Les actions de secteurs défensifs offrent désormais moins d’attrait

Yves Hulmann

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Francesco Sedati, gestionnaire chez Eurizon, s’intéresse à nouveau davantage à des valeurs plus cycliques, à même de tirer parti d’une reprise graduelle de la conjoncture.

Alors que le risque de récession figurait au cœur des préoccupations il y a quelques mois encore, beaucoup d’experts n’anticipent désormais plus qu’un simple ralentissement de la conjoncture. Comment se positionner au mieux dans un tel environnement de marché? Entretien avec Francesco Sedati, responsable de la recherche et de la gestion de portefeuille actions chez Eurizon et gérant d’un fonds dédié aux actions européennes.

L’indice européen Euro Stoxx 50 était en hausse de près de 18% sur 12 mois à fin mars, soit sensiblement moins que le S&P 500 (+32%) et nettement moins que le Nasdaq 100 (+45%) aux Etats-Unis ou le Nikkei (+41%) au Japon. Peut-on en conclure que les actions européennes demeurent moins chères et donc plus attrayantes?  

Il faut tenir compte à la fois des perspectives de croissance des bénéfices des entreprises ainsi que des attentes concernant la conjoncture, tout comme ses implications pour l’évolution future de la politique monétaire des banques centrales. En ce qui concerne la situation conjoncturelle actuelle, nous nous trouvons dans une phase de constitution d’un plancher dans le cycle actuel. Il n’est désormais plus question d’un atterrissage en douceur ou «soft landing» - il n’y a plus même d’atterrissage du tout qui est attendu, en particulier en ce qui concerne l’économie américaine. Les attentes concernant la conjoncture sont désormais très différentes de celles d’il y a quelques mois encore. L’économie globale se porte bien mieux que ce qui était redouté. Le cycle conjoncturel global est en train de trouver son plancher et un nouveau cycle est en train de redémarrer. Telle est l’aspect positif pour les marchés.

«Il n’est désormais plus question d’un atterrissage en douceur - il n’y a plus même d’atterrissage du tout qui est attendu.»

Et quel est l’aspect négatif?

Cette embellie conjoncturelle signifie aussi que l’on s’attend désormais à moins de baisses des taux d’intérêt de la part des banques centrales, ce qui offre moins de support pour les marchés des actions. En décembre dernier, beaucoup d’économistes anticipaient encore 6 baisses d’un quart de point des taux directeurs de la Fed, désormais le consensus se situe plutôt autour de 3 baisses seulement. De plus, certains investisseurs redoutent que les banques centrales prennent encore davantage leur temps avant d’annoncer une première baisse des taux. Si ni la Fed, ni la BCE n’annonçaient une première baisse des taux en juin, cela pourrait créer une phase d’incertitude pour les marchés. On voit que la Fed a besoin de justifier toute décision de baisse de taux par des données très solides – malgré tout, cela ne va pas changer l’orientation générale que prendra la politique monétaire ces prochains mois. Quant à la BCE, on peut raisonnablement estimer que les taux actuels sont désormais trop élevés dans la zone euro compte tenu d’une croissance toujours faible et de chiffres de l’inflation qui tendent à reculer en Europe.

L’annonce – surprise – d’une première baisse des taux d’un quart de point par la Banque nationale suisse (BNS) en mars signale-t-elle que le mouvement de baisse des taux est désormais bel et bien déjà lancé sur le Vieux Continent?

Nous pensons qu'il s'agit d'un signe fort que d'autres banques centrales pourraient bientôt suivre. Il est clair que dans le cas de la BNS, il y a aussi des considérations liées au taux de change qui s'est considérablement apprécié.

Si l’on en revient aux aspects relatifs à la valorisation des marchés, peut-on affirmer que les actions européennes sont plus attrayantes actuellement que les actions américaines?

Il y a deux aspects à prendre en compte à ce sujet. D’une part, les niveaux de valorisation des actions européennes sont moins élevés que ceux des actions américaines, même si elles se négocient traditionnellement avec une décote. En moyenne, les grandes capitalisations européennes se négocient aux environs de 13 fois leurs bénéfices, comparées à quelque 20 fois aux Etats-Unis pour le S&P 500. D’autre part, s’agissant des actions américaines, il faut bien distinguer le S&P 500, qui est largement influencé par le poids et la performance réalisée par les «7 magnifiques», et le reste de l’indice. En excluant ces 7 valeurs, le S&P 500 se négocie avec un multiple des bénéfices d’environ 16, soit exactement la moyenne à long terme de l’indice. Au Japon, on peut établir la même distinction entre le Nikkei, plutôt cher, tandis que le Topix affiche des niveaux de valorisation plus modestes. C’est pourquoi, je n’achèterais jamais les actions d’un marché donné uniquement pour des raisons liées à la valorisation moyenne de cet indice. Il est nécessaire de procéder à une analyse plus fine des différents titres au sein d’un marché.

«Les composants de semi-conducteurs sont indispensables à la poursuite des développements en cours dans l’intelligence artificielle (IA).»

Quels secteurs, branches ou profils d’entreprises vous paraissent-ils intéressants actuellement?

Les semi-conducteurs restent une branche d’activité que nous scrutons avec beaucoup d’attention. Les composants de semi-conducteurs sont indispensables à la poursuite des développements en cours dans l’intelligence artificielle (IA), car ce sont les infrastructures sur lesquelles il est possible de construire des hyperscalers et des centres de données. On assiste dans ce domaine à une course très intense entre les Etats-Unis et la Chine, dans un contexte géopolitique relativement tendu. Les Etats-Unis n’entendent pas laisser ce secteur aux mains d’entreprises asiatiques. On le voit par exemple au fait que l’entreprise taïwanaise TSMC a installé de nouveaux sites de fabrication sur sol américain. De même, l’entreprise néerlandaise ASML connaît aujourd'hui une forte croissance, y compris avec des entreprises américaines. Il y a une véritable course technologique autour du secteur des semi-conducteurs et un certain nombre d’entreprises européennes vont aussi pouvoir bénéficier de cette dynamique.

Autre secteur qui nous paraît intéressant à suivre actuellement est celui des banques européennes. Nous apprécions actuellement les valeurs bancaires pour plusieurs raisons: les banques versent des dividendes importants, auxquels s’ajoutent parfois des rachats d’actions. De plus, la crainte que les taux d’intérêt puissent redescendre très vite se sont dissipées au cours des derniers mois. C’est pourquoi beaucoup de banques continueront à tirer parti d'écarts de taux d’intérêt non négligeables pour soutenir leurs revenus, et aucun cycle de crédit n'est en vue.

La consommation discrétionnaire est aussi un secteur qui nous paraît intéressant actuellement. En 2022 et 2023, beaucoup de consommateurs étaient en quelque sorte coincés entre une inflation en hausse et des salaires qui ne parvenaient pas à suivre. Maintenant, l’inflation est en baisse. Dès lors, les salaires en termes réels augmentent dans de nombreux secteurs et beaucoup de consommateurs bénéficient indirectement d’une hausse graduelle de leur pouvoir d’achat. De plus, la situation de l’emploi reste globalement favorable: on est pratiquement dans une situation de plein-emploi aux Etats-Unis. Et même en Europe, le taux de sans-emploi reste historiquement très bas.

Les importants écarts observés entre différentes économies en Europe ne créent-ils pas une situation insoluble pour trouver le bon équilibre sur le plan de la politique monétaire?

Bien sûr, les écarts sont importants. L’Allemagne connaît une phase difficile sur le plan conjoncturel, alors que l’économie espagnole est en bien meilleure forme que par le passé. L’industrie allemande a souffert de coûts plus élevés de l’énergie qu’avant la pandémie et le début de la guerre en Ukraine. De plus, la faiblesse de la demande en Chine réduit les débouchés pour beaucoup d’entreprises en Allemagne. Malgré tout, le taux de chômage demeure historiquement bas en Allemagne et le gouvernement semble sur le point de lancer des programmes d’investissement dans certains domaines.

Vous favorisez donc davantage des entreprises qui seront en mesure de tirer parti de la reprise de la conjoncture en Europe?

Dans l’ensemble, nous pensons qu’il est moins nécessaire de miser sur des entreprises issues de secteurs défensifs qu’il y a quelques mois. Nous nous intéressons à nouveau davantage à des valeurs plus cycliques, davantage en mesure de tirer parti d’une reprise graduelle de la conjoncture.

Vous n’achèteriez alors pas d’actions issues du secteur de la consommation?

Au début de la crise, les entreprises du secteur de la consommation de base ont bénéficié d’une position forte en termes de capacité de fixation des prix lorsque l’inflation a augmenté. Depuis, ces entreprises ont connu une baisse des volumes. C’est pourquoi nous n'investissons pas actuellement dans ces sociétés, même si leur caractère défensif offre aussi une protection en cas de correction sur les marchés.  

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