Les structurés, un îlot pendant la baisse

Emmanuel Garessus

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Une performance positive en 2022 résulte souvent du profil asymétrique des structurés, selon Gilles Corbel, de Finanzlab.

Après 17 ans à la BCV, Gilles Corbel, l’ancien responsable des produits structurés de la BCV, a créé la société de conseils en structurés Finanzlab en 2018 avec son collègue Vincent Bonnard. «Nous voulions changer et nous lancer dans l’entrepreneuriat», déclarent-t-ils à Allnews, à Lausanne. Finanzlab cherche à proposer à ses clients «la bonne idée, adaptée au bon portefeuille, au bon moment», principalement des gérants de fortune indépendants.

Les deux partenaires ont créé la société avec leurs propres capitaux et «sacrifié deux ans de salaire et de sécurité». Le but de l’entreprise de courtage est d’offrir une place intelligente aux structurés dans le portefeuille. La société se développe et vient d’engager en mai et en septembre deux nouvelles spécialistes expérimentées issues du monde bancaire.

Dans le bureau de ce gérant de fortune, au sens de la LEFin et de la Finma, Gilles Corbel et Vincent Bonnard tirent un bilan de l’année 2022.

Comment le marché des produits structurés s’est-il développé ces dernières années?

Le marché des structurés s’est fortement développé jusqu’à la crise de 2008, laquelle a mis un énorme coup de frein et profondément transformé le marché. La digitalisation a réduit la taille des équipes dans les banques et facilité l’accès aux produits à travers des plateformes de pricing. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui même Postfinance en propose à ses clients. Clairement, la démocratisation des structurés s’est réalisée par la digitalisation de l’offre.

«De nombreux gérants sont maintenant convaincus des mérites d’une gestion asymétrique, notamment sur les indices.»
Dans quelle proportion les gérants de fortune sont-ils investis en structurés?

Si l’on reprend les statistiques de la BNS, la part des produits structurés est, en moyenne, de 3% dans les dépôts de la clientèle depuis 10 ans. Dans la pratique la répartition est beaucoup plus clivante. Une partie des gérants n’en ont pas du tout et ceux qui en ont investissent 10 à 15% du portefeuille. De nombreux gérants sont maintenant convaincus des mérites d’une gestion asymétrique, notamment sur les indices. Pour qu’ils aient un impact visible sur le rendement, il faut en placer au moins 4 à 5% dans le portefeuille.

Pourquoi le gérant de fortune s’adresse-t-il à Finanzlab et non pas à une banque?

La qualité du service est clairement notre plus-value, la disponibilité 7 jours sur 7, le sur-mesure, l’indépendance à l’égard des émetteurs et la réaction directe que nous offrons. Notre spécificité tient aussi au fait que notre passé du côté «émetteur» nous permet de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur d’un produit. Et c’est dans les difficultés qu’un prestataire de service fait définitivement la différence. Le gérant délègue une problématique à une personne dont il se sent proche.

Quelles leçons tirez-vous de l’année 2022?

L’année a été difficile parce que les gérants sont souvent restés liquides et attentistes. La normalisation des taux a permis de refaire des certificats à capital garanti. Cette typologie de produits était d’ailleurs à l’origine des structurés en 1991, sous le nom d’IGLU (Index Guaranteed Linked Notes), quand les taux étaient à plus de 7%. Le capital était garanti et, avec l’option call contenue, l’investisseur participait au double de la performance de l’indice. C’était le meilleur des deux mondes pour le gestionnaire. Définitivement, l’année 2022 marque le grand retour du certificat à capital garanti.

Les Barrier Reverse Convertible (BRC) ont aussi bien marché en 2022. Nous avons en effet eu des moments de forte Volatilité liée à des niveaux de Valorisation attractifs, les deux V de la victoire. C’était pour ainsi dire «criminel» de ne pas acheter des produits de bonnes sociétés après une perte de 30 à 40% avec des barrières encore 50% plus basses qui payait un coupon de 10 à 12%. La barrière est souvent européenne (donc observée à l’échéance), ce qui renforce indéniablement la protection. Ceux qui avaient substitué des lignes directes avec des produits structurés présentent une moins mauvaise performance en 2022 que les allocations classiques 60% actions et 40% obligations. Certains dossiers sont même parfois positifs chez les clients que nous connaissons. Le BRC a cet avantage d’incorporer une protection conditionnelle à un rendement. Dans un régime baissier c’est un avantage comparatif par rapport à un investissement directe en actions.

«Nous ne comprenions pas pourquoi les caisses de pension n’investissaient pas dans les produits structurés.»
Pourquoi avoir lancé un fonds de produits structurés?

Nous avons lancé notre fonds de structurés en octobre 2021, avec les caisses de pension dans le viseur. Nous ne comprenions pas pourquoi elles n’investissaient pas dans les produits structurés. L’Association Suisse des Produits Structurés s’était pourtant déjà longuement penchée sur le sujet. Il en avait résulté une directive de transparence. Mais les caisses de pension n’avaient pratiquement pas réagi. En approfondissant la question, il y avait plusieurs obstacles à la pénétration des produits structurés auprès d’une clientèle institutionnelle: l’échéance des produits, la multiplicité de l’offre, la faible part dans l’allocation et la bonne compréhension pour les membres du conseil de fondation. Un produit individuel n’entre pas non plus dans le moule d’analyse des experts. Le produit n’est pas adapté à ce monde. Pourtant le profil de rendement (pay-off) lui est totalement adapté. Le seul véhicule qui répond à tous les défis, c’est le fonds de placement parce qu’il gère des échéances, est audité et permet d’avoir un historique. A ce jour, en Suisse, c’est le seul fonds de produits structurés. Dans les catégories d’actifs, il rentre dans la case des produits alternatifs.

Quelle est la stratégie mise en œuvre?

La stratégie de notre fonds est résolument défensive et vise un rendement de 5%, en termes absolus, sans aucun conflit d’intérêt et à un coût bas (TER forfaitaire à 75 pb). Le fonds est composé uniquement de Barrier Reverse Convertible sur indices et nous appliquons un cahier des charges très précis dans lequel toutes les caractéristiques d’un produit sont normées. Par exemple le niveau des barrières ne peut pas être supérieur à 60% de la valeur initiale des sous-jacents. Pour éviter que le fonds soit perçu comme «mille-feuilles de coûts» nous traitons tous les produits sans marge.

Depuis le début de l’année, la performance est positive et atteint 3,0% avec une volatilité très faible. Deux caisses de pension et des gérants de fortune ont investi pour une masse sous gestion de 8 millions de francs. Partir de zéro avec une stratégie innovante demande de faire ses preuves avant de remporter l’adhésion d’une fraction plus large d’investisseurs.

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