Selon Thomas Stucki, CIO auprès de la SGKB, la banque nationale doit tenir compte non seulement de l’inflation mais aussi d’un calendrier restreint pour agir.
Cette semaine sera chargée en matière d’annonces de politique monétaire. Après que la Banque centrale européenne (BCE) a relevé ses taux de 75 points de base (0,75%) début septembre, la Réserve fédérale américaine (Fed) pourrait procéder cette semaine à un nouveau tour de vis de même ampleur lors de ses réunions de mardi et de mercredi. En Suisse, la BNS communiquera sa décision de politique monétaire ce jeudi. Faut-il s’attendre à un relèvement des taux de 50 points de base, de 75 points de base – voire davantage? C’est la question que se posent de nombreux économistes en vue de la présentation jeudi par la Banque nationale suisse (BNS) de son examen de la situation économique et monétaire. Plus généralement, que faut-il attendre en matière d’inflation et concernant l’évolution de la politique monétaire au cours des prochains mois? Le point avec Thomas Stucki, Chief Investment Officer (CIO) de la Banque cantonale de St-Gall (SGKB), et qui a aussi été précédemment directeur de l’Asset Management auprès de la BNS.
Il faut toujours distinguer entre l’inflation générale («headline inflation») et l’inflation sous-jacente («core inflation»). En ce qui concerne l’inflation générale, celle-ci est très influencée par l’évolution à court terme de facteurs tels que les prix de l’essence ou des billets d’avions qui ont souvent un lien étroit avec les variations des coûts de l’énergie et des transports. S’agissant de l’Europe plus spécifiquement, un facteur est encore récemment venu accentuer le renchérissement suite à la fin des mesures mises en place afin de plafonner les prix l’énergie. A l’inverse, l’effet de base va, lui, peu à peu contribuer à réduire l’inflation nominale exprimée en comparaison annuelle. Voilà pour l’aspect positif.
L’inflation sous-jacente est au centre de l’attention des banques centrales en ce moment. Car, c’est à ce niveau que la pression augmente et c’est ce qui est dangereux dans la situation actuelle. En effet, c’est quand l’inflation commence à se diffuser dans tous les domaines qu’il faut être particulièrement attentif. Pour l’anecdote, j’ai entendu parler d’une entreprise qui a décidé récemment de réactiver une clause d’indexation de ses prix – une sorte de relique des années 1970 qui figurait encore dans ses contrats et qui n’avait plus été utilisée depuis cette époque. Au-delà de ce cas particulier, on observe qu’il y a désormais des entreprises qui augmentent pro-activement leurs prix pour ces prochains mois – aussi car elles s’attendent à ce qu’elles doivent augmenter les salaires de leurs employés. Si cette tendance devait se généraliser dans tous les secteurs, on entrerait alors dans une spirale inflationniste prix-salaires classique. Je ne pense pas que l’on se trouve déjà dans cette situation mais il faut y être attentif.
Si l’économie ralentit, cela exercera certainement une pression à la baisse sur les prix du pétrole et de diverses matières premières, allant du cuivre au bois. Les pays membres de l’Opep ont même déjà commencé à discuter d’une réduction des quantités de pétrole extraites.
La situation est différente sur ce plan: ce n’est que quand il y aura à nouveau suffisamment de personnel disponible dans différents domaines que la pression sur les salaires diminuera. Et on ne voit pas tellement les choses aller dans ce sens. Beaucoup de secteurs manquent toujours de personnel qualifié et un grand nombre de personnes actives vont quitter le marché du travail ces prochaines années.
Deux trimestres de croissance négative au cours de l’hiver sont certainement un scénario possible. Mais je m’attends plutôt à ce que l’économie se rétablisse ensuite relativement vite. Un facteur susceptible de contribuer à une reprise de la conjoncture en 2023 est que les banques centrales vont pouvoir cesser leur politique de resserrement des taux comme elles sont obligées de le faire actuellement.
En comparaison internationale, l’inflation demeure certes relativement basse en Suisse – néanmoins, la dynamique de progression a suivi le même chemin qu’ailleurs. Par ailleurs, la Réserve fédérale américaine détermine la direction que prennent les taux directeurs dans le monde. Dès lors, à supposer que la Fed cesse de relever ses taux l’an prochain, voire recommence déjà à les baisser, la BNS ne pourrait pas continuer à augmenter ses taux comme si de rien n’était. C’est pourquoi la BNS ne dispose que d’une fenêtre relativement courte pour relever ses taux – cette fenêtre s’étendra jusqu’à l’été 2023, tout au plus peut-être jusqu’à l’automne 2023. Les chances que la BNS augmente jeudi ses taux directeurs de 75 points de base – et non pas seulement de 50 points – ne sont ainsi pas du tout négligeables. Et cela d’autant plus que la hausse de 75 points de base communiquée début septembre par la Banque centrale européenne (BCE) augmenterait le degré d’acceptation d’un relèvement de 0,75% en Suisse aussi.
D’ici à l’été 2023, les taux directeurs seront certainement portés à une fourchette comprise entre 1,5 et 1,75%. Mais pour y parvenir, la BNS devra justement agir relativement vite.
La BCE va probablement rehausser ses taux jusqu’aux environs de 3%, soit moins que du côté de la Fed aux Etats-Unis, où ce niveau pourrait atteindre 4% ou davantage (ndlr: les taux directeurs sont situés entre 2,25 et 2,50% actuellement aux Etats-Unis). La BCE restera un peu plus prudente car il y a encore de très nombreuses incertitudes concernant la situation en Europe, notamment à cause de la guerre en Ukraine.