Les hedge funds redeviennent incontournables

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Les changements de tendances structurelles s’accompagnent de davantage de volatilité et de dispersion. Un contexte favorable aux hedge funds. Avec Mark Sullivan de Wellington Management.

Les hedge funds ont vu leur popularité décliner après la crise financière. Délaissés quand il était plus rentable de détenir des positions longues sur les actifs que de payer des frais élevés pour une gestion complexe qui ne rapportait pas davantage, ils ont enregistré d'excellents résultats en 2022 et 2023.  Véritable source de diversification là où les obligations ne jouent plus leur rôle, les hedge funds vont bénéficier de la hausse de la volatilité née de l’incertitude économique et politique. Quelques questions à Mark Sullivan, Head of the Hedge Fund Group chez Wellington Management. 

Pourquoi la popularité des hedge funds s’était-elle tant affaiblie après la crise de 2008?

Les flux vers les hedge funds se sont taris pendant plus de 10 ans parce que leur rôle est de protéger les portefeuilles et que, en raison des politiques homogènes des banques centrales sur cette période, il était plus rentable de détenir des positions longues sur les actifs que de payer des frais élevés pour une gestion complexe qui ne rapportait pas davantage. Même si les effets ne sont vraiment devenus perceptibles que plus tard, c’est à partir de 2016-2018 que s’est produit le virage qui a rendu sa popularité à la gestion alternative, avec la montée du populisme, avec le Brexit et l’arrivée de Donald Trump. En introduisant une politique budgétaire souple qui restait accompagnée d’une politique monétaire accommodante, ce dernier a recréé une divergence entre les stratégies nationales propices à un retour de la volatilité. Mais c’est la crise du Covid, malgré le soutien des actifs financiers par les banques centrales, qui a réellement marqué cette résurgence de la volatilité avec plus de force. 

Quel fut le point d’inflexion le plus déterminant?  

Le grand tournant se situe en 2022 avec le retour de l’inflation. Une inflation dont on ne savait pas, au début, si elle n’était qu’un bref accident de parcours ou si elle serait là pour durer. Cette incertitude a rétabli la nécessité d’une gestion réellement active puisqu’un portefeuille contenant quelques positions défensives ne permettait plus d’assurer un rendement stable à moindre risque.

Autrefois les investisseurs acceptaient des frais élevés pour des fonds corrélés aux marchés actions. Puis ils ont cessé de l’accepter. 

Comment s’est fait le passage des hedge funds à stratégies uniques aux grandes plateformes multi-stratégies que l’on observe aujourd’hui?

Les stratégies uniques présentaient de grandes disparités. Avec les multi-stratégies, l’objectif (réussi) est d’obtenir 300 à 500 points de base au moins au-dessus du marché monétaire et de diversifier les rendements et les risques. N’oublions pas que la première source de diversification d’un portefeuille fut longtemps le marché obligataire mais que son rendement fut négatif dans les 3 dernières années et que, de plus, il présente une corrélation élevée avec les marchés actions. Les hedge funds multi-stratégies sont de fait devenus une vraie source de diversification adéquate quand les obligations ont cessé de l’être.

Mais pourquoi ces plateformes géantes?

Parce que gérer des hedge funds multi-stratégies est lourd et couteux et qu’il fallait réaliser des économies d’échelle sur la gestion. Pour qu’un hedge funds aie du succès, il faut qu’il soit surperformant. Il faut qu’il produise des rendements élevés sans corrélation avec les marchés d’actifs. Ce n’est pas facile et seule une taille critique le permet. 

Alors que les clients s’en plaignaient, les frais ont pris l’ascenseur et les investisseurs finalement l’acceptent. 

Autrefois les investisseurs acceptaient des frais élevés pour des fonds corrélés aux marchés actions. Puis ils ont cessé de l’accepter. Par la suite, quand les gérants ont introduit les «pass-through fees», ils ont eu quelques difficultés à les faire accepter. Mais les fonds qui répercutent ainsi leurs frais – ceux dans lesquels les investisseurs paient directement les coûts d'investissement nécessaires -, ont en moyenne généré de meilleurs rendements que les autres, même après déduction des dits-frais. Et la pratique s’est imposée. Toutefois, les clients exigent des rendements stables de l’ordre de 8 à 10% au moins et des ratios de Sharpe élevés. 

Quels sont les types de stratégie qui ont eu les meilleurs résultats?

En 2022, les fonds macro ont très bien performé, moins bien en 2023. Cette année, ils sont plus dispersés. Certains equity long/short donnent de très bons résultats. Ceux des multi-stratégies varient énormément d’une équipe à l’autre. Certains sont excellents, d’autres moyens. 

Comment estimez-vous leurs perspectives?

Avec les changements de tendances structurelles, et particulièrement le retour de l’inflation, on observe davantage de volatilité et de dispersion. Les obligations n’offrent guère de rendement et les actions sont rentables nominalement mais pas autant qu’on l’imagine en termes réels. L’immense masse de liquidité créée par les politiques monétaires accommodantes va s’assécher.  Par ailleurs, avec la montée du populisme, la dette risque de s’accroitre. Le contexte est donc favorable aux hedge funds. 

Les hedge funds sur les matières premières se sont raréfiés. Va-t-on les revoir?

Les matières premières ont vécu une longue période baissière ce qui explique la quasi-disparition des hedge funds correspondants. Mais on les retrouve désormais au sein des multi-stratégies, d’autant que l’intelligence artificielle booste la demande d’électricité et donc de cuivre et d’énergie.  

Quels sont les thèmes émergents pour cette catégorie d’actifs?

Les fonds sur devises pourraient avoir un bel avenir. On en voit peu mais avec les grands changements d’alliances politiques, il faut garder un œil sur le yuan… qui s’apprécie au fur et à mesure que le yen déprécie. Autre cas à surveiller, l’arrimage du dollar de Hong Kong au dollar américain va-t-il durer? et puis, si les déficits publics occidentaux continuent de se creuser, qui achètera leurs obligations? Les nouvelles opportunités ne manqueront pas. 

A lire aussi...