La finance durable a quelque mal à se remettre de la vague d’écoblanchiment qui l’a secouée il y a peu et d’un certain désintérêt de la part des investisseurs. Mais le changement climatique et son cortège de catastrophes ne sont pas sensibles aux effets de mode et les besoins de financement s’intensifient. Comment aborder l’investissement responsable dans de telles conditions? Quelques réponses avec Coline Pavot, responsable de la recherche Investissement Responsable chez LFDE.
Comment abordez-vous le financement de la transition énergétique aujourd’hui?
Longtemps deux approches ont dominé la finance responsable. La première était de préférer l’exclusion à l’engagement avec les entreprises les plus polluantes. La seconde, était de financer les entreprises apportant des solutions et de se laisser guider par des politiques publiques qui drainaient les financements vers des solutions spécifiques, véhicules électriques ou hydrogène par exemple. Nous avons compris aujourd’hui que la transition énergétique exigeait d’amener toutes les industries vers des modes de production durables, qu’il s’agisse de cimenteries, d’aciéries, de transport ou même d’énergie fossile. Si ces secteurs n’adoptent pas de méthodes permettant de réduire leurs émissions, il n’y aura pas de transition énergétique. Et donc, depuis un ou deux ans, nous voyons poindre un discours généralisé d’incitation au financement de la transition. C’est ainsi que la taxonomie européenne a introduit une notion de phasage qui consiste, par exemple, à préférer le gaz au charbon.
Les fondements même du financement durable ont donc évolué?
Oui, avec cette nouvelle approche, tous les secteurs sont impliqués. On ne juge plus uniquement une entreprise sur la durabilité de son produit mais sur son évolution vers des pratiques de réduction de ses gaz à effets de serre, compatibles avec l’Accord de Paris. Un exercice difficile à mener car, sur la base de données quantitatives, il n’est pas aisé d’obtenir une véritable estimation du chemin des entreprises en matière de transition énergétique. A LFDE, nous avons à cet effet développé un outil d’analyse du niveau de maturité et de la trajectoire des sociétés en matière de climat et de biodiversité: la méthodologie Maturité Climat et Biodiversité. Notre méthode nous a amené à distinguer trois types d’entreprises:
- Les entreprises-solutions - qui doivent se préoccuper aussi de leur chemin et ne pas se réfugier derrière leurs produits;
- les entreprises pionnières –qui sont novatrices dans la transition avec un impact sur leur écosystème;
- et les celles en transition - pour lesquelles la trajectoire d’amélioration doit être une priorité.
Vous donnez à la gouvernance un poids considérable.
Oui, nous y sommes très attachés. Si le sujet n’est pas prioritaire au niveau de la direction et du conseil d’administration, aucune réussite n’est selon nous possible. En dépendent la nomination des bons experts, la formation ou l’incitation des employés par des modes particuliers de rémunération des équipes.
Quelles sont les entreprises dont les chances de réussite sont les meilleures?
La tâche est plus facile pour les entreprises de taille moyenne à grande car elles disposent de davantage de moyen pour financer leurs efforts. Elles peuvent par exemple assurer la présence d’experts environnementaux qualifiés au sein du conseil d’administration et les contre-pouvoirs nécessaire pour s’assurer du suivi.
Quels points sont les plus délicats?
Suivre les émissions évitées – ce qu’on appelle le scope 4. Une entreprise comme Air Liquide par exemple permet une décarbonation de l’économie tout en émettant du CO2. Il convient donc de bien qualifier la contribution environnementale. Autre sujet délicat à traiter, les solutions de sauvegarde de la biodiversité dont on peine à valoriser l’impact et, plus particulièrement, le rôle régulateur sur le climat.
Quelles sont les évolutions réglementaires notables?
J’en citerai trois principales. En premier lieu, les directives de l’Esma sur l’intitulé des fonds (funds naming) qui dénote une volonté d’éviter le greenwashing. Ensuite, le nouveau règlement européen CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive - qui exigera entre autres des PME, à partir de 2025, l’établissement d’un bilan des émissions de gaz à effet de serre. Les sociétés de plus de 250 employés et/ou dont le chiffre d’affaires dépasse 50 millions d’euros et/ou dont les actifs totaux excédent 25 millions d’euros seront obligées de se conformer à ces nouvelles normes de reporting. Enfin, la directive CS3D - Corporate Sustainability Due Diligence Directive - de l’Union européenne, exigera des entreprises une diligence raisonnable en matière de développement durable y compris le contrôle sur leur chaîne d’approvisionnement.