Les obligations d’entreprise en euros séduisent l’Asie

Yves Hulmann

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Selon Karsten Rosenkilde de DWS, les frais de hedging rendent la dette souveraine américaine moins attrayante pour les investisseurs basés en yen.

Pendant plusieurs années, la dette souveraine américaine a constitué une alternative bienvenue pour les investisseurs basés en euros ou en yens à la recherche de rendement. Compte tenu de coûts élevés pour se protéger contre les risques de change et en raison de la récente diminution des rendements des emprunts d’Etat américain, les investisseurs obligataires sont à la recherche d’autres placements offrant un profil risque rendement similaire, notamment les obligations d’entreprise en euros disposant d’une note élevée. Le point avec Karsten Rosenkilde, gestionnaire de portefeuille chez DWS et responsable des emprunts en euros de catégorie investissement (Senior Portfolio Manager for EUR IG Credit).

Quels sont actuellement les principaux avantages et inconvénients des obligations d’entreprises en euros par rapport à d’autres types d’emprunts, notamment la dette souveraine américaine?

Dans l’environnement de marché actuel, il est devenu très cher pour un investisseur de se protéger à l’encontre des variations de change entre le dollar et l’euro. Le «hedging» dollar contre l’euro vous coûte approximativement 3% par an. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que beaucoup d’investisseurs asiatiques basés en yen investissent moins dans des emprunts en dollars et achètent davantage de dette libellée en euros. Depuis le début de 2018, les investisseurs japonais ont ainsi acheté pour quelque 90 milliards d’euros d’obligations d’entreprise – répartis entre 75 milliards d’euros pour l’ensemble de 2018 et 15 milliards durant les seuls mois de janvier et février 2019. En comparaison, la BCE avait acheté pour 44 milliards de dette d’entreprise au cours de 2018 et moins de 1 milliard en janvier et février 2019. Autrement dit, les Japonais sont devenus des acheteurs importants d’obligations d’entreprise libellées en euros, remplaçant en partie le vide laissé par la BCE.

Certains investisseurs asiatiques réduisent une partie de leurs placements
en dollars pour les placer dans de la dette d’entreprise européenne.
La demande asiatique constitue actuellement un soutien important pour les emprunts en euros. A l’inverse, quels sont les risques présentés par ceux-ci?

Le risque principal pour le détenteur d’emprunts en euros serait que l’on assiste à une normalisation des taux d’intérêt dans le domaine de la dette souveraine. Actuellement, nous ne voyons toutefois pas de raison à ce que l’on assiste à une inversion de tendance en matière de taux. Ensuite, il faut évidemment tenir compte de tous les risques politiques actuels, allant de la situation en Italie aux tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine mais aussi avec l’Europe.

Quels sont vos attentes en matière de taux?

Dans notre scénario principal, nous n’anticipons pas de normalisation des taux d’intérêt. Dans une période où les taux d’intérêt continuent de reculer aux Etats-Unis – avec un rendement des bons du Trésor américain à 10 ans qui se rapproche toujours plus du seuil des 2% –, les obligations d’entreprise en euros constituent une alternative intéressante à la dette souveraine libellée en dollars. En effet, si protéger votre portefeuille contre les variations de change nécessite des coûts de hedging de l’ordre de 3% et que les emprunts d’Etat américains vous rapportent environ 2%, le rendement de vos placements sera négatif d’environ 1%. C’est pourquoi certains investisseurs asiatiques réduisent une partie de leurs placements en dollars pour les placer dans de la dette d’entreprise européenne.

Jusqu’à quel rating peut aller un investisseur qui recherche à la fois du rendement mais aussi une certaine sécurité avec les obligations d’entreprise en euros?

Bien entendu, un investisseur qui détenait de la dette souveraine en dollars ne va pas acheter d’un jour à l’autre des obligations d’entreprise européennes notées «BBB»! Pour obtenir un rendement suffisant avec des obligations d’entreprise libellées en euros, les investisseurs de dette souveraine ne vont que rarement en-deçà de la note «A». Ils préféreraient aussi des emprunts d’entreprises non cycliques ainsi que ceux avec une échéance courte, soit jusqu’à 5 ans.

En matière d’emprunts de niveau «investment grade», la dimension
environnementale devra être toujours davantage prise en compte.
Y a-t-il des pays ou secteurs à éviter ou au contraire à favoriser actuellement?

Il faut bien sûr tenir compte de ces deux dimensions lorsqu’on achète des obligations d’entreprise en euros. Par exemple, les emprunts émis par des entreprises allemandes du secteur de l’automobile ou actives comme sous-traitants de ce secteur sont relativement sensibles à l’évolution des tensions commerciales avec les Etats-Unis. A l’inverse, et même si cela peut paraître contre-intuitif, les obligations émises par des entreprises britanniques actives sur le plan mondial ne sont pas nécessairement affectées par le Brexit.

Y a-t-il des secteurs à éviter absolument?

Ici aussi, cela dépend de l’évolution macroéconomique attendue. Dans le cas d’une récession, certains secteurs seront particulièrement exposés à un ralentissement, par exemple les entreprises actives dans la logistique et les transports, tout comme celles actives dans les services pétroliers. Par ailleurs, certaines sociétés de télécommunications européennes ne sont pas au meilleur de leur forme actuellement.

Depuis quelques années, les obligations vertes sont très en vogue. S’agit-il d’une «hype» ou sont-elles intéressantes pour un investisseur obligataire?

Elles le sont dans tous les cas. Nous venons d’acheter, par exemple, des obligations vertes émises par un groupe industriel énergétique français. C’est un domaine qui va continuer de gagner en importance, à la fois en raison de l’intérêt que leur portent les investisseurs, notamment institutionnels, et de leur attrait auprès de certaines entreprises. De plus, en matière d’emprunts de niveau «investment grade», la dimension environnementale devra être toujours davantage prise en compte car c’est aussi un facteur de risque sur le long terme pour l’entreprise. C’est pourquoi je m’attends à ce que le volume d’émission des obligations vertes continue de croître.