Le besoin de protection plaide en faveur des emprunts convertibles

Yves Hulmann

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Le volume d’émission des obligations convertibles s'oriente vers un record. Ute Heyward, gérante chez Fisch AM, en explique les raisons.

Les obligations convertibles s’acheminent vers une année record en termes d’émission de nouveaux emprunts. Entre janvier et juillet, les nouveaux emprunts émis ont atteint le plus haut niveau observé depuis 2008. Basé à Zurich, Fisch Asset Management est un gérant d’actifs spécialisé dans ce domaine depuis presque un quart de siècle. A la mi-juillet, la société a lancé un nouveau fonds, qui se caractérise par un très large spectre d’investissement et qui vise à profiter des opportunités offertes par l’ensemble de l’univers des obligations convertibles. Avec ce nouveau fonds, la société veut atteindre avant tout les investisseurs en actions qui souhaitent avoir un peu plus de sécurité sans toutefois devoir renoncer à des opportunités de rendement. Ute Heyward, co-gérante du fonds aux côtés de Filip Adamec, fait le point sur le marché des obligations convertibles.

Les emprunts convertibles sont des instruments situés à mi-chemin entre les actions et les obligations. A qui s’adressent ces instruments et comment pouvez-vous motiver les investisseurs à s’y intéresser actuellement? 

Sur le principe, les emprunts convertibles sont des produits à revenu fixe – ils versent un coupon et ils ont une échéance déterminée - mais qui sont aussi combinés avec un droit de conversion. Ce droit de conversion accorde le droit au détenteur d’un emprunt convertible de convertir ce titre en un nombre prédéfini d’actions de la société émettrice. Quant à savoir pour quels investisseurs ces titres sont les plus appropriés actuellement, nous recommandons aux investisseurs en actions de réallouer une partie de leurs positions en actions dans des emprunts convertibles.

Les convertibles sont un placement idéal car elles se caractérisent
par un comportement de cours asymétrique jumelé à un timing automatique.
Ne peuvent-ils pas simplement continuer de profiter de la hausse des marchés des actions? 

Certes, l’économie continue de croître favorablement et la saison des résultats publiés par les entreprises, surtout aux Etats-Unis, a été aussi très positive. Néanmoins, nous voyons actuellement apparaître certains risques. D’un côté, il y a la fin de la politique monétaire ultra-expansive aux Etats-Unis – avec un réajustement qui est déjà en cours. De l’autre, on observe aussi un aplatissement de la courbe des taux – même si elle ne s’est pas inversée. S’y ajoutent les risques géopolitiques toujours présents et ceux liés aux tensions commerciales. Nous ne savons bien sûr pas lequel de ces facteurs va influencer les marchés, ni quand, mais nous nous attendons à ce que la volatilité revienne peu à peu sur les marchés. Dans un tel environnement, les obligations convertibles sont un placement idéal car elles se caractérisent par un comportement de cours asymétrique, à quoi s’ajoute un timing automatique. Cela signifie que l’investisseur en obligations convertibles participe au mouvement haussier des marchés des actions, lorsque ceux-ci montent. Et quand la volatilité revient et que les marchés des actions baissent, l’investisseur tire aussi parti de la protection offerte par la composante obligataire de ces titres – à savoir qu’il reçoit, à l’échéance, le remboursement du montant investi, complété par le coupon versé. Autre avantage à mentionner : les investisseurs en emprunts convertibles profitent davantage du mouvement haussier des actions que ce qu’ils perdent en cas de chute des cours. C’est précisément l’aspect asymétrique mentionné précédemment. En résumé, plus les marchés des actions montent, plus les obligations convertibles adoptent un caractère semblable aux actions, et plus ceux-ci baissent, plus elles ressemblent à des obligations.

Au sujet de l’aspect asymétrique des emprunts convertibles, peut-on chiffrer dans quelle proportion ils participent à la hausse et à la baisse des marchés? 

Globalement, on estime qu’un investisseur en obligations convertibles participe à hauteur des deux tiers à la hausse des marchés des actions mais qu’il ne subit qu’un tiers de la baisse de ceux-ci. Durant la correction des marchés des actions survenue entre fin janvier et début février, l’indice MSCI World (hedgé en francs suisses) a perdu 8,3% et le SMI 8,8%. En comparaison, les indices dédiés aux obligations convertibles Thomson Reuters Global Focus et Thomson Reuters Global Focus Investment Grade n’ont, eux, perdu respectivement que 3,96% et 3,25%. 

En termes de volumes, tous les investisseurs en actions, qui seraient à la recherche de sécurité, ne peuvent pas réallouer l’ensemble de leurs placements actuels en actions dans des emprunts convertibles. Que représente le volume des obligations convertibles?

Comparé aux actions, les emprunts convertibles restent bien sûr un segment de niche, représentant tout de même un volume de marché de l’ordre de 450 milliards de dollars par année. Il faut souligner qu’on a observé depuis le début de l’année un grand nombre de nouvelles émissions d’obligations convertibles : entre janvier et fin juillet, les montants émis en obligations convertibles ont atteint 71 milliards de dollars. Si les émissions d’emprunts convertibles continuent au même rythme jusqu’à fin décembre, 2018 devrait être l’année affichant les volumes les plus importants depuis 2008.

La récente réforme fiscale aux Etats-Unis
a créé de nouvelles incitations pour investir dans ces instruments.
Quelles sont les raisons de cette hausse des volumes? 

J’y vois trois raisons. Tout d’abord, aux Etats-Unis, les taux d’intérêt sont déjà en train de remonter. Comme les emprunts convertibles ont un coupon plus bas par rapport aux obligations classiques, les obligations convertibles gagnent, relativement, en attrait. De plus, la récente réforme fiscale mise en place par le gouvernement a créé de nouvelles incitations pour investir dans ces instruments. Enfin, le tout est aussi soutenu par l’évolution toujours positive des marchés des actions.

Tous les secteurs d’activités sont-ils représentés dans les emprunts convertibles? 

Des entreprises issues de tous les secteurs et de divers profils émettent des emprunts convertibles. Actuellement, beaucoup d’entreprises de croissance, par exemple des sociétés actives dans les nouvelles technologies, y recourent. Le secteur de la santé est aussi bien représenté : la société américaine Illumina, active dans les instruments utilisés pour l’analyse du génome, a, par exemple, émis un tel emprunt la semaine dernière. En Suisse, on peut citer l’exemple de Sika parmi les émissions effectuées cette année. Plus il y a d’émissions d’emprunts convertibles, plus il est possible de diversifier ses placements. Chez Fisch Asset Management, qui a une des plus grandes équipes spécialisées dans les convertibles, nous prenons en compte un univers d’environ 900 emprunts convertibles émis à travers le monde, principalement aux Etats-Unis, qui restent le premier marché dans ce domaine, et en Europe.

Quel «sentiment» domine chez les investisseurs actuellement et comment percevez-vous leur intérêt pour les emprunts convertibles?

De manière générale, les investisseurs voient toujours beaucoup de potentiel pour les actions et ils veulent continuer de profiter de cette tendance positive. Beaucoup d’investisseurs ne veulent pas être ceux qui quittent la fête en premier afin de ne pas manquer le feu d’artifice! En même temps, nombre d’entre eux perçoivent aussi certains dangers et ils cherchent à mettre en place des stratégies pour se protéger en cas de chute des marchés actions. Par rapport aux obligations classiques, un autre avantage des emprunts convertibles est que ces instruments sont moins sensibles aux variations des taux d’intérêt.

Comment évaluez-vous le risque de crédit des emprunts convertibles et quels ratings utilisez-vous? 

L’analyse de la qualité du crédit est essentielle pour les obligations convertibles. S’agissant des notations, tous les emprunts convertibles ne sont pas toujours couverts par les agences. C’est pourquoi nous nous reposons beaucoup sur des analyse interne («in house»). L’évaluation de la qualité de crédit est particulièrement importante car elle permet d’évaluer quelle est la certitude d’être remboursé ou non. En effet, en l’absence de remboursement, c’est tout le caractère asymétrique – mentionné précédemment - des obligations convertibles qui est aussi perdu pour l’investisseur.

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