Discrète depuis des années, l’Association des banques étrangères en Suisse (AFBS sigle anglais communément utilisé) prend l’initiative. Avec 99 établissements, et 16 207 emplois, l'Association estime que le groupe des banques étrangères est «sous-estimées» par les autorités et entend dévoiler leur contribution actuelle et leur potentiel pour l’économie suisse. Rencontré dans son bureau zurichois, Raoul Würgler, secrétaire général de AFBS depuis cinq ans, répond aux questions d’Allnews sur la stratégie de son association, les développements des banques étrangères en Suisse et de les conditions-cadres:
Quelle est la part de marché des banques étrangères en Suisse?
Le nombre d’établissements bancaires est la statistique la plus fiable qui soit à disposition. Sur les trente dernières années, il est passé du quart au tiers des banques actives en Suisse.
Le nombre est l’élément clé parce que la communauté des banques étrangères est le miroir du monde, avec des banques chinoises, latino et nord-américaines, européennes et autres. Ce sont des banques internationales elles-mêmes présentes dans plusieurs parties du monde qui sont toutes significatives pour l’économie suisse.
Cet aspect est de plus en plus frappant dans la mesure où des groupes internationaux qui dans le passé n’étaient là que pour certaines activités particulières (financement du négoce, banque privée, asset management) commencent à étendre leur gamme de services. Elles se rendent compte que leur valeur ajoutée se situe dans le contact direct établi dans les marchés de destination des entreprises suisses et dans les marchés d’origine de ces sociétés. Une entreprise suisse disposant d’un centre de production européen qui a besoin de matières premières chinoises a besoin de renminbis, d’euros et, comme les ventes sont globales, également de dollars.
Comment la structure des banques étrangères a-t-elle changé ces cinq dernières années?
La composition a effectivement changé, avec l’arrivée d’une troisième banque chinoise, d’une ou deux banques latino-américaines, la fusion de plusieurs banques européennes après la crise de 2008 et les conséquences du débat sur la transparence fiscale qui a réduit la voilure de leur présence en Suisse.
Comment l’emploi des banques étrangères en Suisse a-t-il évolué?
L’emploi a diminué puisqu’après un sommet dépassant les 20'000 emplois, les effectifs s’élèvent à quelque 16'000 aujourd’hui. Le recul traduit la baisse du nombre d’établissements. Mais la diminution des effectifs est inférieure à celle des instituts parce que l’emploi s’est accru dans les départements de conformité réglementaire. Les exigences se sont nettement accrues dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ainsi que dans le domaine ESG (environnemental, social et de gouvernance).
«Après que Credit Suisse ait été repris par UBS et qu’UBS n’offre plus le clearing du dollar en Suisse (depuis 2012), il n’y a plus de banque suisse à offrir ce service.»
A présent la réglementation en matière de conformité ESG se focalise essentiellement sur les services financiers. Les autorités espèrent pouvoir impacter d'autres secteurs de l'économie par le biais de règles de conformité applicables au secteur financier – notamment en ce qui concerne les critères de financement.
Est-ce que la fin de Credit Suisse a modifié la place suisse au profit des banques étrangères? Et pourquoi des lignes de crédit ne peuvent pas être trouvées auprès des banques étrangères?
Il s’agit d’anecdotes et de rumeurs. Le président d’UBS affirme aussi qu’il existe de nombreuses opportunités pour les banques étrangères. Pour ma part, je vois que beaucoup de banques étrangères, déjà avant la reprise de Credit Suisse par UBS, ont commencé à étendre leur gamme de services. Elles sont sorties de leurs activités traditionnelles, souvent dans la gestion de fortunes privées. Elles se sont étendues au Corporate Banking, au financement du commerce et du crédit, à l’administration de titres, à la garde de titres (à l’image de StateStreet dans le cas du fonds de l’AVS) et aux services aux entreprises, notamment internationales. Certaines banques ne s’adressent pas seulement aux entreprises étrangères mais aussi aux sociétés suisses. Notamment les banques françaises sont très strictes en matière de protection de l’environnement et réduisent leur exposition au charbon ou à l’armement où sont actifs certains industriels suisses.
Dans quels domaines les banques étrangères en Suisse investissent-elles le plus fortement?
Certaines banques comme BNP Paribas se présentent de plus en plus comme une banque d’entreprises en Suisse et ciblent les PME suisses, actives tant à l’international qu’en Suisse.
Durant longtemps, les banques étrangères étaient certes en Suisse (depuis 1872), mais personne n’en parlait. Subitement les banques étrangères en Suisse deviennent intéressantes ainsi qu’il ressort de la communication des autorités de surveillance, de la Commission de la concurrence, du secrétariat d’Etat à l'Economie SECO et des autorités politiques.
Au moment du programme covid, des banques étrangères finançaient des entreprises suisses et leur offraient des crédits d’urgence, mais il leur était compliqué d’obtenir la garantie de la Confédération, laquelle était accordée librement à toutes les banques suisses qui finançaient des entreprises suisses. Pourquoi? Pourquoi les banques étrangères en Suisse sont-elles traitées différemment d’une banque suisse lorsqu’il s’agit d’effectuer un crédit hypothécaire pour un privé suisse cherchant à acheter un immeuble en Suisse? Lorsque la banque finance une personne physique suisse, il n’est pas question d’une détention d’une propriété suisse par une personne étrangère; je ne vois donc pas le problème.
«L’approche de l'autoréglementation adoptée en Suisse une fois de plus dans le domaine ESG est très judicieux»
Où réside donc le problème?
Dans certains cantons. Il est laissé à l’appréciation des cantons d’imposer des règles plus ou moins restrictives. Cette difficulté à offrir ces services est peut-être une raison pour laquelle les banques étrangères se sont dites que ce n’était pas un segment d’activité attractif.
Dans certaines régions et certains segments, la concentration du marché est très forte en ce moment. Je pense au marché hypothécaire genevois, qui est à 45% aux mains d’un seul établissement. C’est beaucoup pour la région et pour la banque.
De nouvelles portes s’ouvrent toutefois. La Comco demande à la FINMA d’offrir plus rapidement des autorisations aux établissements étrangères que dans le passé. Le réveil semble avoir sonné.
Quelle est votre stratégie?
Notre objectif consiste à faire prendre conscience à la Suisse, en premier aux autorités politiques, de la signification de la contribution que peuvent apporter les banques étrangères à l’économie suisse. Elles ne viennent pas en Suisse pour quémander une part de gâteau et repartir. Les banques étrangères sont des partenaires qui peuvent bénéficier de ce tissu très international seulement si elles se positionnent en tant que tels. Beaucoup de banques étrangères ont célébré leurs 50 ou 60 ou 75 ans de présence en Suisse.
Les banques étrangères sont-elles négligées ou discriminées?
Leur poids et leur contribution à l’essor de l’économie suisse sont très probablement sous-estimés par les autorités.
Le deuxième plus grand acteur dans le «clearing» en CHF est une banque étrangère, à savoir Citi, qui me paraît systématiquement importante. Après que Credit Suisse ait été repris par UBS et qu’UBS n’offre plus le clearing du dollar en Suisse (depuis 2012), il n’y a plus de banque suisse à offrir ce service. Si une place financière n’a plus accès au clearing du dollar, elle ne fait plus partie du flux de biens et services. Cette éventualité est à éviter à tout prix. Or personne ne peut être forcé à offrir ce service. Et pour l’offrir, il faut une reconnaissance de la part des autorités américaines et par le réseau bancaire ainsi qu’un «due diligence» de chaque établissement. Cela prend six à douze mois, mais c’est crucial. Je trouve dommage que ce qui fonctionnait bien au sein de Credit Suisse ait disparu et ait été dissout. Ce savoir-faire a-t-il disparu?
Quels sont les derniers établissements étrangers à être partis de Suisse et lesquels sont les derniers entrants?
Le dernier retrait concerne le groupe Société Générale qui vient de vendre ses activités de gestion de fortune à une banque suisse, mais je constate que cette banque reste et se développe en Suisse dans les opérations de bourse et de marché des capitaux, dans les produits structurés, le négoce de matières premières et le financement d’entreprises.
Il est vrai que la banque privée devient un segment de marché de plus en plus compliqué et coûteux à offrir, notamment pour la clientèle internationale. La clientèle européenne est le premier marché visé par le private banking suisse, mais l’UE restreint de plus en plus l’accès à son marché. Il est donc plus contraignant de démarcher les clients et de les servir, même dans le cas de clients de longue date.
Quel est l’avenir de la gestion de fortune en Suisse?
Le «Berne Financial Services Agreement» conclu avec le Royaume Uni est potentiellement un atout pour la Suisse, du fait de la reconnaissance mutuelle de la réglementation nationale et de la complémentarité des deux places financières, entre la gestion de fortune suisse et l’investment banking britannique. Je connais plusieurs banques intéressées à compléter leur offre dans ce sens. Mais au sein de l’UE, la situation est difficile. L'accès à la clientèle privée est plus difficile. Les conditions pour qu'une personne puisse être considérée comme investisseur professionnel sont plus restrictives en UE qu'en Suisse et le client privé reste assujetti aux règles de protection des consommateurs même s'il se opte pour le traitement de client professionnel.
En matière de réglementation, où la Suisse est-elle compétitive?
La Suisse est très compétitive en matière de digitalisation, en vertu de la loi DLT (technologie du registre distribué) depuis 2021. Plutôt que de créer une législation séparée, elle a adapté la législation existante aux produits digitalisés. Le processus a été mené de façon très libérale. C’est grâce à ce développement et à la création d’un pôle de compétence auprès de la FINMA que beaucoup de banques internationales et d’acteurs du monde numérique ont choisi de s’établir en Suisse. Ce succès est évident avec l’essor d’AMINA et de Sygnum ainsi qu’avec la bourse digitale SDX, qui est totalement numérisée. La Suisse a l’avantage que la bourse SIX ait gardé sa chaine de valeur entièrement intégrée, à la différence des autres places de négoce. Tout est intégré, du placement de l’ordre à la transaction en passant par la livraison contre le paiement, le règlement et la garde de titres. Cette concentration du savoir faire a bénéficié à la création de SDX où la même structure a pu être répliquée. Il reste à voir à quel rythme les investissements dans le monde numérique prendront de l’essor.
Quelles sont les autres pistes de numérisation?
Lors d’une récente conférence sur le financement des commodities, à Genève, un orateur de Komgo a présenté une plateforme digitalisée sécurisée pour l’échange de documents électroniques liés à l’échange de matières premières. Le potentiel est énorme dans ce domaine et la Suisse, avec sa législation, dispose de réels atouts.
La Suisse devrait toutefois progresser plus rapidement en matière d’identité digitale et s’assurer qu'il y ait reconnaissance réciproque des identités digitales nationales sur le plan international. Les acteurs économiques suisses ont besoin de cette compatibilité internationale.
Est-ce que ces progrès dans la numérisation vous apportent de nouveaux membres à votre association?
Nous sommes ouverts à cet égard. Nos membres actifs sont des sociétés sous contrôle étranger et au bénéfice d’une autorisation de la part de la FINMA. Le statut d’observateur est ouvert à toute société financière suisse avec une autorisation de la FINMA. Nous avons 83 membres qui satisfont le premier critère et neuf le deuxième critère.
Notre association est ouverte aux sociétés fintech et les start-up à condition qu'elles détiennent une licence FINMA. Mais ce sont souvent des sociétés assujetties à d’autres réglementations et qui visent un autre segment de clientèle ou de marché que les banques. Leurs défis sont différents.
Quel est le vrai grand sujet réglementaire avec l’UE?
C’est l’accès au marché, la possibilité de servir la clientèle européenne à partir de la Suisse. Nous pensons que les places de Londres et de la Suisse ont beaucoup à offrir, notamment les liquidités nécessaires pour s'ériger en partenaire de financement pour les entreprises et les projets d'infrastructures dans l'UE. Ce partenariat pourrait offrir une alternative au financement d'Etat notamment en ce qui concerne les projets d'infrastructure. Pour l’instant, les décisions de l’UE ne vont toutefois pas dans ce sens.
Je constate aussi que le marché commun de la finance ne voit pas le jour et qu’il n’existe presque aucune fusion bancaire intra-européenne, à moins d’être interne à un pays. Qu’il suffise de voir le sort de la tentative d’Unicredit de reprendre Commerzbank.
Quels types de standards réglementaires visez-vous pour la Suisse?
Pour nous, les standards suisses doivent diverger le moins possible des standards internationaux parce que la plupart des banques suisses – étrangères et suisses - sont actives sur le plan international. Quand vous servez un client européen, vous êtes assujettis à la réglementation de domicile de ce client européen.
L'approche de l'autoréglementation adoptée en Suisse une fois de plus dans le domaine ESG est très judicieux. La reconnaissance des standards UE facilite la mise en conformité des établissements actifs sur le plan international. Des standards de base sont à disposition des établissements actifs sur le marché suisse exclusivement. Le processus a été mis en question avec l'initiative de l'Etat de proposer une réglementation contre le greenwashing. Toutefois, des compromis ont pu être trouvés, l'autoréglementation a été adapté pour inclure les objectifs poursuivis par le Conseil fédéral. Voici un exemple qui montre la bonne collaboration entre les autorités et l'économie.
Est-ce que la place suisse gagne du terrain?
La place suisse gère toujours le quart des patrimoines privés internationaux. Elle reste attractive par sa stabilité et sa continuité, ainsi que la force du franc en témoigne. Mais les pressions sont fortes de la part de la concurrence. La Suisse a adopté les sanctions contre la Russie avec les autres pays occidentaux, ce qui l’a placée en situation désavantageuse par rapport à d’autres places, asiatiques et moyen-orientales.
Quels sont vos objectifs pour 2025?
Nous continuerons à faciliter l’interaction entre les membres et à offrir une veille réglementaire. Nous aurons bientôt un échange avec une grande banque suisse sur l’utilisation de l’IA et des «chatbots» dans la banque. Et nous investirons davantage dans la communication externe à l’avenir.
Votre voix se distingue-t-elle de celle de Swissbanking?
Nous nous rendons effectivement compte que notre voix est différente et nouvelle. Elle a été entendue par certains départements du gouvernement mais elle n’a pas du tout été perçue par les médias et la politique. Notre voix complète celle de Swissbanking. Lors de la récente visite de l’ASB à Washington, deux banques étrangères en Suisse y ont participé et ont facilité les relations avec les autorités politiques et l’administration américaine. Le réseau existe et devrait être renforcé à l’avenir. Il en va de même avec d'autres régions du monde. Pour chaque banque étrangère, il s’agit ici de montrer à sa maison-mère la raison et l’importance d’une présence en Suisse.
Notre voix est aussi nouvelle parce qu’elle met l’accent moins sur le private banking, même s’il reste primordial, mais elle souhaite mettre en avant de nouveaux segments de marché comme le fait d’avoir le 2e plus grand acteur du clearing en francs suisses ou le 2e plus grand dans le «post-trading clearing» à la bourse.
Les plus grandes banques dépositaires globales (custodians) sont des établissements étrangers en Suisse. J’ajouterai l’importance des banques étrangères dans le financement d’entreprises. Seules les banques étrangères ont un bilan suffisamment étoffé pour assumer de tels volumes dans des consortiums internationaux.