La BCE, les taux et l’euro

Salima Barragan

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Mathieu Savary de BCA Research n’anticipe pas d’augmentations des taux d’intérêts européens avant le quatrième trimestre.

Encore plus que son homologue américain, Christine Lagarde qui mène la barque de la BCE, aura la délicate tâche de normaliser la politique monétaire d’une zone qui rassemble des économies disparates. Le responsable des investissements européens chez BCA Research Mathieu Savary estime qu’il est peu probable que l’institut européen coupe son programme de rachat d’actifs à zéro d’ici le mois de juillet; une condition sine qua non avant son premier relèvement de taux. En revanche, la BCE pourrait bien hausser le ton plus fermement que prévu en 2023 et 2024. Entretien.

Les dichotomies entre les pays du Sud et du Nord rendent le mandat de la BCE plus complexe que celui de la Fed. Comment Christine Lagarde pourra-t-elle gérer au mieux la normalisation de la politique monétaire?

Les économies de la périphérie européenne restent fragiles en raison des écarts de productions toujours très négatifs. De plus, leurs taux obligataires sont vulnérables aux changements de conditions monétaires, comme les dernières semaines l’ont vivement rappelé aux investisseurs. Cette fragilité inhérente à la zone Euro limite donc la rapidité avec laquelle Christine Lagarde pourra durcir les conditions monétaires. Ce qui signifie qu’il est fort peu probable que la BCE coupe le programme de rachat d’actifs à zéro d’ici le mois de juillet, ce qui est nécessaire avant d’augmenter les taux directeurs. Nous n’anticipons donc pas d’augmentations des taux d’intérêts européens avant le quatrième trimestre.

 Les facteurs domestiques comme les loyers, les prix des voitures d’occasion ou encore ceux des services restent plus modestes, car les augmentations salariales sont plus basses.
Vous estimez en revanche que la BCE augmentera ses taux en 2023 et 2024 plus agressivement que le marché ne l’anticipe. Pour quelles raisons?

Cette vue est une conséquence de notre position concernant l’inhabilité de la BCE à augmenter les taux autant qu’anticipé par les marchés. La relance économique européenne continue, ce qui permettra de clore les écarts de production en 2022 et donc de créer des conditions plus propices à une inflation durable dans la zone Euro en 2023. De plus, bien que les augmentations salariales restent trop basses en ce moment pour supporter une inflation soutenue, cela ne sera plus le cas d’ici la fin de 2022 lorsque les dynamiques de salaires deviendront plus favorables à une augmentation des taux d’intérêt. En ce qui a trait aux conditions des pays du Sud, la poursuite de la croissance supportée par les fonds du programme de dépense NGEU permettra de réduire leurs écarts de productions, ce qui diminuera la fragilité de leurs marchés obligataires face à une augmentations des taux d’intérêts à court-terme. Dans ce contexte, nous nous attendons donc à une Europe plus robuste. Finalement, les taux de fin de cycle estimés par les marchés sont toujours tout aussi bas qu’ils l’étaient au pire de la grande crise financière. Cependant, les politiques budgétaires sont aujourd’hui beaucoup plus laxistes qu’à l’époque et l’inflation est déjà plus forte. Cette combinaison suggère que le taux d’intérêt neutre européen est plus élevé que lors la dernière crise. Sa réévaluation positive permettra à la BCE d’atteindre des niveaux de taux supérieurs aux attentes actuelles des marchés dans les années à venir.

Comment l’inflation européenne se différencie-t-elle de l’américaine?

Au cours de 2021, l’inflation en Europe a significativement augmenté. Mais contrairement à la situation américaine, cette poussée ne reflète que peu les forces domestiques sous le contrôle de la BCE. Le renchérissement sur le Vieux-Continent est mené par les cours des matières premières, la majoration des taxes de ventes et les développements des prix des importations. Les facteurs domestiques comme les loyers, les prix des voitures d’occasion ou encore ceux des services restent beaucoup plus modestes, car les augmentations salariales sont plus basses. Les hausses de coûts unitaires de main d’œuvres sont en deçà de 1%, ce qui n’est pas le cas de l’autre côté de l’Atlantique. De plus, les attentes sur l’inflation en Europe des participants des marchés et des ménages sont toujours inconsistantes avec une inflation un peu au-dessus de 2% à moyen terme, ce qui est très différent des Etats-Unis. Étant donné que le problème principal auquel font face les compagnies européennes est l’approvisionnement de matériels et d’équipements, l’amélioration des chaînes d’approvisionnement que nous attendons cette année permettra à l’inflation européenne de diminuer plus que ce que nous verrons aux Etats-Unis.

À court terme, avec une Réserve Fédérale devenue de plus en plus agressive, l’euro risque de rester volatil mais sans direction majeure.
Comment le plan de dépense next-generation (NGEU) pour la transition climatique va-t-il changer l’équilibre économique européen?

Les estimations du FMI ainsi que de multiples études académiques montrent que les investissements dans les infrastructures sont des dépenses publiques qui bénéficient d’un multiplicateur fiscal très élevé. Donc, bien que l’OCDE prédise une diminution modeste des déficits budgétaires de l’ordre d’un pourcent du PIB européen en 2022, l’augmentation des dépenses publiques liée aux fonds NGEU suggère que l’impact net de la politique fiscal européenne ne sera pas négatif pour la croissance de la zone euro, est pourrait même créer un léger vent de poupe pour la croissance. L’effet positif sur la conjoncture se fera particulièrement ressentir dans les États de la périphérie européenne car ils recevront les sommes les plus significatives.

Quelles sont les implications de la politique monétaire sur l’évolution de l’euro?

À court terme, avec une Réserve Fédérale devenue de plus en plus agressive, l’euro risque de rester volatil mais sans direction majeure. Ce qui crée une opportunité pour les investisseurs à moyen-long terme d’acheter l’euro contre le dollar US durant les épisodes de correction de la paire. L’euro est soutenu par un surplus conséquent du compte courant et une BCE qui surprendra les marchés en augmentant les taux d’intérêts davantage que les acteurs ne l’anticipent aujourd’hui, créant ainsi des conditions idéales pour une forte appréciation de la divise sur les 12 à 18 prochains mois.

Et sur les actions?

Si la BCE augmente ses taux d’intérêts moins que les marchés ne le prédisent cette année, mais plus qu’anticipé en 2023 et 2024, la courbe des taux de rendements se redressera, ce qui favorise les actions des compagnies financières et des banques européennes. Enfin, la montée de l’euro combinée avec le dynamisme attendu de la zone Euro cette année supportera une surperformance des petites capitalisations européennes une fois que la volatilité actuelle des marchés causée par la Fed sera passée.