Le potentiel d’une reprise rapide est plus grand qu’en 2009

Yves Hulmann

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Pour Christophe Braun de Capital Group, les investisseurs doivent toutefois renoncer à l’idée que le versement de dividendes est garanti.

L’épidémie de coronavirus oblige à analyser les entreprises au cas par cas. Les sociétés flexibles et capables de s’adapter disposeront des meilleures cartes au sortir de la crise, estime Christophe Braun, directeur d’investissements chez Capital Group.

A l’approche du nouveau semestre, comment analysez-vous le contraste entre, d’un côté, le net rebond des marchés financiers observé durant le deuxième trimestre et, de l’autre, les perspectives toujours très incertaines quant à l’ampleur de la reprise économique attendue pour la seconde moitié de l’année?

Il est important d’analyser correctement la crise survenue ces derniers mois et le rebond qui a suivi. Globalement, on pourrait répartir l’évolution survenue sur les marchés depuis le début de cette année en quatre phases. La première est celle de la panique qui a eu lieu entre fin février et mi-mars, lorsqu’on s’est rendu compte qu’un virus inconnu était en train de se répandre à travers la planète. La deuxième phase pourrait être décrite comme celle du soulagement, ou «relief» en anglais. Celle-ci s’est mise en place durant le deuxième trimestre. Les investisseurs ont alors commencé à se demander s’il n’y avait pas une déconnexion entre, d’un côté, la réalité et, de l’autre, l’ampleur de la correction des marchés financiers survenue entre fin février et mi-mars. Ensuite, les interventions des banques centrales, qui ont été à la fois beaucoup plus marquées, rapides et coordonnées que lors de la crise financière globale, ont soutenu le mouvement de reprise. C’est une différence essentielle par rapport aux années 2008 et 2009. Autre différence clé: il y a dix ans, on ne savait pas si certaines banques allaient encore exister le lendemain – en 2020, ce n’est pas du tout le sujet du moment.

«On observe une transformation massive des habitudes à la fois dans
la manière de vivre et de travailler, ce qui entraînera des gagnants et des perdants.»
Qu’en est-il de la troisième phase?

La phase que l’on vit maintenant pourrait être décrite comme celle du retour à la réalité – ou «reality sets in», comme on le dit en anglais. Et c’est justement là que notre travail commence en tant que gérant. Notre tâche est de parvenir à identifier qui sont les vainqueurs et qui sont les perdants des grandes transformations en cours, notamment en ce qui concerne les changements liés à numérisation et la dématérialisation de nombreuses activités. La quarantaine mise en place au plus fort de la crise du coronavirus a aussi permis aux entreprises et aux particuliers de découvrir de nombreux avantages offerts par la numérisation dans divers domaines. Au lieu d’être constamment en déplacement, je peux passer davantage de temps avec ma famille tout en travaillant. Aujourd’hui, même si un dé-confinement a été progressivement mis en place par la plupart des pays en Europe, on voit qu’un grand nombre d’employés continuent à pratiquer le télétravail plusieurs jours par semaine, pour ne citer qu’un exemple. On observe donc une transformation massive des habitudes à la fois dans la manière de vivre et de travailler, ce qui entraînera à la fois des gagnants et des perdants.

Les entreprises qui avaient très tôt pris conscience de cette dimension s’en sortiront le mieux à l’issue de la crise. Dans ce contexte de transformation, les vainqueurs d’avant la crise ressortiront souvent encore plus comme les gagnants au sortir de la crise. Netflix compte aujourd’hui encore plus d’abonnés qu’en début d’année. Amazon traite de plus grands volumes de commandes. Le groupe ne vend aujourd’hui bien sûr plus seulement des livres mais il offre aussi des services dans l’informatique en nuage («cloud») et il s’est diversifié dans l’alimentation en rachetant Whole Foods Market. Microsoft profite de ses applications de travail à distance. Parmi les gagnants, il y a de nombreuses entreprises multisectorielles. Si cette crise a montré quelque chose, c’est qu’il faut rester flexible et savoir s’adapter. On voit aussi que beaucoup de leaders mondiaux actuels sont nés au sortir de périodes de crises: c’est le cas de Facebook en 2004, d’Uber en 2009 ou encore de Zoom, créé en 2011, dont tout le monde parle aujourd’hui.

«Les conséquences réelles de la crise se matérialiseront réellement
dans l’économie seulement au cours des 8 à 10 prochains mois.»
Et quelle sera la quatrième phase?

Après le ouf de soulagement qui a immédiatement suivi le confinement, la question qui se posera, lors de la quatrième phase, est de savoir si la reprise sera durable ou non. Le reste de l’année 2020 continuera d’être marqué par d’importantes difficultés. Les conséquences réelles de la crise se matérialiseront réellement dans l’économie seulement au cours des 8 à 10 prochains mois. S’il ne faut pas attendre grand-chose du troisième trimestre, c’est au quatrième trimestre que l’on pourra voir si l’économie est capable ou non de repartir sur une base durable. En tant qu’investisseur, je suis néanmoins davantage positif qu’en 2008 ou 2009 quant au potentiel d’une reprise rapide de l’économie.

Les taux des emprunts d’Etat à 10 ans aux Etats-Unis remontent un peu. Que nous signale l’évolution actuelle des taux à long terme?

Il est très difficile de formuler un quelconque pronostic à ce sujet. Le point essentiel que l’on peut observer est que la Réserve fédérale américaine ne semble vouloir prendre absolument aucune mesure qui puisse mettre en péril la reprise. C’est ce que Jerome Powell a signalé récemment avec sa phrase: «We are not even thinking about thinking about raising rates». Du reste, même lorsque l’économie tournait à haut régime en 2019 aux Etats-Unis, on a vu que la Fed n’a pas beaucoup remonté les taux, du moins en comparaison des cycles précédents. Dès lors, la Fed va absolument tout faire pour éviter que l’on retombe dans la phase I que j’ai évoquée auparavant. La Réserve fédérale ne souhaite surtout pas déstabiliser les marchés, ce qui enverrait un signal très négatif aux entreprises. Et elle n’a pas non plus envie d’aller dans la même direction que la Banque du Japon ou la BNS, qui évoluent dans des pays où les taux sont négatifs.

«Avant, on pouvait croire que le versement de dividendes était quasiment
garanti - maintenant, on réalise que c’est seulement une promesse.»
S’agissant des marchés des actions, on entend souvent dire qu’«il n’y a pas d’alternative» et qu’il vaut mieux investir dans des valeurs solides offrant des dividendes réguliers plutôt que dans les obligations. Ce raisonnement est-il encore valable aujourd’hui, alors que les versements de dividendes au titre de l’exercice 2020 semblent de plus en plus compromis?

Il y a effectivement, surtout en Europe, une forte pression à la fois sociale et politique, sur les sociétés pour qu’elles renoncent à verser des dividendes à leurs actionnaires cette année ou l’an prochain. Et cela a été encore renforcé par le fait que les administrateurs de certaines entreprises n’ont pas pu se réunir ces derniers mois. On a vu aussi qu’une entreprise comme Royal Dutch Shell a réduit son dividende de 66% cette année. C’est la première fois que l’entreprise procède à une réduction de dividendes aussi marquée depuis la Seconde Guerre mondiale! Cela dit, il y aura toujours des entreprises solides qui pourront se permettre de verser des dividendes à leurs actionnaires. En revanche, ce ne sera toutefois plus le cas pour l’ensemble du marché comme on avait pu s’y habituer un peu trop facilement pendant dix ans de marché haussier. C’est aussi un aspect qui obligera les investisseurs à être beaucoup plus sélectifs dans le choix de leurs investissements. Avant, on pouvait croire que le versement de dividendes était quasiment garanti - maintenant, on réalise que c’est seulement une promesse. C’est pourquoi, une approche de sélection allant du bas vers le haut, ou «bottom up» est plus importante que jamais. Dans l’ensemble, les entreprises qui versent des dividendes restent une importante source de revenus pour les investisseurs: le rendement des actions mondiales figurant dans l’indice élargi MSCI ACWI atteint actuellement 2,3%, comparé à seulement 0,7% pour le rendement du bon du Trésor américain à 10 ans.

Capital Group est une société américaine présente de longue date en Suisse. Quel est votre avis sur le potentiel des actions européennes, jugées comme étant moins chères, par rapport aux titres américains?

Ici aussi, une approche de type «bottom up» reste, à mon avis, plus appropriée que d’acheter l’ensemble du marché dans une région ou une autre. Il y aura des gagnants aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. Des deux côtés de l’Atlantique, il y a des entreprises qui sont suffisamment disruptives pour parvenir à gagner des parts de marché ou pour développer de nouveaux segments d’affaires.

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