La gestion de l’eau, un enjeu majeur

Yves Hulmann

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La société bâloise Tareno mise sur des entreprises disposant de technologies qui rendent l’utilisation de l’eau plus efficace.

 

Alors que la demande en eau ne cesse d’augmenter au niveau planétaire, cette ressource est elle-même disponible en quantité limitée. Pour faire face aux futurs défis liés à la gestion de l’eau, la société bâloise Tareno mise sur des entreprises, le plus souvent issues de l’industrie, qui ont développé des technologies permettant de rendre son usage plus efficient. Entretien avec Stefan Schütz, analyste chez Tareno.

Toutes sortes d’entreprises – actives dans les technologies, les infrastructures ou dans les biens de consommation – proposent des produits ou des services qui ont un lien plus ou moins direct avec l’eau. Comment peut-on investir dans l’eau en tant que thème d’investissement?

Avant d’évoquer les possibilités d’investissement qui existent en lien avec ce domaine, il faut d’abord en rappeler les grandes tendances déterminantes. A commencer par le rapport entre l’offre disponible et l’évolution de la demande. Du côté de l’offre, le volume d’eau disponibleau niveau mondial est donné et ne varie pas. On dispose de la même quantité d’eau qu’au temps des Romains, qu'au Moyen-Âge, ou qu'à l'époque des Aztèques. Le cycle naturel de l’eau est resté identique sur terre depuis des millions d’années. En revanche, du côté de la demande, celle-ci n’a cessé d’augmenter en raison de l'accroissement de la population, de l’urbanisation continue et du changement climatique. L’homme est massivement intervenu dans le cycle de l’eau au cours du dernier siècle. Le déboisement, notamment, a pour effet que même s’il continue de pleuvoir, il n’y a plus de réservoir naturel pour conserver l’eau. En conséquence, les pluies se produisent massivement d’un seul coup et les sols ne parviennent plus à absorber l’eau qui est tombée. Il devient ainsi plus difficile pour l’homme d’avoir accès à l’eau de manière régulière dans certaines régions. Compte tenu de cette situation de départ, la seule solution existante est de mieux exploiter les possibilités offertes par le changement technologique. Le fonds de Tareno consacré à l’eau investit donc dans des entreprises qui développent et commercialisent ce type de solutions.

Mieux vaut investir dans les techniques
qui permettent de mieux gérer son utilisation.
Vous n’investissez donc pas directement dans l’eau en tant que ressources.

Non, absolument pas. L’eau, en tant que matière première, n’est pas pour nous un thème d’investissement. Du fait que l’eau est un élément absolument indispensable à la vie des gens, la probabilité que l’Etat finisse tôt ou tard par intervenir dans ce domaine est de toute manière très importante. Je ne crois pas qu’investir, par exemple, dans l’exploitation de sources d’eau, soit une bonne approche de placement sur le long terme. La question de l’accès à l’eau fera aussi toujours davantage l’objet d’un débat moral. Donc mieux vaut investir dans les techniques qui permettent de mieux gérer son utilisation que dans la ressource en elle-même.

Quelles possibilités existent pour réduire la consommation d’eau dans ses principaux domaines d’utilisation?

Grosso modo, l’eau est utilisée principalement par l’agriculture (70%), l’industrie (20%) et les ménages (10%). Pour chacun de ces domaines, les solutions techniques et les entreprises qui les fournissent diffèrent bien entendu. Dans l’industrie, cela inclut aussi bien des entreprises actives dans l’efficience énergétique, les systèmes de refroidissement ou le traitement de l’eau. Alfa Laval est par exemple une société dans laquelle Tareno a investi. Dans les processus de production, il est possible, à l’aide de filtres et de pompes, de réutiliser chaque fois la même eau qui reste confinée dans un circuit interne. Sulzer, par exemple, conçoit des pompes utilisées dans ce but.

Quels sont les possibilités d’amélioration apportées par la technique dans l’agriculture?

Dans l’agriculture, il existe différentes techniques d’irrigation permettant de réduire la consommation d’eau. Auparavant, on irriguait simplement à l’aide de la gravitation, maintenant on recourt à des systèmes d’arrosage plus sophistiqués dits intelligents. Les moyens financiers pour investir dans de nouveaux équipements sont certes souvent limités dans l’agriculture du fait que les prix y sont bas et volatils. Néanmoins, pour certaines cultures, d’importants investissements seront à terme inévitables dans certaines régions qui ont des ressources en eau limitées. Typiquement, ce sera le cas en Californie où sont concentrées les plus grandes cultures d’amandes au monde bien qu’il s’agisse d’une zone aride.

Il ne faut pas oublier les techniques de détection des fuites
qui permettent d’éviter le gaspillage de grandes quantités d’eau.
Et qu’en est-il de la consommation d’eau par les ménages?

Le fait que la population augmente dans nombre de régions disposant de ressources limitées en eau, y compris dans certaines parties des Etats-Unis et de l’Europe, renforcera aussi la nécessité d'user de techniques plus efficaces. Aux Etats-Unis, l’essentiel de la population se concentrait traditionnellement dans une ligne allant de Boston à San Francisco. Elle s'est maintenant déplacée davantage vers le sud. De nouvelles villes ont aussi été bâties sur les côtes des pays du Moyen-Orient. Pour l’usage de l’eau par les ménages, la meilleure approche est à mon avis de réduire la consommation d’eau, que ce soit au niveau de l’arrosage des jardins – en se satisfaisant d’eau partiellement propre («grey water») mais non potable – ou en recourant à des techniques moins gourmandes en eau dans les bâtiments. Enfin, il ne faut pas oublier les techniques de détection des fuites qui permettent d’éviter le gaspillage de grandes quantités d’eau lorsque les conduites sont défectueuses ou vétustes. Parmi nos investissements, Pure Technologies, aujourd’hui une filiale de Xylem, est par exemple spécialisée dans la détection des fuites.

Dans quels secteurs d’activité se concentrent typiquement vos investissements en rapport avec le thème de l’eau?

La plus grande partie de notre fonds, soit environ 45%, est constituée d’entreprises issues de l’industrie, alors que les services aux collectivités représentent près du tiers du portefeuille, suivies par la construction qui en constitue un cinquième.

Cela inclut-il aussi des sociétés suisses?

Oui. On peut citer, par exemple, le groupe industriel schaffhousois Georg Fischer et sa division Piping Systems, le chimiste du bâtiment zurichois Sika ou encore le spécialiste des systèmes de ventilation ou de climatisation Belimo. Comme on peut l’observer, il s’agit d’entreprises ayant des activités très différentes mais qui ont pour point commun de disposer de techniques utiles pour améliorer la gestion de l’eau. Les technologies liées à l’eau ont toujours des recoupements avec d’autres activités industrielles. Par exemple, le recoupement le plus important se situe avec les entreprises actives dans le pétrole et le gaz.

En moyenne pondérée, 40% des activités des sociétés incluses
dans notre portefeuille sont liées à des technologies associées à l’eau.
Justement, ces sociétés ont aussi toutes sortes d’autres activités qui n’ont, elles, aucun lien avec l’eau. Quel est le critère pour qu’une société puisse être incluse dans votre fonds?

Il y a effectivement très peu d’entreprises qui se consacrent uniquement au domaine de l’eau. Si nous n’incluions toutefois que les entreprises qui tirent l’essentiel de leurs revenus d’une activité étroitement liée à l’eau, il ne resterait plus que des fournisseurs de services aux collectivités («utility») dans notre fonds. En moyenne pondérée, 40% des activités des sociétés incluses dans notre portefeuille sont liées à des technologies associées à l’eau.

Ce qui veut aussi dire qu’une part de 60% n’est pas liée à l’eau.

Oui, mais il faut se poser la question de ce qui constitue l’alternative: si vous achetez un produit basé sur un indice comme MSCI World, la part des activités des entreprises qui ont un lien avec l’eau est proche de 0%. Chez Tareno, cette part atteint tout de même 40%.

Que se passe-t-il lorsque la conjoncture ralentit: augmentez-vous sensiblement la part en cash de votre fonds?

Non, on ne peut de toute façon pas porter la part en cash au-delà de 10%. A cet égard, on peut souligner le caractère défensif d’une partie des titres figurant dans notre portefeuille, à savoir les entreprises actives dans les services aux collectivités. Ces sociétés, qui appartiennent souvent en partie à l’Etat, présentent un caractère parfois anticyclique car certains gouvernements tendent à investir davantage dans le renouvellement des infrastructures quand la conjoncture ralentit.

Comment intégrez-vous les critères d’investissement durable dans le mode de gestion de votre fonds?

C’est bien sûr un aspect essentiel. Chaque entreprise obtient d’abord un score ESG (ndlr: critères environnementaux, sociaux et de gouvernance). Il est d’abord nécessaire d’obtenir un certain score pour être tout bonnement inclus dans le fonds. Nous partons d’un univers d’investissement incluant environ 150 entreprises ayant un lien avec l’eau – et après avoir pris en compte le score ESG, nous n’en gardons plus qu’environ 110 qui font ensuite l’objet d’une analyse financière classique. Notre processus d’investissement tient ainsi compte des critères ESG à hauteur de 25%, complétés par l’analyse des données fondamentales habituelles et puis des données liées au momentum du marché.

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