Les marchés font deux fixations: IA et lutte contre l’obésité

Nicolette de Joncaire

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La frénésie autour de certaines valeurs de l’IA et des traitements anti-obésité frise l’obsession. Au détriment de presque tout autre thème. Avec Régis Bégué de Zadig AM.

IA générative et traitements anti-obésité, l’enthousiasme des marchés actions pour ces deux thèmes semble reléguer tout autre évènement au second plan. Mais tout engouement excessif peut préfigurer des réveils douloureux estime Régis Bégué, associé-gérant de Zadig Asset Management. Il s’étonne davantage pour sa part d’une fin de l’inflation sans récession et de la rapidité avec laquelle l’Europe s’est remise du blocage des approvisionnements en gaz et pétrole russes. Tour d’horizon de la conjoncture financière.

Où vont les taux et quel impact auront-ils sur les marchés?

Parlons surtout des taux américains car les bourses européennes sont très directement sous leur influence, surtout la partie longue qui explique les valorisations. Vous aurez noté que, lorsque les taux suisses ou européens étaient très bas, voire nul, les marchés ont toujours valorisé les actions à des taux longs de l’ordre de 4%. Ce qui explique le moment de panique en 2022 quand il a été question que la Fed élève ses taux au-dessus de 5% pour casser l’inflation. Aujourd’hui, cette dernière a baissé, non aux 2% symboliquement souhaités, mais autour de 3,5%, sans que les Etats-Unis passent pour autant par une récession. Il n’y a pas de grandes surprises à attendre de la politique monétaire. On peut seulement supposer qu’une élection de Donald Trump soit plus inflationniste que si Joe Biden remporte les suffrages car sa politique favoriserait le consommateur et serait susceptible de retarder les baisses de taux décidées par la Fed. Attendons-nous donc à une ou deux baisses de taux d’ici la fin de l’année sans qu’elles ne soient déterminantes pour les marchés.

Mais alors que regardent les marchés?

Ils font deux fixations. Une première sur l’intelligence artificielle et une seconde sur l’obésité. Aucun autre thème ne parait les intéresse, même pas les élections en France.

Que penser de l’impact de l’intelligence artificielle générative sur les marchés?

C’est une révolution mais sera-t-elle aussi transformative que l’a été l’Internet il y a 25 ans? Le marché me semble très myope à ce sujet. Il est obsédé par NVIDIA et son écosystème et par les semi-conducteurs mais au-delà, il ne s’intéresse pas à grand-chose et ne parait percevoir ni les besoins accrus en électricité, ni les conséquences potentielles des son utilisation dans de nombreux domaines. Je pense à la finance ou au secteur médical dans lequel l’IA peut avoir un impact significatif en termes d’études cliniques par exemple. Je pense aussi à la publicité où l’IA entre en concurrence directe avec les «créatifs» qui seront peu à peu remplacés par des ingénieurs. Plus largement, je pense enfin à l’utilisation des données dans le suivi du consommateur. Il est vrai que l’impact net de ces changements est encore difficile à évaluer mais suis surpris du peu d’attention que les marchés accordent à ces thèmes… et à la concentration quasi-exclusive sur NVIDIA.

L’autre sujet phare est donc l’obésité.

La découverte du rôle de l’hormone GLP-1 et l’avancée majeure de ses substances agonistes dans le traitement du diabète et de l’obésité ont fait le succès de Novo Nordisk et d’Eli Lilly qui sont les deux principaux acteurs du développement et de la commercialisation de ces médicaments. Avec l’approbation réglementaire de ces traitements chez les personnes en surpoids, le marché s’est emballé. La demande est forte et les entreprises sont dans l’incapacité d’y répondre ce qui a fait monter le prix. Mais quelle est la pérennité de ces niveaux de croissance? Ne sommes-nous pas en survalorisation?

Encore une fois, les marchés se concentrent-ils excessivement?

Oui, aux Etats-Unis sur NVIDIA, Apple, Alphabet, Eli Lilly. En Europe sur ASML, sur Novo Nordisk, sur SAP. La concentration des machés US s’est étendue à l’Europe où seul un tiers des titres fait mieux que le marché et où la performance équipondérée est 3% au-dessous de celle de l’indice. En mai-juin, le secteur bancaire a bien performé à cause des taux longs mais il est surprenant de constater que malgré les taux longs, les valeurs d’hyper-croissance ont encore surperformé.

Cette concentration serait-elle due aux ETF?

C’est probable mais difficile à mesurer. Il est exact que depuis le Covid, les mouvements se font beaucoup sur les indices et que nous observons une inflation des multiples des sociétés les plus importantes que nous ne constatons pas sur les small & mid-caps. C’est un point de vulnérabilité du marché. Mais nous avons aussi noté d’autres changements depuis le Covid; en 2022 les valeurs du secteur de la défense sont revenues au goût du jour avec la guerre en Ukraine de même que les pétrolières avaient retrouvé du panache avec la pandémie. Dédaignées lors de l’essor de l’ESG, ces titres ont repris de l’élan.

Quelles sont les constats qui vous frappent le plus?

Le premier miracle est la fin de l’inflation sans récession. Le second est le blocage des livraisons de gaz et de pétrole russes sans crise énergétique majeure. On avait sous-estimé l’élasticité des prix, en particulier sur le pétrole, et le potentiel de substitution par le charbon puis pas le GNL.

Quel impact auront les élections législatives en France?

En France, le problème numéro un reste celui de l’endettement, quelle que soit la couleur politique. Le 10 ans français était déjà passé au-dessus du 10 ans portugais avant même les élections. Comme en France il ne peut y avoir de gouvernement de coalition – comme en France ou en Italie -, le pays en arrivera probablement à un gouvernement technocratique sans direction véritable mais qui pourrait avoir pour mérite de mieux maitriser le déficit.

Que faire pour se protéger de la volatilité qui en découle?

Saisir les opportunités de baisse sur des valeurs qui ne seront pas concernées par la politique. Choisir des valeurs qui ont du beta comme Société Générale par exemple. La surconcentration a laissé de la place en dehors des très grandes valeurs. Sans même aller jusqu’au small & mid-caps. 

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