Les marques globales ont encore un grand potentiel de croissance

Yves Hulmann

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Pour Juan Mendoza, gérant de fonds chez Lombard Odier, les marques de prestige croissent même lors des phases de ralentissement.

Les marques reconnues sur le plan global sont la spécialité de Juan Mendoza, gérant du fonds Global Prestige de Lombard Odier Investment Managers. De telles marques peuvent être issues de divers domaines: sport, produits et services de luxe, éducation, produits technologiques, mode, alimentation et boissons saines. Elles ne se résument pas au secteur du luxe. Qu’est-ce qui fait qu’une marque parvient à accéder à une reconnaissance globale dans un segment donné? Juan Mendoza livre son analyse à ce sujet.

Les marques dites de prestige ne se limitent pas au seul domaine du luxe. Qu’est-ce qui différencie ces deux notions? 

Une marque de grande renommée comprend les biens de luxe, mais également les produits haut de gamme dans l’alimentation, les boissons, le sport, le voyage, l’expérience, qui ont trait à un certain mode de vie et de statut. L’un n’exclut pas l’autre, au contraire. Le secteur des produits de consommation courante permet d’illustrer cette différence. Le cas de Starbucks est particulièrement intéressant car la perception de la société varie d’une région du monde à une autre. En Europe, Starbucks est perçu comme une marque véhiculant un certain style de vie. Il en va autrement en Chine, car les cafés de Starbucks y coûtent entre 4 et 5 fois plus cher qu’une tasse de café normale et sont considérés comme des produits luxueux d’une marque prestigieuse.

«Nous sommes également attentifs
aux pratiques de l’entreprise et ses controverses.»
A quels aspects êtes-vous attentifs en particulier lors du processus de sélection des marques de prestige qui entrent dans la composition de votre portefeuille? 

Il y a plusieurs critères, d’ordre financier et qualitatif, mais nous sommes également attentifs aux pratiques de l’entreprise et ses controverses. Dans le processus de sélection, on prend d’abord en considération les critères financiers classiques tels que les marges, le cash-flow libre généré, le rendement des fonds propres, les bénéfices estimés, etc. Pour analyser le potentiel des marques elles-mêmes, on tient compte notamment de trois aspects: la reconnaissance globale d’une marque, son attrait auprès des «Millenials» et parfois son caractère disruptif.

A quoi reconnaît-on si une marque est reconnue globalement?

Il y a bien sûr, d’une part, la dimension géographique: la marque Hermes, par exemple, est reconnue aussi bien à Los Angeles, à Hong Kong qu’à Londres. Une autre caractéristique, plus qualitative, d’une marque globale est qu’il s’agit souvent d’entreprises dont le chiffre d’affaires continue de croître à un rythme élevé même quand le contexte économique est peu favorable. Des sociétés comme Starbucks ou Nike, pour ne prendre que quelques exemples, ont réussi à générer une croissance située dans la partie haute d’un nombre à un chiffre («high single digit revenue growth») même lors de phases de ralentissement de l’économie mondiale. La demande pour leurs produits ne se tarit pas.

«Les marques qui ciblent les «Young Millenials»
sont intéressantes à suivre.»
Pourquoi est-il important qu’une marque soit appréciée par la génération dite des «Millenials»? 

Il s’agit aujourd’hui d’une génération qui dispose d’un important pouvoir d’achat et qui influence également le reste du marché. Maintenant, il existe aussi certaines marques qui ciblent un public plus jeune que cette génération, par exemple la société coréenne FILA Korea qui est populaire auprès des adolescents et ceux que l’on pourrait décrire comme les «Young Millenials». De telles marques sont intéressantes à suivre car il y a de bonnes chances que cette génération, encore très jeune, continue d’acheter ses produits lorsque celle-ci disposera d’un pouvoir d’achat plus élevé.

Comment définit-on la disruption dans le domaine des marques? 

Les marques disruptives appartiennent souvent à des sociétés qui ne sont pas encore bénéficiaires mais qui croissent rapidement dans un segment de marché donné. Cela leur permet d’envisager de devenir rentables ultérieurement. Le fait d’être disruptif ne se limite pas – comme on aurait souvent tendance à le supposer – au seul domaine des technologies ou des accessoires qui s’y rapportent. Si l’on considère les articles de sport, une marque comme Lulu Lemon Athletica, à l’origine active dans le domaine très spécifique de l’habillement sportif et des vêtements pour le yoga, est passée en quelques années d’un segment de niche à un marché de masse. Même si la société génère aujourd’hui un chiffre d’affaires de près de trois milliards de dollars, on peut dire que son niveau de pénétration sur certains marchés reste encore sous-exploité. Et cela même si la société a vu ses ventes croître de 60% au premier trimestre 2019 par rapport à celui de l’an précédent.

De manière générale, le thème du sport occupe une place importante parmi les marques que vous suivez. Ne va-t-on pas vers une saturation au sein de ce marché? 

Non, je ne le pense pas. Le sport est devenu une sorte de mantra pour la nouvelle génération qui commence à disposer d’un pouvoir d’achat plus important – tout comme c’est le cas pour une partie de la génération plus âgée. Aujourd’hui, quelqu’un qui a 60 ans ne va pas s’arrêter d’acheter des articles de marques sportives prestigieuses. Une marque comme Nike est devenue multi générationnelle aujourd’hui. Si certaines marques, telles que FILA Korea, ont en quelque sorte une limite d’âge – ce n’est pas du tout le cas pour Adidas ou Nike par exemple.

«Le concept alliant sport et loisir a ouvert de nouvelles perspectives
à des marques auparavant assimilées au sport de performance.

En outre, la délimitation entre articles sportifs et de mode a aussi changé. Le concept d’«athleisure», soit une combinaison entre sport et loisir, a ouvert de nouvelles perspectives à des marques auparavant assimilées au sport de performance. Enfin, un autre aspect rend le secteur du sport particulièrement attrayant: pendant longtemps, on a supposé que les marques de sport étaient achetées par le même nombre de personnes au sein de la population. Les plus jeunes entrants sur ce marché remplaçant les plus âgés qui le quittent – une sorte de jeu à somme nulle. Or, l’hypothèse est erronée : les adultes et une partie des seniors continuent désormais à acheter des articles de marques auparavant assimilées aux plus jeunes. S’y ajoute une partie de la population des marchés émergents qui peut s’offrir des articles de marques réputées. Le marché global des articles de sport ne cesse de croître.

Les marques de prestige peuvent-elles désormais commercialiser leurs produits en ligne ou ont-elles encore besoin de points de vente physiques?

Nous observons une évolution importante depuis la dernière décennie. Les marques qui peuvent allier points de vente en ligne et physiques offriront la meilleure expérience client et seront gagnantes à long terme. Auparavant, la plupart des marques les plus en vue, ou qui cherchaient du moins à améliorer leur visibilité, entraient sur un marché en ouvrant de nombreux points de vente. Toute phase d’expansion était très gourmande en capital. Aujourd’hui, ces marques misent sur une double stratégie: elles choisissent, d’une part, quelques très bons emplacements, par exemple sur Bond Street à Londres, des sites emblématiques, qui lui permettent d’améliorer leur visibilité auprès de son leur public cible. D’autre part, ces marques vont élaborer une expansion sur le plan mondial ou régional via leur plateforme en ligne. Cela requiert aussi une excellente stratégie via une présence sur les réseaux sociaux, une «expérience client» de grande qualité, un engagement autour de certaines valeurs, etc. En revanche, il n’est plus nécessaire de mobiliser autant de capitaux. En conséquence, il est possible pour une marque d’être beaucoup plus rentable qu’auparavant dès lors qu’elle accède à une reconnaissance globale. 

«L’économie chinoise ralentit mais on jamais vendu autant
de produits de marques prestigieuses en Chine.»
En cas de récession ou de ralentissement de la croissance économique, comment réagissent ces marques de prestige? 

La situation actuelle de la Chine est intéressante à observer sur ce plan. Tout le monde dit que l’économie chinoise ralentit et pourtant on n’a jamais vendu autant de produits de marques prestigieuses en Chine. En dépit d’une croissance toujours relativement faible en Europe, les articles de mode ou de cosmétique se vendent bien. Les tarifs douaniers d’importation pour la mode, le sport et les produits de consommation ont par ailleurs été réduits en Chine.

Intégrez-vous aussi les critères ESG dans votre processus d’analyse et si oui sur quelle base?

Les données extra-financières sont totalement intégrées dans nos outils de gestion. Nous nous appuyons sur notre propre recherche en charge de l’analyse des critères ESG depuis 2012. Nous cherchons surtout à analyser les programmes mis en place par les entreprises, afin de comprendre comment elles favorisent sur le long terme l’environnement, le social ou la gouvernance. Nous les rattachons ensuite à chacun des 17 Objectifs de développement durable de l’ONU. Enfin, notre philosophie d’investissement s’appuie sur une approche à trois piliers. Nous utilisons ce principe pour évaluer la durabilité du modèle financier d’une entreprise, ses pratiques commerciales et son modèle d’affaires. Ce dernier point est central pour les marques de prestige, car il s’agit de déterminer l’évolution de leur modèle d’affaires face aux mégatendances qui métamorphosent l’économie mondiale.