Les services gratuits tendent à disparaître dans le monde bancaire

Yves Hulmann

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Selon Marco Franchetti, l’Ombudsman, on va vers plus de clarification entre ce que le client peut attendre ou non comme service de la part de la banque.

En 2021, l'Ombudsman des banques, l’instance de médiation des banques helvétiques, a clôturé 1'921 cas (à savoir 1'172 cas oraux et 749 cas écrits), soit 10% de moins que l'année précédente. Comme en 2020, les questions relatives à l'exécution d'ordres, à l'origine de 29% des cas traités, restent les plus courantes avec 218 cas. Les dossiers en lien avec des cas d’escroquerie sont arrivés en deuxième place (147 cas), suivis par les questions liées aux frais et commissions bancaires (142 cas). Dans 90% des cas où l'Ombudsman a demandé à la banque de venir à l'encontre du client, l’établissement a ensuite suivi sa recommandation, précise l’organisation.

A l’occasion de sa conférence de presse annuelle mercredi, l'organisme de médiation des banques suisses a aussi annoncé le départ de Marco Franchetti, qui assure la fonction de médiateur depuis neuf ans. Il quittera l'organisation à la fin de l'année. Andreas Barfuss reprendra la fonction d'Ombudsman des banques suisses. Marco Franchetti fait le point sur les principaux dossiers traités en 2021 et sur l’évolution des relations entre les clients et les banques durant les dix années passées à la tête de l’organisation.

«Les frais constituent l’un des sujets les plus visibles et les plus récurrents qui sont soumis à l’ombudsman des banques depuis un très grand nombre d’années.»
Presque un tiers (29%) des cas que vous avez traités par écrit en 2021, soit 218 problèmes, concernaient des questions relatives à des opérations d’exécution. N’est-ce pas surprenant étant donné que presque tous les ordres et transactions passés sont désormais documentés via des courriels ou sont enregistrés lorsqu’il s’agit d’appels téléphoniques?

Parmi les 218 problèmes relatifs à des opérations d’exécution répertoriés, plus de la moitié d’entre eux, soit 119 cas, concernent le trafic des paiements, des comptes ou des cartes. Même si tout est aujourd’hui largement documenté, il peut toujours y avoir des litiges ou une incompréhension entre le client et la banque sur un aspect ou un autre. De manière générale, le développement des moyens informatiques dans les services bancaires a créé autant de problèmes qu’il n’en a résolu. Je ne crois pas que l’essor de la numérisation va réduire le nombre de litiges entre les clients et les banques. Et cela d’autant plus que les gens effectuent, en moyenne, beaucoup plus de transactions financières que par le passé, lorsque ces différents services en ligne n’étaient pas encore aussi développés. On observe du reste la même évolution dans le domaine des réservations en ligne d’hôtel, de voyages, etc. Plus les gens effectuent d’opérations et de transactions, plus le risque qu’il y ait des litiges augmentent.

L’ombudsman des banques souligne aussi la hausse du nombre de cas de fraude et d’escroquerie. Dans quelles situations le client peut-il être tenu pour responsable, dans quels cas est-ce la banque?

L’ombudsman des banques doit toujours évaluer toutes les circonstances qui sont liées à un cas d’escroquerie avant de pouvoir émettre une recommandation. On peut toutefois décrire quelques exemples de situations où les clients ont pu manquer aux obligations de diligence requises. C’est le cas par exemple lorsqu’une personne a conservé son code sur un billet dans son portemonnaie avec sa carte bancaire ou si un client manque de vigilance lorsqu’il retire de l’argent dans un bancomat. Dans ces deux cas, le client a peu de chance d’obtenir un remboursement de la part de la banque. Il en va de même lorsqu’un client verse lui-même volontairement un montant à une plateforme en ligne peu sérieuse qui disparaît ensuite avec l’argent. Dans tous ces cas, il sera extrêmement difficile d’obtenir quoi que ce soit de la part de la banque.

Et dans quels cas, la banque peut-elle être tenue pour responsable?

Un principe important est ce que l’on appelle la sphère du client et la sphère de la banque. Un client doit veiller à garder en ordre ce qui relève de sa sphère, y compris les données bancaires figurant sur son téléphone portable. Il en va de même pour la banque qui doit s’assurer que toutes les données figurant sur ses systèmes informatiques soient suffisamment protégées. Il est arrivé que des escrocs étaient parvenus à générer automatiquement des numéros de cartes dans le but de soustraire de l’argent à des cartes prépayées. Dans ce cas, le client qui a acheté la carte n’y peut rien.

«Dans l’ensemble, les relations entre les banques et les clients sont devenues plus tendues ces dernières années.»

Un autre exemple est celui des systèmes de fraude installés sur des bancomats pour saisir le code tapé par le client. Lorsque le client n’a aucune raison de se douter qu’un tel système ait pu avoir été installé sur le bancomat où il retire de l’argent, il a des chances de pouvoir obtenir une compensation. En revanche, si un client retire de l’argent dans un distributeur qui n’apparaît comme tel ou qui est installé dans un endroit très inhabituel et qu’il est victime d’une escroquerie, la banque pourra lui reprocher son manque de vigilance.

N’est-on pas allé trop loin dans la numérisation des services bancaires qui n’est plus vraiment maîtrisée par une partie de la clientèle?

Il est très difficile de trouver une solution idéale pour tout le monde. Il y a des personnes âgées de 90 ans ou plus qui font tous leurs paiements en ligne sans problème. D’autres personnes dans la soixantaine ne se sentent déjà plus à la hauteur. En cas de doute, il faut réfléchir à l’utilisation de solutions ad-hoc à même de limiter les risques encourus par certaines personnes. Cela peut être le recours à des comptes spécifiques séparés pour effectuer certaines transactions, par exemple pour les achats sur Internet. Ou alors d’abaisser les plafonds de retrait pour certains comptes.

Avec la fin des taux négatifs qui se profile, les litiges relatifs aux frais ou aux commissions bancaires vont-ils devenir plus rares?

Je n’en ai pas l’impression. Les frais constituent l’un des sujets les plus visibles et les plus récurrents qui sont soumis à l’ombudsman des banques depuis un très grand nombre d’années. Certes, les questions en lien avec les frais ont augmenté depuis 2015 suite à l’instauration des taux négatifs. Il s’agit néanmoins d’un sujet permanent entre les clients et les banques.

De manière générale, les services gratuits tendent à disparaître dans le monde bancaire. Avant, il régnait un certain flou entre ce qui relevait du conseil et ce qui était considéré comme un service de type «execution only». Maintenant, soit le client conclut un contrat de conseil – et il paie pour cela -; soit il ne souscrit pas à une telle prestation et ne reçoit plus de conseil. C’est un peu schématique mais je pense que l’on va vers davantage de clarification entre ce que le client peut attendre comme service de la part de la banque ou non.

Vous assurez la fonction de médiateur depuis près de dix ans et quitterez votre fonction à la fin de cette année. Quels sont vos pronostics pour le reste de l’année en cours et pour la suite concernant les cas traités par l’ombudsman des banques?

Je n’ai pas grand-chose à dire en ce qui concerne l’avenir et au sujet du type de crises ou de changements qui pourraient survenir. Il suffit de regarder comment les choses ont évolué ces dernières années. En 2013, la thématique des rétrocessions était très présente. Puis, en 2015, il y a eu les taux négatifs et la soudaine appréciation du franc par rapport à l’euro et ses conséquences.

J’observe néanmoins que les banques ont pris beaucoup de mesures pour définir clairement ce qui relève du conseil et de ce qui ne l’est pas. Dans l’ensemble, les relations entre les banques et les clients sont devenues plus tendues ces dernières années. Sans l’intervention de tiers, les deux parties peinent parfois à trouver des arrangements.

Une tendance omniprésente de ces dernières années est celle de l’essor des placements durables. Avez-vous déjà été confronté à des litiges liés à cette thématique?

Non, je n’ai encore jamais eu de cas en rapport avec les placements durables ou des fonds ESG par exemple. C’est néanmoins un sujet qui est en train de faire l’objet d’une surveillance beaucoup plus stricte dans de nombreux pays. Cela a été notamment le cas en Allemagne récemment, tout comme aux Etats-Unis où la SEC est déjà intervenue à ce sujet. Dans la perspective des cas que l’on traite, il faudrait qu’un client qui s’estime lésé parvienne à démontrer qu’il a subi un dommage. C’est un champ d’activité qui est encore assez nouveau.

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