Que faut-il attendre pour l’économie mondiale en 2025? Les droits de douane annoncés par Donald Trump la semaine dernière se concentreront-ils avant tout sur les produits importés de Chine, du Mexique et du Canada ou pourraient-ils aussi concerner l’Europe et la Suisse? Le point sur ces questions avec Salman Ahmed, responsable mondial de la macroéconomie et de l’allocation stratégique d’actif chez Fidelity International.
Quels sont vos attentes concernant l’évolution de la conjoncture l’an prochain? Quels sont les principaux scénarios dont il faut tenir compte, notamment concernant l’économie américaine?
Aux Etats-Unis, le scénario d’un atterrissage en douceur ou «soft landing» reste d’actualité jusqu’à la fin de l’année. A partir du deuxième trimestre 2025 et pour la suite, c’est le scénario de «reflation» qui nous paraît le plus vraisemblable avec une probabilité estimée à 50%, alors que nous attribuons une probalité de 20% à un scénario de «soft landing» et à celui, plus négatif, d’une stagflation. Le scénario d’une récession cyclique se voit attribuer une probabilité de seulement 10%.
«L’économie helvétique peut être visée par les Etats-Unis en cas d’implémentation complète de la politique de tarifs douaniers par la future administration Trump.»
Compte tenu de la réélection de Donald Trump et des annonces qu’il a effectuées, notamment au sujet de l’imposition de droits de douane non seulement aux importations en provenance de Chine mais aussi du Canada et Mexique, le scénario d’une stagflation, soit la combinaison d’une inflation persistante dans un contexte de croissance faible, est le nouveau risque dans le système.
Peut-on désormais écarter définitivement le risque d’une récession aux Etats-Unis l’an prochain?
C’est le scénario jugé le moins probable en 2025. En revanche, c’est un scénario qui pourrait réapparaître à partir de 2026, par exemple une récession induite par une inflation élevée.
En raison des droits de douane annoncés?
Oui. Des tarifs douaniers à hauteur de 25% pour les produits importés à la fois du Canada et du Mexique renchériraient les prix non seulement pour les biens de consommation mais aussi pour les produits entrants destinés aux entreprises. En revanche, les 10% de droits de douane en plus annoncés sur les produits importés de Chine ne changent pas la donne. On est même loin des 60% qui avaient été évoqués parfois.
Qu’en est-il de l’Europe? Les pays européens doivent-ils aussi redouter des droits de douane plus élevés?
Pour l’instant, Donald Trump n’est pas encore entré en fonction – il n’est pas étonnant qu’il n'ait pas encore détaillé toutes ses mesures. Mais, il est probable qu’il évoque l’Europe plus tard. Par exemple, l’industrie automobile allemande a souvent été évoquée par le passé par le futur président américain.
«Les petites et moyennes capitalisations américaines pourraient même bénéficier en partie de mesures plus protectionnistes mises en place par la nouvelle administration Trump.»
Cela pourrait-il aussi affecter les entreprises exportatrices suisses?
Oui, et pour deux raisons. D'une part, une guerre tarifaire pourrait affecter la Suisse via son lien important avec l’économie allemande. D’autre part, l’économie helvétique peut potentiellement être visée par les Etats-Unis en cas d’implémentation complète de la politique en matière de tarifs douaniers par la future administration Trump. La Suisse fait partie à cet égard des pays qui pourraient être les plus concernés en Europe par une telle politique, tout comme l’Allemagne et la Suède par exemple. Le déficit de la balance commerciale américaine avec la Suisse n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 2000. L’excédant de la balance commerciale de la Suisse vis-à-vis des Etats-Unis se situait à moins de 2% jusqu’à 2015 – il avoisine les 4,5 à 5% depuis deux ans. A l’inverse, à l’intérieur de la zone euro, des pays comme l’Italie ou l’Espagne seraient beaucoup moins concernés par d’éventuelles mesures tarifaires.
A supposer que la nouvelle administration de Donald Trump mette en œuvre toutes les mesures promises en matière de droits de douane, cela aurait-il un impact sur la trajectoire de la politique monétaire de la Fed?
Il est difficile de formuler un pronostic exact à ce sujet. Dans notre scénario, nous anticipons une pause dans la politique d’assouplissement de la Fed aux environ de 4%. Nous ne croyons pas que Réserve fédérale abaisse ses taux directeurs beaucoup plus bas.
Même si l'inflation a constamment reculé aux Etats-Unis en 2024, l’inflation sous-jacente («core CPI») n’est pas redescendue aux niveaux du début de la décennie. De plus, l’inflation induite par les salaires est susceptible d’être relancée si le gouvernement américain décide de mettre en œuvre son projet de déporter entre 3 et 4 millions d’immigrés illégaux hors du sol américain. Cela pourrait relancer l’inflation induite par les salaires à des niveaux de l’ordre de 6%. Ce serait suffisant pour que la Fed ne puisse plus ignorer un tel développement.
«A la question de savoir si l’or peut à nouveau s’apprécier de 30% en 2025, la réponse est négative.»
Quel est votre avis sur les marchés des actions américaines?
Il faut bien distinguer ici entre, d'un côté, l’évolution des titres liés à la thématique de l’IA ou de la Tech qui évolue avec une dynamique propre, de celle du reste du marché, en particulier les moyennes capitalisations. En termes de valorisation, les moyennes capitalisations sont une meilleure option – leurs niveaux de valorisation ne sont aussi élevés. De plus, les petites et moyennes capitalisations américaines pourraient même bénéficier en partie de mesures plus protectionnistes mises en place par la nouvelle administration Trump. Elles dépendent avant tout du marché américain et sont moins susceptibles d’être affectées par des tarifs douaniers. Par comparaison, les valeurs de l’indice S&P500, bien que largement diversifié, sont davantage influencées par les valorisations affichées par la Tech et les Magn 7.
Comparativement, les actions européennes apparaissent presque bon marché
Oui, mais il y a aussi des raisons à cela. Les perspectives de croissance des bénéfices des entreprises ne sont pas mirobolantes en Europe de manière générale. Si l’on considère plus spécifiquement les entreprises du secteur automobile en Allemagne, on constate que ces entreprises sont non seulement exposées à une hausse des tarifs douaniers sur les véhicules exportés aux Etats-Unis mais qu'elles doivent affronter une concurrence toujours plus vive des constructeurs automobiles chinois. La Chine a construit une industrie automobile en l'espace de trois ans!
Comment analysez-vous la hausse impressionnante du cours de l’or qui a progressé pratiquement autant cette année que l’indice Nasdaq 100 durant les onze premiers mois de 2024?
Le soutien apporté par les achats effectués par certaines banques centrales pour diversifier leurs réserves explique une partie de cette hausse. A la question de savoir si l’or peut à nouveau s’apprécier de 30% en 2025, la réponse est négative. Malgré tout, beaucoup d’investisseurs continueront d’acheter de l’or dans un but de protection et la direction générale du cours de l’or restera probablement la même aussi en 2025.