Le bêta de l’univers des cryptodevises

Salima Barragan

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«Le marché décide si Dogecoin ou Shiba a de la valeur», estime Marcelo Sampaio de Hashdex.

Pourquoi ne pas créer un benchmark sur l’univers des cryptodevises, sur le même modèle que les grands indices boursiers? C’est l’idée de Marcelo Sampaio, CEO de la société brésilienne de gestion d’actifs Hashdex, qui a lancé avec le NASDAQ le premier indice destiné à capturer le bêta de cet univers. La volatilité de cet ETF destiné à des néophytes du monde des monnaies virtuelles oscille autour de 60%: une fluctuation a priori élevée, mais qui reste plus basse que celle d’une cryptodevise isolée. Entretien.

Pourquoi avez-vous lancé un indice sur les monnaies virtuelles?  

Pour s’exposer à la France, nous investissons dans le CAC 40. Or, il n’existait aucun indice reconnu reflétant la représentation globale des cryptodevises. Nous avons donc créé en partenariat avec le Nasdaq, qui est le propriétaire et le pourvoyeur de la technologie, un indice mainstream qui capture le bêta de ce marché.

Quelle est la genèse de ce véhicule?

Nous avons créé un ETF de type all market cap de l’univers, qui répond, en tous points, aux régulations des marchés financiers traditionnels. Nous l’avions initialement lancé aux Etats-Unis qui demeurent le plus grand marché de produits structurés, mais l’environnement réglementaire n’était pas encore prêt pour ce type d’ETF. Nous avons testé notre thèse au sein du vaste marché brésilien qui jouit de conditions-cadres pro-crypto et où nous sommes connus en tant que principal gestionnaire d’actifs. Suite à son succès sur notre marché intérieur, nous l’avons ensuite lancé en Europe, puis en Suisse où il est listé sur la SIX Swiss Exchange.

Nous ne pouvons pas exclure une monnaie parce que nous ne l’aimons pas et sur laquelle il n’y pas d’activité illégale, car le marché décide quelle devise a de la valeur, qu’il s’agisse du Shiba ou du Dogecoin.
Comment les investisseurs (certainement plus conservateurs) du Vieux-Continent ont-ils accueilli ce fonds?

Nous sommes arrivés sur ce marché avec un produit de type «blended» qui n’existait sous cette forme et émis par un fournisseur mondialement reconnu.  Nous apportons une solution d’allocation d’actifs pour des investisseurs peu connaisseurs du monde des cryptodevises mais qui souhaitent être exposés à ce marché évolutif. Il répond à la question: pensez-vous que les monnaies virtuelles vont-elles résoudre des problèmes et atteindre des valorisations plus élevées dans le futur?  

Comment avez-vous construit ce benchmark compte tenu des spécificités du marché décentralisé des devises virtuelles?

Il est pondéré par le poids des capitalisations boursières. Contrairement au CAC 40, il n’existe aucune liste des devises virtuelles. D’ailleurs, leur définition n’est pas toujours limpide. Nous déterminons la qualité d’un marché selon des procédés de due diligence classiques tels que KYC, AML. Nous regardons aussi les volumes vérifiables et nous assurons que la devise ne fait l’objet d’aucun procès. Nous partons du postulat que l’univers comprend toutes les cryptodevises négociées sur les marchés. Pour être inclue, la monnaie doit tout de même atteindre un volume minimum de marché qui représente 0,50% du volume total. Il est raisonnable de penser que si certaines monnaies se développent, elles représenteront davantage le marché. Nous excluons les stable coins. Enfin, nous arrivons à un nombre variable de constituants contrairement au CAC 40, ce qui en fait un index extrêmement adaptable à travers les années.

Quelle est la volatilité de l’univers?

Elle tourne aux alentours de 60%, ce qui reste moins élevé que des cryptodevises prises individuellement. Le ratio de Sharpe de l’index est supérieur à celui d’une monnaie isolée.

L’on entend souvent parler des «shit coins», ces devises de mauvaise qualité, mais qui par effet de mode sont totalement surévaluées. Sont-elles aussi incluses dans l’univers?

Nous ne pouvons pas exclure une monnaie parce que nous ne l’aimons pas et sur laquelle il n’y pas d’activité illégale, car le marché décide quelle devise a de la valeur, qu’il s’agisse du Shiba ou du Dogecoin. C’est l’idée même des indices. En revanche, le comité de l’indice peut à tout moment retirer une monnaie illégale ou sans substance. Lorsque la SEC a intenté un procès au développeur de Ripple, nous l’avons sorti dans l’heure qui suivait, sans heurts pour le fonds.

Alors que les liquidités se font plus rares, les investisseurs se sont détournés du Bitcoin et de l’Ethereum. Le momentum est-il terminé?

Les marchés ont toujours été cycliques et nous vivons un nouvel hiver des cryptos. Cependant, celui-ci coïncide avec une situation macro mondialement difficile ce qui est inédit en 14 ans. Nous vivons en réalité un hiver de tous les actifs risqués. Le momentum n’est pas terminé mais les investisseurs du dernier cycle qui n’ont pas vécu les précédents, ont vendu en premier leurs actifs les plus liquides, ce qui a compressé les prix des deux principales devises. En revanche, les investisseurs expérimentés conscients qu’il s’agit d’un jeu à long terme, n’ont pas cédé leurs jetons. Ces informations sont visibles on-chain car elles sont publiques.

Quel est votre avis sur l’expérience du Salvador qui a adopté le Bitcoin comme monnaie nationale, avant que la devise ne perde par la suite une importante partie de sa valeur?

Si l’expérimentation évolue avec les années, elle aura un lien direct avec l’évolution des cryptodevises. Elle constitue aussi un bon coup marketing pour le pays: ce mouvement a suscité un intérêt économique et sociologique et a aussi attiré sur son sol une nouvelle communauté. Malgré la dévalorisation du Bitcoin, l’inflation au Salvador n’est pas plus élevée qu’ailleurs mais tout devient plus cher pour un pays importateur. Ils n’ont pas encore commencé à vendre des Bitcoins et ils utilisent encore le dollar américain lors des échanges commerciaux.

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