Les dommages sont encore à venir

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Jeremy Leach, directeur de MPG, reste méfiant à l’égard des actions, préférant miser sur les placements alternatifs.

Lorsque l’épidémie de coronavirus est venue se rappeler au bon souvenir des opérateurs sur les marchés à la mi-février, ces derniers étaient déjà largement mûrs pour une correction, estime Jeremy Leach, directeur de la société Managing Partners Group (MPG) présente à Genève. Entretien.

Il y a un an, vous estimiez que les intervenants sur les marchés étaient très mal préparés à une possible correction. L’ampleur de la correction observée entre fin février et la mi-mars vous a-t-elle surpris? 

Non, cette correction ne m’a pas vraiment surpris. En début d’année, les marchés d’actions affichaient des valorisations extrêmement élevées, et cela alors que la croissance économique n’avait rien d’exceptionnel dans plusieurs régions du monde. Entre l’automne dernier et le début de cette année, le rallye des actions a pu se poursuivre avant tout grâce au très faible niveau des taux d’intérêt, qui a permis aux ratios cours/bénéfices de chuter très bas, et à la confiance que les banques centrales n’allaient pas remettre en question leur politique monétaire accommodante. Ainsi, les marchés étaient mûrs pour la correction.

«On s’oriente vers un nouveau marché baissier. Ce que l’on a vu ces dernières semaines,
c’est plutôt un rebond de rattrapage après la liquidation de mars.
Et maintenant que la correction a eu lieu, que pensez-vous du rebond des marchés entre fin mars et la mi-mai? 

Il y a deux événements distincts à considérer dans cette crise. Le premier est la phase de liquidation ou «sell-off» qui a eu lieu entre février et la mi-mars parce que les prix des actions étaient trop chers. Le deuxième événement, qui se passe maintenant, concerne l’évolution de l’activité économique et les conséquences à venir de la crise du coronavirus. Nous allons assister à des faillites d’entreprises dans certaines branches, ou à des défauts sur certains emprunts. A mon avis, on s’oriente vers un nouveau marché baissier. Ce que l’on a vu ces dernières semaines, c’est plutôt un rebond de rattrapage après la liquidation de mars. En outre, les données économiques pour les Etats-Unis et la zone euro ne sont disponibles qu’avec un certain décalage afin de pouvoir quantifier réellement l’impact du COVID-19 sur les économies américaines et européennes. Les dommages sont encore à venir.

Certains secteurs pourront-ils mieux traverser cette tempête que d’autres?

Bien sûr, il y aura toujours des poches sectorielles qui parviendront à tirer leur épingle du jeu, comme les entreprises des sciences de la vie ou celles de la «tech». Toutefois, dans un marché baissier, il vaut mieux fuir les entreprises qui ont beaucoup de dettes. Pour ces dernières, la crise n’a pas encore déployé tous ses effets. Beaucoup de compagnies aériennes ne survivront pas, le secteur du tourisme sera fortement endommagé.

«Le faible niveau des taux d’intérêt
est notre salut dans la crise actuelle.»
L’arrivée d’un traitement ou d’un vaccin contre le COVID-19 pourrait-elle permettre à l’économie de repartir beaucoup plus vite que prévu?

Je ne pense pas qu’un vaccin, à lui seul, puisse changer complètement la situation d’un jour à l’autre. L’observation d’autres épidémies montre que ce n’est pas un vaccin qui fait disparaître un virus. Les virus ont pratiquement toujours disparu entre 12 et 18 mois après leur apparition. Une grande incertitude persistera sur le plan économique durant encore un an.

Faut-il redouter une dépression de longue durée comme cela a été le cas dans les années 1930?

Pas nécessairement – et heureusement. Une différence essentielle par rapport à d’autres crises économiques du siècle dernier est que les banques centrales disposent d’outils beaucoup plus sophistiqués. Côté négatif, les Etats feront face à des dettes très importantes après la crise. Côté positif, cette dette sera contractée dans un contexte de taux d’intérêt extrêmement bas. Le faible niveau des taux d’intérêt est notre salut dans la crise actuelle.

«Notre stratégie consiste à acheter des actifs à un prix discount,
essentiellement en rachetant des fonds fermés.»
S’agissant de MPG, votre hedge fund Vita Nova a réalisé des performances positives étonnamment stables cette année, y compris lors du décrochage des marchés en février et mars. Comment avez-vous fait pour naviguer sans dommage dans un tel environnement?

Notre exposition au marché des actions est de toute manière très faible, soit moins de 10% du total. Globalement, notre stratégie consiste à acheter des actifs à un prix discount, essentiellement en rachetant des fonds fermés («closed-end fund»). Notre approche consiste à acquérir des fonds à un prix discount, puis de capturer la valeur des actifs qui sont inclus dans ceux-ci en négociant une conversion de l'action en dette afin que le gain soit bloqué.

N’y a-t-il pas un risque de perdre de l’argent en cas de nouvelles turbulences extrêmes sur les marchés?

Non, je ne le pense pas. D’une part, car le risque de défaut des fonds de placement est minime. D’autre part, car on observe que beaucoup de gérants veulent procéder à un remboursement de leurs fonds afin de pouvoir redéployer leur argent ailleurs rapidement. C’est pourquoi, il est intéressant pour ces gérants de céder les actifs de leur fonds, même avec une décote, à des acteurs tiers comme nous. Certains gérants de fonds ne peuvent pas rembourser, donc ils ont besoin de vendre. Aux Etats-Unis, la plupart des fonds fermés («closed-end fund») arrivent à échéance après dix ans, cela peut aboutir à de réelles situations d’assèchement des liquidités, ce qui créée aussi des opportunités pour des acteurs comme nous.

Votre clientèle a-t-elle évolué depuis le début de la crise ce printemps?

Non, pour l’essentiel, notre base de clients est restée la même. Nous comptons parmi nos clients des family offices et des gérants d’actifs. Le fait que Vita Nova a reçu la distinction de Prequin comme le meilleur fonds alternatif sur trois ans, de 2017 à 2019, a néanmoins suscité de l’intérêt auprès d’autres investisseurs, comme des gérants de fortune ou des fonds de fonds.

A lire aussi...