Que faut-il attendre en matière de taux et pour les marchés durant la seconde moitié de l’année? Le point avec Thomas Stucki, Chief Investment Officer (CIO) de la Banque cantonale de Saint-Gall (SGKB).
Anticipez-vous une nouvelle baisse de taux d’un quart de point (0,25%) de la part de la Banque nationale suisse (BNS) en septembre déjà, ou seulement ultérieurement?
La BNS va réagir à la baisse des taux attendue de la part de la Banque centrale européenne (BCE) et va ainsi abaisser son taux directeur encore une fois en septembre. Avec un taux de 1%, la BNS aura atteint ce qu’elle considère comme le taux neutre. Le seuil d’inhibition pour abaisser encore une nouvelle fois son taux directeur va ensuite devenir plus important. C’est pourquoi, je pars du principe que cette baisse des taux sera la dernière du côté de la BNS, du moins aussi longtemps que le franc demeure plus ou moins sous contrôle.
«A la mi-juin, nous nous étions déjà demandé si la correction des actions de l’indice CAC 40 n’était pas exagérée et si cela n’offrait pas des opportunités d’entrée intéressantes.»
En ce qui concerne justement l’évolution du cours du franc, la monnaie helvétique a d’abord constamment perdu du terrain face à la devise européenne en début d’année 2024. Le franc s’est même déprécié à plus de 0,99 franc par euro fin mai, avant de redescendre à moins de 0,95 franc par euro à la mi-juin, pour évoluer ensuite aux environs de 0,96 franc par euro fin juillet. Qu’anticipez-vous pour le cours euro/franc au cours de ces prochains mois?
Durant la première moitié de l’année, l’affaiblissement du franc par rapport à l’euro a certainement plutôt arrangé la BNS à un moment où une partie de l’économie s’inquiétait de la faiblesse des exportations helvétique à la suite du renforcement du franc jusqu’à fin 2023. C’est pourquoi, la tendance à l’affaiblissement du franc par rapport à l’euro a pu se poursuivre sans obstacle jusqu’à fin mai.
Fin mai, l’annonce d’une dégradation de la notation de la dette française, suivie par les résultats des élections européennes, qui ont ensuite été à l’origine de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin, ont complètement inversé la tendance. Beaucoup d’investisseurs ont alors été pris par surprise. Soudainement, la France apparaissait comme le «Sorgenkind», l’enfant qui cause des soucis à la zone euro, ce qui a replacé les projecteurs sur la question de l’endettement. En dépit de l’incertitude qui persiste toujours sur la formation d’un nouveau gouvernement en France, je dirais que le marché a malgré tout réussi à trouver un nouvel équilibre. Je ne m’attends ainsi ni à un retour à la parité euro-franc (1 euro égal 1 franc), ni à une nouvelle appréciation de la monnaie helvétique à son niveau de début janvier, lorsque le franc s’échangait à moins de 0,93 franc par euro.
Si l’on observe l’évolution récente du côté des marchés des actions, il est frappant d’observer, en ce qui concerne l’Europe, que la performance de l’indice CAC 40 en France est redevenue légèrement négative fin juillet, contrastant avec la bonne performance affichée par les actions suisses du SMI, en hausse de près de 10% à fin juillet, tout comme cela était le cas pour les valeurs du DAX allemand. Comment expliquer la faible performance comparative des actions du CAC 40 et offre-t-elle des opportunités de rebond en seconde moitié d’année?
Il est évidemment toujours difficile de formuler un pronostic quant à l’évolution des marchés. Toutefois, à la mi-juin, nous nous étions déjà demandé si la correction des actions de l’indice CAC 40 n’était pas exagérée et si cela n’offrait pas des opportunités d’entrée intéressantes. Pour les investisseurs disposés à prendre des risques, c’est une option qu’il vaut la peine d’évaluer. Une large partie des grandes capitalisations françaises sont des entreprises internationales qui ne réalisent qu’une faible partie de leur chiffre d’affaires en France et qui dépendent finalement assez peu du marché français, ni même européen dans certains cas.
«Même s’il y avait une correction des titres des entreprises les plus associées à la thématique de l’intelligence artificielle (IA), cela n’entraînerait pas forcément l’ensemble des marchés à la baisse.»
L’autre sujet incontournable du moment est la hausse phénoménale des valeurs technologiques américaines en première moitié d’année, avec l’indice Nasdaq 100 qui affichait une hausse de plus de 24% au début du mois de juillet. Certes, le Nasdaq 100 a, depuis, reperdu une partie de ses gains en deuxième moitié du mois mais il affichait fin juillet encore une hausse de plus de 15%. Le moment est-il venu de prendre ses bénéfices ou faut-il espérer un rebond en deuxième moitié d’année?
La dynamique du marché des valeurs technologiques en première moitié a été soutenue par le fait que beaucoup d’investisseurs avaient l’impression qu’il fallait être de la partie. Même si l’action Nvidia apparaissait déjà chère en termes de valorisation, il était difficile pour un gérant d’expliquer pourquoi un tel titre ne figurait pas dans le portefeuille de ses clients. Peu de gérants pouvaient se permettre de ne pas détenir des actions technologiques telles que Nvidia ou Microsoft ! Dans ce type de situations, il faut toutefois être conscient du fait que quand le vent commence à tourner, les choses peuvent aller très vite également dans l’autre sens. Les actions telles que Nvidia ou d’autres qui figurent parmi les 7 Magnifiques sont définivement trop chères en termes de valorisations.
Faut-il craindre une répétition de la bulle des «dotcoms»?
Non, je ne crains pas un scénario de type éclatement de la bulle des «dotcoms» 2.0. Des entreprises telles que Nvidia ou Microsoft disposent aujourd’hui d’une base beaucoup plus solide que les valeurs Internet au tournant du Millénaire. Même s’il y avait une correction des titres des entreprises les plus associées à la thématique de l’intelligence artificielle (IA), cela n’entraînerait pas forcément l’ensemble des marchés à la baisse. Néanmoins, comme souvent, les investisseurs qui ont été les derniers à vouloir prendre train en marche se sont exposés à des risques importants en cas de correction.
Comment expliquez-vous la bonne performance des actions suisses cette année, qui n’étaient pourtant pas le pari favori lors de la présentation des perspectives à fin 2023?
Les actions suisses ont été longtemps quelque peu négligées par certains investisseurs, qui identifiaient un plus grand potentiel dans d’autres indices ou d’autres thèmes. En incluant les dividendes, les valeurs du SMI offrent un rendement total de l’ordre de plus de 12% depuis le début de cette année. Ce n’est pas négligeable, d'autant plus pour les investisseurs basés en Suisse qui ne sont ainsi pas exposés aux variations de change. Parmi les poids lourds de la cote, Roche est sur une tendance haussière, porté notamment par des annonces en lien avec les traitements contre l’obésité. Nestlé connaît certes un passage à vide mais le titre de la multinationale agroalimentaire reste une valeur défensive qui pourrait être à nouveau recherchée par les investisseurs si ceux-ci privilégient à nouveau davantage de sécurité. Novartis évolue aussi avec une dynamique positive. Dans l’ensemble, le marché suisse compte parmi les plus attrayants cette année en Europe.
Quel premier bilan tirez-vous de la saison des résultats à fin juin (1er semestre) déjà publiés par les entreprises helvétiques? Avez-vous été supris positivement, négativement?
Il est frappant de voir à quel point les cours des actions ont réagi aux chiffres des entreprises, dans le sens négatif comme dans le sens positif. Dans l'ensemble, cela a confirmé mon impression. Les entreprises des secteurs non sensibles à la conjoncture, comme la pharmacie, ont fourni de bons chiffres. Les entreprises à cycle précoce, par exemple dans le secteur des semi-conducteurs, ont également surpris positivement. Les entreprises industrielles classiques continuent en revanche d’avoir de la peine. La baisse des carnets de commandes montre que la reprise conjoncturelle, à laquelle de nombreux analystes s'attendaient pour le second semestre, va arriver plus tard.