Les PME ne peuvent pas ignorer les développements en lien avec la durabilité

Yves Hulmann

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Pour Christian Waldvogel, directeur associé de Renaissance, les règles prévues pour les sociétés cotées en bourse ne sont toutefois pas adaptées aux entreprises privées.

Les mesures destinées à encourager les entreprises cotées en bourse pour qu’elles prennent en compte les questions de durabilité sont-elles aussi adaptées à la situation et aux spécificités des petites et moyennes entreprises (PME)? Un événement intitulé «Petit déjeuner durable», organisé par swiss export et la Chambre neuchâteloise du Commerce et de l’Industrie (CNCI), a réuni entrepreneurs et experts des question de durabilité à la mi-juin à Neuchâtel. Entretien avec Christian Waldvogel, directeur associé de Renaissance, une fondation de placement qui permet aux caisses de pension d’investir dans des PME suisses non cotées.

Selon une étude réalisée par swiss export, il ressort que les PME n’investissent encore que timidement dans des chaînes d’approvisionnement durable. Vous estimez de votre côté que le cadre prévu pour les sociétés cotées en matière de durabilité et de prise en compte des principes ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) n’est pas applicable pour les petites et moyennes entreprises (PME). Quelles mesures pourraient alors être mises en place pour encourager les PME à tenir davantage compte des aspects de durabilité dans le cadre de leurs activités?

Dans les faits, on peut observer qu’un grand nombre de PME tiennent déjà souvent compte des aspects en lien avec la durabilité – ne serait-ce que pour répondre aux exigences de leurs clients qui sont, eux, souvent des sociétés cotées en bourse. On assiste ainsi déjà naturellement à un effet de contagion des sociétés cotées dont les pratiques se reportent sur leurs fournisseurs. Par exemple, je connais une société active dans le décolletage qui a rapidement dû revoir l’entier de ses processus pour pouvoir continuer de livrer ses produits à des grands groupes horlogers. Pour une PME, penser que l’on peut rester simplement à l’écart des développements en matière de durabilité est certainement une erreur.

Est-il nécessaire de prévoir un cadre ou des outils différents pour les PME? Chaque petite entreprise ne peut pas engager un spécialiste des questions de durabilité.

Oui, il faut bien sûr prévoir et mettre en place des outils d’évaluation différents pour les PME. Les règles prévues pour les entreprises cotées en bourse ne sont pas adaptées à la situation des sociétés privées. C’est aussi dans cette optique qu’a été élaboré l’outil appelé «esg2go» développé par la HEG-FR.

Il ne faut pas sous-estimer le poids des clients importants sur les décisions ou comportement des PME.

En premier lieu, il faut disposer d’un outil pratique, afin qu’il soit réellement accepté par les PME. Si vous exigez de la part de PME qu’elles fournissent une pile de documents, personne ne va jouer le jeu. Au contraire, il faut que les questions soient simples et portent sur des points concrets et mesurables. Par exemple, elles peuvent porter sur des aspects comme le taux d’absentéisme au sein du personnel, la couverture offerte par la caisse de pension ou l’existence d’un code de conduite pour les employés. Parfois, on place sous l’étiquette «ESG» des aspects ou mesures qui correspondent simplement à de la bonne gouvernance et gestion d’entreprise.

En tant que fondation de placement, quels sont les thèmes que vous abordez chez Renaissance avec vos clients institutionnels?

Avec les caisses de pension qui comptent parmi nos clients, je dirais que le «S» et le «G» sont moins un enjeu actuellement, car cela est considéré comme un «acquis» pour les PME suisses dans lesquelles nous investissons. En revanche, en ce qui concerne les aspects environnementaux, le «E», les caisses de pension veulent désormais pouvoir disposer de données vraiment fiables. Elles souhaitent avoir une véritable évaluation de l’empreinte CO2 des entreprises dans lesquelles investissement. Et cela pas seulement au niveau des deux premiers périmètres d’évaluation, ou «scope» comme on les appelle en anglais, mais aussi au niveau du scope 3, à savoir l’utilisation qui est faite d’un produit ou d’une solution.

A quoi correspond le «scope 3» pour une PME?

Si l’on prend l’exemple d’un fabricant de fours industriels, il s’agira de prendre en compte aussi l’utilisation du produit et de son recyclage après la fin de son utilisation. Cette évaluation va donc bien au-delà de la seule consommation d’énergie ou des matériaux utilisés. Avec le scope 3, vous sortez du périmètre d’activité de l’entreprise pour considérer le cycle de vie complet du produit. C’est un défi supplémentaire pour les PME lorsqu’elles doivent fournir des indications à ce sujet.

Est-ce vraiment exigé de la part des investisseurs?

Aujourd’hui, certaines caisses de pension s’attendent à une documentation complète sur ces aspects-là. Cela peut même aller plus loin avec un audit complet de la méthodologie que nous utilisons. La plupart des caisses de pension exigent aujourd’hui d’avoir à disposition un reporting ESG détaillé, en plus du reporting financier classique.

Peut-on compter sur une adoption volontaire des critères de durabilité par les entreprises – ou faudrait-il mettre en place des mesures plus contraignantes?

Il y a plusieurs facteurs qui influencent les décisions et le comportement des entreprises. Tout d’abord, l’actionnaire majoritaire d’une entreprise a évidemment une très grande influence et peut induire d’importants changements. Ensuite, il y a aussi le rôle des prêteurs, tout particulièrement les banques. Ces entités qui accordent des prêts à des entreprises exercent une forte influence sur ces dernières et peuvent proposer des conditions d’intérêt plus favorables sur la base d’un bilan ESG satisfaisant. Enfin, il ne faut pas sous-estimer le poids des clients importants sur les décisions ou comportement des PME. Personne n’a envie de perdre un client important pour ne pas avoir satisfait à certaines de ses exigences, y compris en termes de durabilité. De surcroît, les entreprises sont aujourd’hui aussi confrontées aux exigences de leur personnel qui est aussi plus sensible à ces aspects. La pression ne vient pas d’une agence de notation ou d’une instance de régulation mais elle émane de l’ensemble de l’écosystème économique dans lequel évoluent les entreprises.

Quel peut être le rôle des associations ou organisations de branche pour soutenir et inciter les entreprises dans leurs efforts en direction de plus de durabilité?

Au niveau des caisses de pension et des investisseurs institutionnels, l’Association Suisse des Institutions de Prévoyance (ASIP) a, par exemple, déjà mis en place des recommandations à l’adresse des sociétés cotées en bourse. Tôt ou tard, ces recommandations seront élargies afin d’inclure l’univers des entreprises privées.

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