La réduction de l’écart entre les genres profite à toute l’économie

Yves Hulmann

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Pour Maria Teresa Zappia de BlueOrchard, l’inclusion des femmes dans les entreprises joue un rôle clé dans l’essor des pays émergents.

Parmi les multiples aspects qui ont un lien avec la microfinance, le thème de l’égalité entre les genres et son impact sur l’économie, en particulier dans les pays émergents, est abordé par des véhicules d’investissement qui sont spécifiquement dédiés à cette problématique. C’est le cas, par exemple, du Japan ASEAN Women Empowerment Fund (JAWEF) qui fait partie de l’offre de BlueOrchard. Comment peut-on répondre à cette problématique via les outils de la microfinance? Le point avec Maria Teresa Zappia, directrice adjointe de BlueOrchard.

BlueOrchard a mis sur pied un fonds consacré à la thématique de l’égalité entre les genres dans les pays de l’Asie du Sud-Est. Pratiquement, comment un tel fonds a-t-il été conçu, puis mis en œuvre?

Qu’il s’agisse de l’égalité entre les genres ou d’autres thématiques, le savoir-faire vient toujours de nos équipes d’investissement sur le terrain et des partenaires présents sur place, par exemple des sociétés locales actives dans la microfinance, des banques spécialisés dans les PME ou des coopératives. Concernant le fonds JAWEF spécifiquement, il s’agit d’un fonds qui associe des investisseurs à la fois privés et publics. Parmi ces derniers, il y a notamment les agences de coopération et de développement japonaises, comme JICA et JBIC.

Comment mesure-t-on si le fonds contribue effectivement à favoriser l’égalité entre les genres dans l’économie?

Plusieurs critères peuvent l’indiquer. A commencer par le fait que 90% des clients finaux des institutions de microfinance impliquées dans le fonds JAWEF sont des femmes. En outre, près des trois quarts de ces institutions fournissent aussi des services non financiers, tels que des formations dans différents domaines comme la santé, l’éducation et le planning familial.

«Il y a toujours près d’un milliard de femmes
à travers le monde qui n’ont pas accès à un compte bancaire.»
Le rôle des femmes dans l’entrepreneuriat varie beaucoup d’une région du monde à une autre, aussi pour des raisons culturelles. Tenez-vous compte de cet aspect lorsque vous définissez les objectifs à atteindre en matière d’égalité?

Nous devons bien sûr tenir compte de ces différences. Une étude réalisée par le World Economic Forum (WEF) avait tenté d’évaluer combien d’années il faudrait encore pour combler l’écart entre les genres («gender gap») dans l’économie. Globalement, il faudrait encore 99 ans pour y parvenir. Il faudrait toutefois un peu moins de temps en Amérique latine (59 ans) et en Asie du Sud-Est (71 ans) qu’en Asie de l’Est (163 ans) et en Afrique sub-saharienne (95 ans). Il est certes nécessaire de tenir compte de ces différences de départ entre les régions mais sans perdre de vue l’objectif qu’il est possible de progresser partout.

Un des constats dressés par la microfinance concernant l’Asie du Sud-Est est qu’une plus grande inclusion des femmes dans l’économie favorise aussi la croissance économique du pays dans son ensemble. Peut-on l’illustrer?

Une étude a, par exemple, évalué que l’influence positive des femmes dans les microentreprises pourrait contribuer à augmenter de 12% le revenu par habitant dans 15 pays de l’ASEAN d’ici à 2030. Le message général est qu’une réduction de l’écart entre les genres et une participation plus élevée des femmes dans l’économie a un impact positif pour l’économie dans son ensemble, pas seulement pour les femmes elles-mêmes.

Quels aspects contribuent le plus à améliorer la situation des femmes dans l’économie dans les pays émergents?

Un élément de base - qui peut paraître évident dans les pays développés mais qui ne l’est pas partout dans le monde - est celui de l’accès à un compte bancaire. Il y a toujours près d’un milliard de femmes à travers le monde qui n’ont pas accès à un compte bancaire. Dans 72 pays, les femmes n’ont accès ni à un compte bancaire ni au crédit. A cet égard, les solutions qui sont développées par certaines sociétés fintech - à l’exemple de M-Pesa, une société kenyane qui propose des services de microfinancement et de transfert d’argent par téléphone mobile - ou fournies par des opérateurs télécoms facilitent considérablement l’accès aux services financiers de base pour les femmes. D’un seul coup, elles entrent dans le monde des services - elles peuvent payer des factures ou recevoir de l’argent pour des produits vendus.

«Il est frappant d’observer que les investisseurs privés
sont très attentifs aux indicateurs de performance sociale.»
Du côté des investisseurs privés ou institutionnels qui placent de l’argent dans des fonds de microfinance, quels sont les aspects qui comptent le plus?

Il est frappant d’observer que les investisseurs privés sont très attentifs aux indicateurs de performance sociale, en plus des critères financiers proprement dits. De manière générale, les investisseurs s’intéressent beaucoup à l’historique des sociétés, à leur «track record», ainsi qu’à la stabilité des performances générées. Certains investisseurs placent de l’argent dans nos fonds aussi car ils accordent de l’importance à une problématique spécifique dans une région donnée, par exemple celle de l’éducation en Afrique, comme nous le proposons dans le cadre d’un fonds dédié à cette thématique (Regional Education Finance Fund for Africa ou REFFA).

Un argument fréquemment évoqué concernant la microfinance est sa décorrélation par rapport aux autres classes d’actifs. Est-ce que cela a été aussi le cas au plus fort de la crise du coronavirus ce printemps?

Il y a eu d’importantes différences régionales. Alors que l’Inde et l’Amérique latine ont été très fortement impactées par la pandémie, cela a été beaucoup moins le cas en Afrique jusqu’ici. Dans l’ensemble, les institutions de microfinance ont aussi fait preuve d’une grande résilience. Elles ont l’avantage également d’avoir une base de clients généralement très largement diversifiée – cette grande diversification rend la microfinance davantage décorrélée des autres marchés. Maintenant, il serait un peu exagéré d’affirmer que la microfinance est entièrement décorrélée du reste de l’économie – néanmoins, c’est un domaine où il est possible de largement diversifier les risques, à la fois sur un plan sectoriel et régional.