Le meilleur conjoncturiste de Suisse livre ses prévisions

Yves Hulmann

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Marc Brütsch, chef économiste de Swiss Life AM, anticipe un ralentissement de la dynamique de croissance mondiale.

 

Tout comme en 2015, Swiss Life Asset Managers, l’unité de gestion d’actifs du groupe d’assurance helvétique, a remporté pour l’année 2017 le prix du meilleur pronostic concernant le produit intérieur brut (PIB) et l’inflation en Suisse (ou «Forecast Accuracy Award Swizterland») début mai. Marc Brütsch, chef économiste, explique sa manière de travailler et livre ses prévisions pour le reste de l’année.

Pour la deuxième fois, Swiss Life Asset Managers a remporté en 2017 le «Forecast Accuracy Award Switzerland» pour ses prévisions concernant le PIB et l’inflation. En quoi se différencie votre approche de recherche de celle pratiquée par d’autres établissements financiers ou instituts de recherche?

Il m’est difficile de savoir comment les autres instituts travaillent. En ce qui nous concerne, nous travaillons avec une petite équipe et des ressources limitées. Nous n’utilisons pas de gigantesques modèles macro-économétriques comme le font certains centres de recherche conjoncturels. Chez Swiss Life, nous misons sur une approche plus qualitative. Nous accordons une grande importance à certains aspects comme la croissance potentielle de l’économie.

«Notre approche est moins influencée par des valeurs extrêmes
que certains modèles purement statistiques.»
Si l’on prend le cas des pronostics pour 2017, qu’est-ce qui vous a permis d’être aussi précis dans vos prévisions?

Au début de 2016, nous anticipions une croissance de seulement 1% pour l’exercice 2017, comparé à un pronostic de 1,7% du côté du consensus pour la même année. Au final, la croissance du PIB helvétique s’est établie à 1,1% en 2017. Après la décision de la BNS d’abandonner le taux plancher début 2015, nous ne nous attendions pas à la survenance d’une récession en raison de la force du franc mais anticipions un long passage à vide. C’est finalement ce qui s’est passé. Quant à savoir pourquoi avons-nous pu être juste dans nos prévisions, il n’y a pas une seule raison. Mon hypothèse est que notre approche est moins influencée par des valeurs extrêmes que certains modèles purement statistiques. Mais l’avenir nous dira si nos prévisions s’avéreront toujours aussi précises.

N’est-ce pas aussi parce que vous avez eu une approche plus prudente que les autres de manière générale? Quand la croissance reste faible, comme cela a été le cas en 2016 et en 2017 en Suisse, vous avez été ainsi chaque fois plus près de la vérité que les autres. Êtes-vous plus prudent par nature que les autres économistes?

Non, si vous attribuez ces résultats à une sorte prudence de caractère, c’est tout le contraire (rires)! Mes collègues ont toujours souligné que j’avais toujours un message très positif à faire passer. Un autre aspect a peut-être contribué à la qualité de nos prévisions: au sein de notre équipe chez Swiss Life, nous ne cherchons pas à diffuser des messages extrêmes, comme le font parfois des économistes «star» à la façon de Nouriel Roubini, par exemple. Nous ne recherchons pas la visibilité à tout prix. L’important est que nous parvenions à établir une analyse correcte de la situation et à formuler des pronostics précis utiles pour d’autres preneurs de décision au sein de notre société.

«Les pronostics ont une influence sur les décisions
de placement qui sont ensuite prises.»
Quel est l’impact de vos pronostics au sein d’un assureur comme Swiss Life?

Il faut distinguer entre deux types d’activités. D’une part, celles qui sont liées à la gestion du bilan qui sont régulées – notamment via les règles définies dans le cas du Swiss Solvency Test (SST). Dans ce domaine, les pronostics ou les attentes en matière conjoncturelle n’ont que très peu d’influence sur la prise de décisions. D’autre part, il y a les activités liées aux caisses de pension ou à la gestion de fonds. Dans ces domaines, les pronostics ont une influence sur les décisions de placement qui sont ensuite prises, sur l’allocation d’actifs, la répartition de la part en actions et obligations, etc.

Si Swiss Life est généralement plus prudent que le consensus en ce qui concerne les prévisions de croissance du PIB, votre prévision d’inflation pour 2018 est en revanche un peu plus élevée pour la Suisse (avec 1%, contre 0,8%). Pourquoi?

C’est clairement en raison de la faiblesse du franc, en particulier vis-à-vis de l’euro. S’y ajoute la hausse des prix du pétrole qui se répercute déjà sur le prix de l’huile de chauffage par exemple.

Combiné avec un taux de chômage en recul, cela pourrait-il entraîner une accélération de l’inflation au-delà de 1% ces prochaines années?

Non, je ne m’attends pas à une telle accélération car plusieurs facteurs fondamentaux vont continuer à exercer une pression à la baisse sur l’inflation. On peut citer la globalisation, la technologie, la régulation.

«La BNS n’a aucune raison
de relever prématurément ses taux.»
Avec une hausse des prix proche de 1% cette année et l’an prochain, la BNS pourra-t-elle maintenir sa politique des taux négatifs?

Je ne pense pas que la BNS décide de mettre fin prochainement à sa politique des taux négatifs pour cette raison. La tâche principale de la BNS est d’assurer la stabilité des prix, à savoir qu’ils évoluent dans une fourchette comprise entre 0 et 2%. Une hausse annuelle des prix de 1% correspond tout à fait à cet objectif. La BNS ne regarde pas seulement l’évolution des prix mais elle est surtout attentive à ce que la BCE fait. Au sujet des taux, la BCE ne va certainement pas intervenir avant la mi-2019. Dans une première phase, la BCE mettra fin à son programme de rachat d’obligations. C’est seulement dans une seconde phase, en deuxième moitié de 2019, qu’elle pourrait relever ses taux. Dans ce contexte, la BNS n’a aucune raison de relever prématurément ses taux – ou de rendre ses taux moins négatifs le cas échéant –, car elle ne veut surtout pas encourir le risque de mettre en danger la reprise économique en cours.

En Suisse, la hausse plus forte qu’attendue du taux de chômage en avril (2,7%) récemment publiée vous a-t-elle surpris et qu’anticipez-vous pour la suite?

Une part importante de ce recul s’explique par un changement de l’approche statistique utilisée dans le canton de Zurich. Auparavant, on distinguait plus clairement entre les sans-emplois et les personnes en recherche d’emplois. Désormais, ces derniers ne sont plus enregistrés dans les statistiques de la même manière, ce qui a induit une forte baisse du taux de chômage tel qu’il est comptabilisé en avril. Il est passé d’un coup de 3,6% à 2,7%. Compte tenu du poids du canton de Zurich en Suisse, cela a eu un fort impact sur l’ensemble du taux de chômage helvétique. Mais c’est une baisse plus statistique que réelle.

«Le comportement de la BCE est un facteur d’incertitude
important pour les prévisions en Suisse.»
Dans l’établissement de vos prévisions, comment appréhendez-vous certains facteurs d’incertitude? Quels sont ceux qui vous posent le plus de problèmes actuellement?

Il y en a de multiples. Actuellement, le comportement de la BCE est aussi un facteur d’incertitude important pour les prévisions en Suisse. S’y ajoute aussi bien sûr les facteurs d’ordre géopolitique, comme les incertitudes liées à la formation d’un nouveau gouvernement en Italie ou les tensions entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et leurs alliés respectifs.

Un autre facteur d’incertitude concerne l’évolution des devises. Qu’attendez-vous sur ce plan, notamment au sujet du dollar?

Concernant le dollar, je pense qu’on observe un retour vers plus de normalité. Jusqu’à l’an dernier, tout le monde se demandait pourquoi le billet vert ne se renforçait pas quand la Fed remontait ses taux. Le dollar est ainsi resté très faible vis-à-vis de l’euro qui se renforçait. Maintenant, on peut à nouveau davantage expliquer l’évolution du dollar grâce au différentiel de taux d’intérêt. S’agissant du franc suisse, la monnaie helvétique est à mon avis correctement évaluée à la fois vis-à-vis de l’euro et du dollar.

Pour 2018, Swiss Life anticipe un «ralentissement de la dynamique de croissance» de l’économie mondiale. Pourquoi?

Dans le cycle conjoncturel actuel, je pense que la meilleure période est déjà derrière nous. Depuis 2016, nous avons assisté à une croissance synchronisée de l’économie mondiale dans un contexte de faible inflation. A partir de maintenant, la croissance tend à ralentir alors que l’inflation augmente graduellement. La hausse de l’inflation a à la fois un impact positif – les salaires augmentent – mais aussi négatif – les marges des entreprises se rétrécissent en raison de coûts d’achat plus élevés. Nous sommes déjà dans une phase avancée du cycle conjoncturel actuel et cela conduira à davantage de volatilité. Mais ne me demandez pas quand surviendra la prochaine récession, car personne ne peut en prédire le timing exact.