ENFO, un réseau international de boutiques présent dans une demi-douzaine de pays et dont les membres supervisent, conjointement, plus de 10 milliards d’euros de patrimoines privés.

Etes-vous soumis aux règles de la lutte contre le blanchiment?

Absolument. L’origine de la fortune de nos clients doit être parfaitement claire et ils sont tenus de se soumettre aux règles des pays où ils résident. Nous menons toute la due diligence indispensable. Dans ce domaine, l’Union européenne est de plus en plus exigeante: dernière en date, la directive DAC 6 va imposer aux intermédiaires de déclarer aux autorités toute structuration internationale présentant un caractère potentiellement agressif sur le plan fiscal.  

Quelles conséquences aura, selon vous, la crise actuelle?

Je dirais tout d’abord que nos clients la vivent avec une relative sérénité, très différemment des crises de 2008 et 2011. Il faudra toutefois fortement revisiter les paradigmes du risque et de l’investissement. Avec une forte accentuation en faveur de l’investissement durable sous toutes ses formes (ESG, impact) et de l’action philanthropique. En termes d’inégalités, de pertes de revenus et de tensions sociales, c’est un évènement dont les conséquences pourraient être équivalentes à celles d’un conflit mondial.

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