Le COVID précipite la transformation du secteur horloger

Stéphane Gachet

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Selon Karine Szegedi de Deloitte, les tendances longues apparaissent galopantes cette année. Mais le potentiel de croissance demeure.

Deloitte n’avait pas publié d’étude sur le secteur horloger depuis 2017. Et visiblement les choses ont bien changé: certaines grandes thématiques d’alors ont disparu, d’autres ont pris une place prépondérante. Eclairage avec les auteurs de l'étude 2020, Karine Szegedi, Consumer industry and Fashion & Luxury lead, et Jules Boudrand, Watch industry lead. 

La montre de seconde main est en plein essor. Pour quelle raison?

Karine Szegedi: Une personne interrogée sur cinq déclare être susceptible d'acheter une montre de luxe de seconde main au cours de l'année à venir. Le développement de la vente de montres d’occasion témoigne de l’évolution rapide de l’industrie horlogère: la question est devenue centrale alors qu’elle était encore marginale il y a quelques années et n’apparaissait pas dans notre étude précédente, publiée en 2017.

Comment la montre d’occasion peut-elle soutenir le marché du neuf?

Jules Boudrand: Le marché de seconde main était très éclaté, il est aujourd’hui beaucoup plus structuré et transparent, avec des produits certifiés, révisés, garantis. Et cela pourrait soutenir le marché du neuf, de la même manière que les reprises de véhicules dans l’automobile. La montre d’occasion certifiée (Certified pre-owned) est aussi une très bonne manière de tester la capacité d’une marque à retenir la valeur de ses produits – voire à en créer. Et la valeur est devenu un critère décisif de décision d’achat.

La crise a encore creusé l’écart entre les leaders et les autres. Pourquoi?

KS: L’évolution de la montre d’occasion n’est que l’un des nombreux paramètres de la transformation en cours. Mais il apparait central à plus d’un égard. En premier lieu, le second marché est un miroir de la concentration toujours plus forte de la demande sur un petit nombre de grandes marques et sur quelques artisans de niche. Une tendance que le COVID a encore exacerbé. Pendant la crise, la clientèle s’est surtout reportée sur  les marques les mieux établies.

La stratégie «Consumer first» gagne, dites-vous. En quoi est-ce nouveau?

KS: Le développement de la montre d’occasion – de plus en plus souvent gérée en direct par les marques – illustre la volonté des fabricants de se rapprocher de leur clients finaux sur le mode «Consumer first». Une avancée plus stratégique et plus fondamentale qu’il n’en paraît pour une industrie qui était encore récemment focalisée sur l’approche sell-in, où les marques ne dialoguaient qu’avec leurs partenaires commerciaux, intermédiaires et détaillants. L’un des effets visibles de cette tendance est aussi la concentration des collections sur les modèles les plus porteurs et la multiplication des éditions limitées.

En Suisse, l’entrée de gamme souffre depuis une bonne dizaine d’année. La crise sanitaire a-t-elle achevé ce segment?

JB: D’autres paramètres entrent en jeu, se couplent à la crise sanitaire et accélèrent la transformation de l’industrie. Il s’agit parfois de tendances longues, comme le déclin de la montre d’entrée de gamme en Suisse. Le segment des montres à moins de 500 francs voit ses volumes chuter depuis près de dix ans. Le recul s’est largement accéléré avec l’apparition de la montre connectée grand public et 2020 marque une apogée de ce long martyre. L’entrée de gamme souffrait déjà et souffre encore d’avantage dans le contexte actuel, car sur ce segment, la clientèle répond à l’incertitude en économisant, contrairement à la clientèle discrétionnaire du haut de gamme.

Reste-t-il du potentiel de croissance?

KS: Le tableau final demeure néanmoins positif. Le potentiel de croissance existe encore et les grandes marques vont profiter de la crise. Le secteur peut d’ailleurs toujours compter sur son moteur principal: la clientèle chinoise. La crise actuelle démontre aussi que le secteur conserve toute sa capacité d’adaptation. Pour preuve le shift quasiment instantané vers le digital dès le début du choc sanitaire: les salons se sont produits en ligne, les CEO ont mené leurs lancements en direct et en ligne.

L’horlogerie survivra-t-elle au COVID?

JB: L’horlogerie a toujours été cyclique. Mais elle a toujours réussi à se relever.

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